Wikileaks, sed leaks
Le sujet de la semaine, c’est bien évidemment l’affaire Wikileaks, les révélations (pas si) fracassantes livrées sur le site maintenu par Julien Assange. Au-delà du bien et du mal, cette histoire de notes diplomatiques révélées à la presse m’inspire quelques réflexions nocturnes.
Le syndrome des crottes de dinosaure
Imaginez que vous êtes un homme préhistorique contemporain des dinosaures (ce qui n’a pas été le cas). Ramassez deux crottes de dinosaure toutes fraîches. Aucun intérêt. Projetez-vous maintenant en 2010, et soulevez ces deux mêmes crottes, conservées dans je ne sais quelle gangue de glace ou bien fossilisées. Vous détenez un trésor, un témoignage sur l’ADN de nos lointains ancêtres, peut-être même en déduiriez-vous de remarquables perspectives sur la marche de ces grands sauriens. C’est à peu près la même chose qui se passe avec ces notes diplomatiques. Les avis des uns et des autres sur l’appareil digestif de Nestor Kirchner, qui s’en soucie? Dans 10000 ans, peut-être, nos descendants en tireront-ils quelque chose sur les moeurs alimentaires des dirigeants du continent sud-américain.
Le goût du secret, le culte de la personnalité
La démocratie a cela de commun avec les autres formes de pouvoir, qu’elle attache une importance capitale au secret. Mais de quels secrets s’agit-il? Parle-t-on de rétro-commissions, de financements occultes, d’assassinats ciblés? Pas le moins du monde, on y parle de petits arrangements entre états plus ou moins démocratiques, arrangements censés ne pas être divulgués au grand public, pour ne pas entamer le capital sympathie d’une poignée de dirigeants et de leurs administrations. La société du spectacle ne permet qu’un seul type de spectacle, finalement, et ne laisse guère de place aux intrigues révélées. C’est assez pathétique au final.
Mais qui se soucie des signaux faibles?
Le point le plus important, dans cette affaire, c’est d’identifier l’origine des documents publiés. Julien Assange n’est pas un hacker, il ne s’est pas introduit dans des serveurs ultra sécurisés pour commettre son « crime »: on lui a tout simplement fourni ces documents. Qui est ce « on »? Des rouages du système, lassés de servir de rouage pour une mascarade politique ou diplomatique. C’est ce point là qu’il me semble crucial de décoder. Nos démocraties se sont tellement éloignées de l’idéal républicain du 19e siècle, que le système commence à se désagréger petit à petit, tels les boutons d’une vareuse qui serait trop serrée. On sait ou mènent de tels chemins: au mieux à une révolution, au pire au totalitarisme.
Une riposte écoeurante
La riposte des administrations bafouées est passablement écoeurante. Des attaques en déni de service (on sait maintenant que les hackers ne sont pas si libertaires que cela…) jusqu’à son lâchage par Amazon (une entreprise américaine reste une entreprise américaine…), Assange va avoir de plus en plus de mal à conserver un endroit où stocker ses documents. Et si la solution n’était pas tout simplement de les déverser dans un de ces réseaux peer to peer, où on ne sait plus très bien qui possède quoi, mais où tout est accessible in fine?
Je n’entends pas défendre Assange, qui sait pertinemment quels risques il prend en publiant ces secrets d’état. Mais ce qui me choque, c’est la violence et les moyens mis en oeuvre pour qu’il se taise. J’aurais attendu, de la part des démocraties concernées, qu’elles mettent autant de vigueur à dénoncer les maux qui nous rongent, et qui se nomment corruption, violence, pauvreté, inégalités. Décidément, ce 21e siècle est bien mal parti.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Excellent titre et fine analyse au demeurant !
Merci pour cette analyse. Sans vouloir encenser Julian Assange, je ressens pas mal d’écoeurement en voyant comment nos institutions fustigent ce dernier. Surtout lorsque les attaques les plus violentes viennent des journalistes (serait-ce de la jalousie, de la part de ces derniers?).
Heureusement, tous les journalistes n’ont pas le même discours, mais ils ont du mal à se faire entendre.
Fervente partisane de la liberté d’expression du « Quatrième pouvoir », mon sentiment est très mitigé quant aux révélations de Wikileaks qui ont alimenté nos médias cette semaine. Apprendre que les tortures en prison et des civils tués par erreur illustrent la « vraie » guerre en Irak n’a rien d’un scoop ! Serions-nous assez stupides pour imaginer que l’Irak évoquait le rassemblement mythique sur l’Ile de Wight ? Comprendre les vrais enjeux politiques, économiques et surtout financiers dissimulés derrière cette guerre pour nous donner à réfléchir : c’est selon moi le « vrai » rôle d’un site d’information journalistique. Je m’interroge sur la véritable stratégie de Julian Assange : ne s’agit-il pas d’une formidable opération de communication savamment relayée par 4 prestigieux médias de la presse écrite à des fins d’auto-promotion ?
Corinne
Ou peut-être une campagne orchestrée par les services américains, simplement pour redorer leur blason ou attirer l’attention sur des questions moins sensibles. En effet, au final, la diffusion de ces câbles semble juste montrer que cette démocratie reste malgré tout très « propre » (pas de coup tordu, pas de conspiration, pas de corruption, etc).
Mais cette réflexion fait un peu « conspirationniste »…