Vers une (ré?) unification du judaïsme libéral en France?
Contrairement à ce que pensent de nombreux non-juifs, le judaïsme prend plusieurs formes, en France et dans les finalement assez peu nombreux pays où existe encore une communauté juive. Il suffit de se rendre en Israel pour y passer un weekend, et de constater par exemple que le chabbat n’est pas vécu de la même manière d’un quartier à l’autre, de Jerusalem à Tel-Aviv. Le judaïsme est comme la lumière: son spectre rassemble des courants divers, comme autant d’ondes de longueurs différentes.
En France, il existe quatre ou cinq tendances majeures. Le judaïsme orthodoxe est incarné par le Consistoire central, représenté par le Grand rabbin de France, Haïm Korsia. Mais il existe d’autres communautés. Le mouvement Loubavitch est extrêmement bien implanté, avec sa pratique militante, très accueillante, et qui permet à nombre de mes coreligionnaires de manger cacher ou de trouver un minyan pour faire un kaddish, lors de périples dans des contrées lointaines. Mais il existe aussi des mouvements différents, qui prônent une certaine réforme de la pratique religieuse, attachant moins d’importance à certains détails, ou plus ouverts à la participation des femmes, un axe central selon Leibowitz, qu’on ne peut pourtant pas taxer de pratique libérale. Le mouvement Massorti, par exemple, compte une dizaine de communautés, tout comme les libéraux, avec deux communautés parisiennes, l’ULIF et le MJLF, qui sont bien plus actives qu’on ne pourrait le penser. À l’autre extrémité du spectre, on trouve des mouvements qualifiés d’ultra-orthodoxes, les Haredim, comme la communauté du Rav Rottenberg. Et tout ce petit monde, bon an mal an, ne représente que moins de 600 000 âmes, selon les stats des instances communautaires. Mais j’ai du mal avec ce nombre, qui n’a pas bougé depuis plus de trente ans. Assimilation et alyah ne suffisent pas à balancer un taux de natalité particulièrement élevé au sein des familles orthodoxes.
De par mon ascendance, juif tunisien né au sein d’une famille pratiquante dont une partie vient de Djerba, et l’autre de Nabeul, je suis naturellement enclin à un judaïsme traditionnel, qu’on peut qualifier d’orthodoxe. C’est mon mode de pratique: chomer chabbat chomer mitsvot, comme on dit en hébreu. Mais il m’arrive de fréquenter les autres communautés, ne serait-ce que parce que des amis proches en font partie, m’y invitent à certaines occasions, et que cela me fait plaisir de découvrir d’autres formes de pratiques. J’apprécie les sermons et les écrits de la « rabbine », Delphine Horvilleur, tout comme j’apprécie la tolérance dont fait preuve le mouvement Massorti, sans doute plus proche du judaïsme orthodoxe sur certains aspects.
Une chose pourtant me surprenait jusqu’à présent. Alors que le judaïsme libéral représentait somme toute assez peu de familles en France par comparaison au judaïsme orthodoxe (faute à l’arrivée massive de juifs d’Afrique du nord très traditionalistes comme moi), il existait deux centres – l’un sur la rive droite, et l’autre sur la rive gauche, dirait un observateur extérieur. L’ULIF et le MJLF, pourtant si proches dans leurs perspectives, restaient éloignés, dans leur quotidien communautaire. Je ne sais pas quelle en était la raison. Était-ce une seule communauté scindée en deux un jour de fâcherie? Ou deux personnalités qui ont chacune rassemblé autour d’elles, à un moment clef? Je ne connais pas assez l’histoire du judaïsme libéral de France pour éclaircir le lecteur, si certains savent répondre à cette question, la zone de commentaires ci-après est faite pour eux.
L’annonce du rapprochement de ces deux centres vient enfin réunir les deux rives: un nouveau pont, en quelque sorte, entre Trocadéro et Beaugrenelle. Cela ne représentera rien pour mes amis « orthos ». Mais pour celles et ceux qui fréquentent ces communautés, je suis certain que c’est un moment important.
Qu’il me soit permis de leur adresser ici tous mes voeux de réussite, à l’aube de la nouvelle année 5780…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec