Vladimir Poutine, tsar et autocrate de toutes les Russies
Spoiler alert : la Russie n’envahira pas l’Ukraine. Ce billet tentera, entre autres, de vous en convaincre.
Update du 28 février : bon d’accord, je me suis planté… Patapé ! Je tâcherai d’analyser, quand la crise sera finie, ce qui s’est passé. En attendant, vous pouvez quand même lire ce qui suit 🙂
Tsar et autocrate de toutes les Russies était le titre officiel des empereurs russes. Je vous propose de commencer par une analyse, mot par mot :
- Tsar : comme dit plus haut, le tsar est un empereur. Ce n’est pas un roi (король) c’est bien l’empereur, le César romain. La filiation est d’ailleurs intéressante, nous y reviendrons. J’ai écrit à plusieurs reprises que Vladimir Poutine était une synthèse de Staline, Lenine et des tsars. Sans omettre la cruauté (Staline) ni l’internationalisme (Lenine) – j’y reviendrai – force est de constater que Poutine s’est aujourd’hui installé dans le trône de Pierre le Grand. Le décorum du Kremlin – table blanche majestueuse comprise – en est une illustration parfaite. Cela veut dire deux choses : qu’il restera au pouvoir aussi longtemps qu’il le souhaitera et qu’il travaile dans la durée. J’écrivais il y a 18 mois dans un grand quotidien économique « il faut apprendre à vivre avec le covid ». Aujourd’hui, j’écris : il faut apprendre à faire avec Poutine. Comme tout empereur, il construit donc un… empire ! Et dans un empire, on construit des routes ! Le IIIème Reich allemand a créé le réseau autoroutier allemand. Et plus loin, l’Empire romain (tiens tiens…) a répandu ses voies romaines en Europe, le fameux « tous les chemins mènent à Rome ». La Russie est un des rares pays que j’ai visités récemment qui construise des routes. Elle le fait en Sibérie.
- autocrate : Poutine n’a pas d’opposition crédible, et n’a aucune raison d’accepter une quelconque contradiction. Il n’est donc pas besoin de me reprocher d’être « pour Poutine », ou de tenter de m’expliquer que je suis sous influence. C’est simplement un fait. Le tsar Poutine fait ce que bon lui plaît, comme le faisaient Louis XIV, Pierre le Grand, Napoléon, etc…
- Russie : Vladimir Poutine est profondément russe. Son nationalisme est un nationalisme russe. Il a lu Hélène Carrère d’Encausse – en fait, non , il ne l’a probablement pas lue, mais il connaît des gens qui l’ont lue, et puis, de toutes façons, il n’a pas besoin de lire, il a compris sans avoir lu. Il sait que la pression démographique est irrésistible. Il ne veut donc que des russes au sein de la Fédération de Russie.
- de Toutes les (Russies) : il ne veut que des russes, mais il veut tous les russes. C’est pour cela qu’il ne lâchera pas la Crimée, le Donbass, la Transnistrie. C’est pour cela qu’il maintient la Biélorussie « rênes courtes » et qu’il l’annexera à la première occasion. Mais c’est également pour ça qu’il n’envahira pas l’Ukraine. Il y a trop d’Ukrainiens en Ukraine, comme il y a trop d’Arméniens en Arménie, ou trop de Géorgiens en Géorgie…
Alors, comment la crise actuelle va-t-elle se régler ? Mon sentiment est que Poutine va jouer l’accord suivant :
- la reconnaissance internationale de l’annexion du Donbass et de la Crimée ;
- le renoncement de l’OTAN à l’intégration de l’Ukraine, brique importante dans la construction de la zone tampon, les marches de l’Empire, autour de la Russie.
En échange de
- la désescalade, et le retour à la paix ;
- éventuellement la fin des sanctions, un accord – un de plus – sur les gazoducs…
Ceci dit, il me semble ici légitime de se demander pourquoi cet aveuglement de l’occident vis à vis de ce jour d’échecs. Mon sentiment est que la plupart des chefs d’Etat – Joe Biden en tête – sont des hommes de la Guerre Froide, pour lesquels la Russie – l’URSS – est l’Ennemi. Nous raisonnons encore avec deux blocs : le bloc « Occidental » d’un côté, bloc comprenant, grosso modo, l’ensemble des pays de l’OTAN, et le Bloc dit « ex-soviétique ».
C’est, me semble-il, une erreur de lecture.
Deux faits sont indéniables :
- Pour être puissant, il faut être gros. Les GAFAM l’ont compris. Les constructeurs automobiles l’ont compris. Seuls les états européens – au premiers rangs desquels la France – ne l’ont pas compris. L’europe ayant malheureusement, semble-t-il, renoncé à une réelle politique de défense commune, il nous faut trouver des alliés. Et c’est allié ne peut être les Etats-Unis. Ce pour une raison simple, le second fait.
- La Chine. Je n’ai pas besoin, me semble-t-il d’en dire plus; L’affaire AUKUS, dite des « sous-marins australiens » l’a montré : les Etats-Unis ont leur regard – et leurs angoisses – tournées vers l’ouest (leur ouest à eux…). Et la Chine est un danger pour la Russie. Un danger parce qu’ils ont une frontière commune de plus de 4000km, un danger parce que la pression démographique en Sibérie (le rapport des densités de population y est de près de 1 à 10) représente, sur le long terme, une réelle menace pour la Russie.
Il convient ici de rappeler que Vladimir Poutine est, lui également et surtout, un enfant de la Guerre Froide et de l’Union Soviétique. Il se souvient des rapports pour le moins complexes entre l’URSS et la Chine Populaire. Il sait que la Chine est dirigée par les héritiers de Mao, qui, même s’ils ne sont plus communistes du tout (l’ont-ils jamais été ?) ne peuvent avoir, eux non plus, oublié ces mêmes rapports.
Un adversaire commun, des intérêts communs, une histoire commune (l’alliance franco-russe de 1892), pourquoi ne pas se rapprocher de la Russie ?
La plus grande partie de la Russie, la Sibérie, est située en Asie. C’est le principal contre-argument qui reste, puisque j’ai, d’avance, balayé les précédents. Certes, mais :
- la Nouvelle-Calédonie, pas plus que la Réunion, et tous les autres Outre-mers, ne sont pas en Europe non plus ;
- la population asiatique russe ne représente que 25% de la population russe ;
- il n’est pas contestable que la culture russe est profondément européenne.
Le Général de Gaulle avait évoqué une Europe « de l’Atlantique à Oural ».
On peut se demander, si finalement, le grand homme n’avait pas raison…
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A heavy weather skipper
Cher Hervé
Ton analyse est – comme toujours – fine et fort interessante.
Bemol quand même:
– Tu le dis toi meme l’Europe demeure faible et fracturée politiquement. Poutine est un adepte des rapports de force. Se rapprocher de la Russie/ Poutine n’est ce pas aussi prendre un risque de rapport de force ?
– Les US ont démontré leur immense capacité à jouer leurs intérêts même si cela se fait au détriment de l’Europe. Cela dit, les US n’ont pas de prétention territoriales (Cf les pays sur les MArches orientales de l’UE) et surtout une gouvernance democratique qui ne permettrait probablement pas ce que l’autocrate Poutine s’autorise à faire comme tu le soulignes également.
Au total, l’Europe semble effectivement bien faible face à :
– une Turquie blessante et maitre chanteur sur les migrants – une Russie volontiers destabilisatrice de nos démocraties et maitre chanteur énergetique
– une Chine à veilleite dominatrice absolue et volontiers agressive et maitre chanteur de nos besoins industriels (Cf crise COVID)
– une Amérique rendue faible politiquement par un deficit criant de leadership éclairé et autocentrée par une crise identitaire (wokisme) et une société fractionnée (battle pro-anti Trump)
– une Afrique qui accepte un controle economique chinois voire securitaire russe (Cf Mali) et invoque paradoxalement una antienne coloniale tournée contre l’Europe
A très court terme L’Europe aujourd’hui, combien de divisions……hélas ? La crise ukrainienne actuelle pourrait créer une onde de choc de la fragilité de l’Europe au sein des peuples: wishfull thinking problement
Bien amicalement
Merci – je transmets à Serge, qui est l’auteur de cet article de fond, je ne suis que le « support de diffusion »
Monsieur,
Je vous remercie de votre commentaire argumenté. Vus avez raison, bien sûr, il est toujours dangereux de chercher l’amimité des gens plus forts (au sens de la force comme de la capacité de négociation) que soi. Mais vous reconnaîtrez qu’il est également dangereux de les avoir pour adversaires. Il y a donc bien deux sujets orthogonaux : la cohésion de l’Europe, et l’attitude à tenir vis à vis de la Russie. Toute confusion de ces deux sujets ne peut que conduire à un raisonnement biaisé, et donc à des conclusions fausses
Excellent article. Plus je le lisais, plus je me suis dit que je partageais les vues de son auteur.
Il me semblait cependant qu’il manque un rappel de la faiblesse récurrente des Européens et, surtout, de la faiblesse de l’équipe dirigeante US actuelle.
Merci Olivier
Vous avez raison
Je me suis astreint à faire court (6000 signes, 1000 mots) ce qi est déjà un format un peu long pour un blog, celui d’Hervé en particulier. Outre le point que vous mentionnez, j’ai ainsi délibérément omis de mentionner :
* Le tropisme « bras de fer » de Poutine
* Sa formation – et donc son approche – « services spéciaux »
* L’éventualité qu’il vise, outre le Donbass, les oblasts de Kherson et Zaporijjia, de manière à « fermer » la mer d’Azov.
* L’histoire du Rous de Kiev entre les IXème et XIIème siècles, pourtant importante pour comprendre les relations entre Russe et Ukrainiens
* L’histoire politique de l’Ukraine depuis 20 ans, les luttes d’influence entre services américain et russe.
* L’attitude irrespectueuse et condescendante de chefs d’état occidentaux élus, et donc éphémère qui ne peux que blesser le tsar de toutes les Russies
etc…
🙂
timing parfait ! et donc Poutine envahit l’Ukraine moins de 48 h plus tard, ce qu’il avait d’ailleurs presque annoncé dans son discours du 21 …
Bonjour,
Je reconnais un certain plantage… 🙁
la question est donc : quand vas-t’il se proclamer officiellement Empereur de toutes les Russies ?
les paris sont ouverts