Université d'été du MEDEF – Réespérer – #uemedef11
Redonner la pêche, dixit Laurence Parisot, malgré la crise de cet été. C’est l’exercice auquel se sont livrés les intervenants de cette session, de manière assez scolaire d’ailleurs (petite tendance à lire leurs notes) : normal, on est sur le campus d’une école de commerce… Mais tous ont un problème avec le terme « ré-espérer ». L’espoir est une dimension essentielle des chefs d’entreprise, et on va voir pourquoi.
L’armée
L’amiral Edouard Guillaud est l’homme du jour (conférence sur la Libye cet après-midi). Chef d’Etat-Major depuis 2010, fils d’un grand homme de médias, entame les débats. Il reste optimiste (comme tous les militaires, paraît-il) malgré la longue liste de raisons de désespérer (guerres, crises, etc.). On pourrait désespérer des sociétés européennes devenues hédonistes, mais il y a aussi une jeunesse dans laquelle il garde confiance. Son seul motif de désespoir, c’est désespérer de la morosité ambiante.
Il y a 3 attitudes :
1/ l’angélique, la paix perpétuelle, la fin de l’histoire, les dividendes de la paix. Il défend le « soft power ». Il n’espère pas, il ne réespère pas non plus, il rêve.
2/ l’hypochondriaque, pessimiste impénitent ; Il renonce avant d’entreprendre. Carpe diem, il profite.
3/ le réaliste espérant, l’optimiste de volonté (où il se reconnaît). L’adversité est au cœur de l’histoire, mais il reste lucide, voire cynique. Il comprend que l’équilibre statique finit par un effondrement : il faut un équilibre dynamique. Il relativise toujours. Et au final, il se remet au travail, et réespère.
Cette 3e posture a ses propres exigences :
1/ ne pas subir (Delattre de Tassigny), ou encore « ne me dites pas que c’est impossible » (Maréchal Leclerc), comme en Libye ou en Cote d’Ivoire
2/ la durée : s’inscrire dans le temps long, qui n’est pas celui du scoop, de l’émotion (ou des médias sociaux, note personnelle). Il faut voir loin, non pour prédire l’avenir, mais comprendre ce qui se produit. Ex : construire l’outil de dissuasion nucléaire : 40 ans ; nécessite patience organisée.
3/ comprendre le bien commun, qui n’est pas la somme des intérêts particuliers
4/ les forces morales : le goût de l’effort, du dépassement de soi, l’abnégation, la loyauté, l’esprit d’équipe et même d’équipage (sic !), le courage
A la tête des armées, le désespoir lui est inconnu.
L’Egypte
Mona Makram-Ebeid (professeur de sciences politiques à l’université du Caire) revient de Tahrir.
Quels sont les grands défis que doit relever l’Egypte. Corruption, inégalités, embrasement religieux auraient suffi à tout ébranler. Mais elle a confiance dans la jeunesse. Le pays tourne au ralenti, le tourisme a été bien touché. L’inflation est restée stable autour de 10%, la bourse ne s’est pas effondrée, les experts pensent que l’Egypte peut tirer le meilleur parti d’un environnement sans corruption et un marché de 85 millions d’habitants. Il faut reconstruire le pays par le bas. Quelles sont les forces en présence ?
1/ L’armée. L’armée jouit encore d’un grand prestige (service national obligatoire, présente partout). L’armée a permis la révolution et – non sans humour – les égyptiens aiment l’uniforme (regards vers sont voisin chef d’état-major…). L’armée est aussi un secteur de l’économie bis, un empire économique, colonne vertébrale du pays depuis 1952. Restera-t-elle disponible en sous-main comme en Turquie ?
2/ « Les frères musulmans ». D’abord invisibles, ils ont ensuite gagné leur place mais avec retard. Ils ont d’abord cherché à rassurer le peuple en niant vouloir se présenter aux élections. Ils ont été un repoussoir utile pour les régimes précédents, brandi contre les occidentaux : « c’est eux ou nous ». La nouvelle garde, plus jeune, s’inspire du modèle turc. Pas sûr cependant que les jeunes fans de Facebook voteront pour eux.
3/ Les femmes. Elles ont demandé leurs droits comme les hommes, l’accès à la citoyenneté, elles ont participé, elles ont écrit l’histoire, toutes : jeunes, moins jeunes, musulmanes voilées ou non, laïques, blogueuses ou chefs d’entreprise (note personnelle : mais où est la ménagère de moins de 50 ans ?).
Conclusion : la révolution en Egypte est une opportunité de retour de l’Europe et de la France en Egypte. L’assistance économique est attendue, notamment pour re lancer le tourisme, relancer l’investissement, aider les PME locales, avancer des projets concrets dans la recherche, dans les énergies. Mais aussi ne pas stigmatiser les musulmans en Europe, pour ne pas renforcer les radicaux extrémistes (ovation).
Le Japon
Philippe Faure (ambassadeur à Tokyo). Effectivement, on a besoin de réespérer au Japon (stabilité politique, situation économique, Fukushima, etc.).
Mais le comportement des Japonais est exemplaire : ni vols ni viols malgré les destructions. Là-bas, le civisme s’apprend.
Mais l’économie redémarre : les Japonais se dissimulent dans les niches de très haute technologie, sur une trentaine de secteurs (disques durs des smartphones, lentilles des appareils photos, batteries, matériaux composites, robotique, etc.).
Mais le Japon est un pays riche : c’est le premier créancier de la planète (3000 Mds$ d’investissements). Le Japon vit de ses rentes, et il y a 3 années de PIB en épargne des ménages. Les entreprises font des marges correctes, et distribuent peu de dividendes : elles ont du cash, et avec le Yen fort, elles pourront faire des achats très sélectifs. La région de Tokyo = PIB du Brésil. L’endettement du Japon est à 75% chez les Japonais eux-mêmes.
Mais le Japon est au cœur de l’Asie, là ou se joue l’avenir de la planète. Le Japon reste le cœur technologique de l’Asie (même si la Chine est le centre de production). Les échanges Chine-Japon restent équilibrés.
L’histoire
Marc Ferro (spécialiste du cinéma, de la Russie) prend le flambeau. Doit-on s’inquiéter des faits, non prévus par nos experts, qui se sont passés ces dernières années : le réveil d’un islamisme extrémiste, la cavalcade de crises économiques et financières, l’effondrement des régimes socialistes, l’emballement des progrès de la science, etc. Marc Ferro cite un film canadien des années 70, « Prologue »: il raconte l’histoire d’un journal qui ne raconterait que des bonnes nouvelles. C’est évidemment un échec.
Parmi les grands événements, quel est son point de vue ?
Sur l’Egypte, il est d’accord avec madame Makram-Ebeid, mais il ajoute que ces révolutions sont des « tempêtes de sable », sans doctrine / programme bien affirmé. Rien n’est joué sur l’avenir. Pourtant cela donne des raisons d’espérer, d’abord parce que l’islamisme extrême n’a pas été le fer de lance principal, mais les droits de l’homme, la liberté, du pain, les principes moraux. Nos démocraties occidentales ont, elles, produit fascisme, racisme, rappelle-t-il. Les revendications sont les mêmes de Tunis à Tel-Aviv, et il n’y a plus de grande coupure, finalement, grâce à la jeunesse (note personnelle : serait-ce l’autre facette de la génération Y ?)
L’intervention en Libye a retourné les rapports entre Occident et monde arabe. On n’assiste pas à l’embrasement des masses arabes qu’on a connu en 1979 ou en 2001. Les populations issues du Maghreb, en France, ne prennent pas position sur ce qui s’y passe : le processus d’intégration est en cours, et c’est ce qui est le plus merveilleux…
Les médias
Marie-Christine Saragosse (TV5 Monde) prend la parole mais tout est dans son regard, plutôt ses regards : c’est une femme de médias et d’image, sans aucun doute. Elle part du constat que tous les pays se sont dotés d’une grande chaîne internationale, mais ce sont des chaînes d’information. En revanche, en France, en plus de France 24, il y a une chaîne généraliste (TV5 Monde). C’est une chaîne multilatérale, et non franco-française. Elle peut s’inscrire dans le temps long (en regardant le chef d’état-major…) avec des débats de 90 mn, et non du scoop à outrance. Avec des documentaires (en regardant Marc Ferro), qui permet le temps historique et une vision plis apaisée et optimiste. Avec une dimension plurielle et une administration francophone, et non franco-française. Avec des flux d’images du sud vers le nord. Cela permet de montrer ici ce qui vient d’ailleurs, et ailleurs ce qui vient d’ici (joliment dit). Les contenus sont sous-titrés dans 12 langues dont le japonais (regard vers l’ambassadeur…). C’est une chaîne qui s’engage dans le développement durable (regard vers Hubert Reeves…)
Alain Weill (Next Radio TV) voyage souvent aux US, et constate qu’en France, on est les champions du monde du pessimisme. Aux US, l’entreprise est un lieu d’épanouissement personnel. Là-bas, la fête de l’école c’est le jour de la rentrée : en France, c’est le jour de la sortie. En France, les choses sont compliquées avant d’être possibles. On cherche d’abord à protéger les situations acquises, à privilégier la position des acteurs déjà installés, et cela se fait au détriment du dynamisme de la vie économique.
On reproche aux grandes entreprises françaises d’avoir réussi. On condamne la distribution dividendes (regard à Christophe de Margerie), en oubliant que cela sert à relancer l’économie (note personnelle : là, il va y avoir du boulot pour prouver ce qu’il dit…).
Et pourtant, en France, il y a de nombreuses raisons d’espérer, comme le boum de la natalité, la bonne santé des entreprises du CAC 40.
Petite baffe aux 35 heures au passage : avec cette réforme, on a selon lui envoyé le signal aux jeunes, qu’on ne peut pas s’épanouir par le travail et l’entreprise – applaudissements dans la salle.
On a financé la croissance des entreprises par la dette. L’optimisme et l’espoir sont les sources de financement de demain.
Le foot
Jean-Michel Aulas (CEGID et Olympique Lyonnais) commence par la passion du foot. 30 Mds de spectateurs cumulés lors de la dernière coupe du monde, plusieurs dizaines de millions de pratiquants du ballon rond. Mais diriger un club de foot nécessite des talents particuliers. Il faut privilégier l’imagination à la connaissance. 7 titres de champion de France consécutifs, 15 titres en 10 ans, 12e année consécutive en champion’s league (seuls Madrid, Manchester et Arsenal ont réussi à faire autant).
Avec un tel degré de réussite, on est qualifié d’inhumain. Pour arriver, il s’était fixé 5 objectifs :
1/ l’éthique : la réussite et la passion ne doivent pas l’occulter, le comportement doit être exemplaire
2/ la jeunesse : au lieu d’investir sur les anciens et la notoriété, investir sur la jeunesse et la formation
3/ la diversité : soyons aussi premier chez les filles (5 titres de champion de France, un en Europe)
4/ l’économie : un projet contraire à certaines idées, a permis de financer le stade avec des fonds privés (avec l’aide de Laurence Parisot pour convaincre les autorités) : 450 millions d’investissement, alors que les autres projets de l’euro 2016 sont publics ou fruits de partenariats public-privé (PPP)
5/ l’ouverture
« Lorsqu’on rêve seul, c’est un rêve. Quand on rêve à plusieurs, cela devient une réalité ».
Total
Christophe de Margerie (Total, lui ne lit pas) présent dans des régions où il se passe des choses intéressantes actuellement.
Beaucoup de choses se sont passées, et pas formidables: reprise du chômage, système financier en déshérence, un sentiment de décrochage chez les jeunes. Il y a des problèmes, mais il faut les traiter et il y a des raisons d’espérer. La France est plutôt bien vue à l’étranger, mieux qu’à l’extérieur : nous sommes toujours reconnus pour le rayonnement économique et intellectuel, malgré une certaine arrogance. Les entreprises réussissent bien, et les PME aussi (ah bon ?), et pas que dans le luxe. Si la croissance est plus forte à l’étranger qu’en France, il n’y a qu’à aller la chercher : la croissance des pays étrangers peut aider les entreprises françaises ; mais attention aux fraudes et aux risques. Enfin, on peut être fier du système de protection sociale, même s’il doit être réformé, sans oublier qu’avant de dépenser et partager, il faut créer de la valeur… L’Europe ne va pas si mal : oui il a le problème des Grecs, de la dette, mais c’est un problème mondial, ce n’est pas le problème de l’Europe. On découvre que l’euro n’est pas une monnaie, mais que le dollar en est une : il y a toujours l’euro allemand, l’euro français, etc. Arrêtons notre frilosité vis-à-vis des entreprises allemandes : on travaille très bien ensemble (note : ex : EADS, Arte), ce sont d’excellents partenaires, notamment vis-à-vis de la Russie et de la Chine. Il y a moins de pauvres en France qu’autrefois (euh…), il y a des choses qui marchent, notamment l’énergie. Il faut réfléchir au mix énergétique. Pour permettre à la Libye de retrouver son rang, il propose de l’aider à redémarrer son tissu pétrolier aussi tôt que possible.
L’Afrique
Cheick Modibo Diarra (Président de Microsoft Afrique), malien et ambassadeur de l’UNESCO, rappelle que la perception a tendance à remplacer la réalité. Notamment au sujet de l’Afrique : les choses positives qui s’y passent, nous échappent. Quand on pense Afrique, on pense : corruption, échecs, dictatures. Il préfère penser comme Clinton : l’opportunité de poser son empreinte est là. L’Afrique dépasse 1 milliard d’habitants. C’est un continent riche, non seulement de son sous-sol, mais aussi de ses habitants, avec une population jeune (65% a moins de 35 ans). Tout cela, avec une nouvelle élite, bien éduquée, qui revient en Afrique, cela porte à l’espoir. L’arrivée d’entreprises étrangères, qui assument leur rôle citoyen (note : il pense à Microsoft ou à Total en ce moment ?…), c’est aussi de l’espoir.
Citant le poète cité par JM Aulas, il rêve d’une Afrique en paix, où les gens mangent à leur faim, où la sécurité règnerait, où les citoyens contribueraient à la grandeur de l’humanité.
Une intervention courte, mais sans doute bien meilleure que celle de C. de Margerie ou d’Alain Weill. Dommage qu’il n’ait eu que si peu la parole.
La foi
Le Père Etienne Michelin (frère d’Edouard) va être bref, en raison de l’hypoglycémie ambiante (retard de 5 minutes déjà).
Il raconte deux histories. Un couple de japonais qui décide nommer son enfant nosomé (espérance), symbolisé par la lune et l’homme. Mais en chinois, l’espérance est représentée par la lune, le roi et la mort. La tradition biblique ajoute le soleil, symbole de permanence. Nous mourront tous, mais les sources de vie, elles, doivent être impérissables. Organiser la vie et transmettre, c’est la forme principale des entreprises. Les catastrophes sont peut-être naturelles, mais la main de l’homme n’en est pas étrangère. Suivent 15 secondes de silence. (note : décidément, j’ai toujours le même problème avec les hommes de foi…)
Les étoiles
Hubert Reeves (astrophysicien canadien) va conclure. Il faut comprendre ce que nous sommes, et perdre nos illusions. Nous sommes une lignée animale comme beaucoup d’autres (Darwin), et comme toutes les lignées animales, nous pouvons disparaître, et ça, ça fait mal (pan dans la religion, qui prétend que nous sommes le but ultime de la création). Vivre avec une idée hostile, c’est très difficile, nous sommes démunis. Notre intelligence nous permet de modifier la planète : de la réchauffer, d’acidifier les océans, de tondre les forêts. L’intelligence est-elle un cadeau empoisonné ? Une espèce intelligente n’est pas vouée à aboutir à son autodestruction ? (concept d’apoptose…).
Nous sommes en pleine crise écologique : c’est l’érosion de la biodiversité. Après les tigres, nous éliminons les vers de terre et les abeilles.
Il rappelle que la fin du XIXe siècle a été un grand carnage. C’est à cette époque que la conscience de certains individus s’éveille, pour sauver, in extremis, les baleines, les bisons. Cela part d’ailleurs des Etats-Unis (création des grands parcs, notamment).
Qu’en est-il aujourd’hui ? La détérioration se poursuit, plus vite que jamais. Nous augmentons chaque année la quantité de gaz à effet de serre, alors que nous devrions la réduire de 75 à 80%. L’espoir réside dans l’humanisme de quelques uns. La vie nous survivra même si nous disparaissons, mais ne soyons pas la victimes de Prométhée. Prenez les tortues : elles existent depuis 300 millions d’années, et existent encore. Nous, au bout de 30 millions d’années, arrivons déjà à un terme proche ! les espèces animales qui durent sont celles qui vivent en harmonie avec la nature. Nous, nous sommes encore des prédateurs, et il est temps de prendre espoir. (petits sourires coincés sur l’etrade, notamment du chef d’etat-major ou de Mr de Margerie…)
Merci Olivier Jay, qui n’a pas réussi à faire court et a fait plus de 2 heures… A table !
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
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