Un président doit-il tenir (toutes) ses promesses?
Le buzz du jour, c’est Lui Président, un site censé mesurer le taux de réalisation des promesses énoncées par François Hollande, candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2012, élu il y a donc tout juste trois ans. Lancé par trois journalistes, Maxime Vaudano, Clément Parrot et Corentin Dautreppe, respectivement en poste au Monde, chez France Télévisions et à l’AFP, ce site fort bien réalisé tant d’un point de vue graphique que technique pose une question sous-jacente essentielle: un président est-il tenu de réaliser toutes ses promesses de campagne?
(Image: Matthieu Riegler, CC-by, via Wikipedia)
Personnellement, je ne le pense pas, et voici pourquoi.
Un candidat, ça promet beaucoup pour ratisser large
C’est la base du suffrage universel et du scrutin majoritaire à deux tours. Souvenez-vous, Lionel Jospin en a payé le prix en 2002. Pour se faire élire président de la république, il faut récolter non seulement les voix de son propre parti – et de nos jours, le PS ou l’UMP (pardon, les Républicains) représentent moins de 30% des suffrages exprimés – mais passer devant le FN et donc ne pas laisser son électorat s’émietter par la présence de « petits candidats » qui, grignotant 0,5 à 2% deci delà peuvent vous faire louper le coche.
Or pour rallier ces partis minoritaires et éviter qu’ils ne présentent de candidat, il faut intégrer une part de leur programme et quantité de promesses de postes à la clé. C’est ainsi que le candidat de gauche doit intégrer des promesses qui relèvent de l’aile la plus à gauche ou des partis écologistes, pour éviter des candidatures dissidentes, ou que le candidat UMP (pardon, les républicains) intègre des éléments du discours d’extrême droit et du centre. Cela relève du grand écart, mais vous pouvez être certain qu’un candidat à l’élection promet un tas de choses qu’il n’envisage pas une seule seconde de mettre en oeuvre.
Il y a le temps du candidat, et le temps du président
Entre la campagne électorale et le mandat du président, se déroule une période de six à sept années. A l’époque du septennat, ce laps de temps s’étalait sur huit à neuf ans. Il va de soi que le contexte dans lequel la France évolue peut changer du tout en tout durant de telles périodes. Nicolas Sarkozy fut élu durant une période économiquement plutôt favorable, alors que son quinquennat s’est déroulé pendant l’une des crises les plus graves de ces cinquante dernières années. Il va donc de soi que le programme du candidat ne peut pas toujours être mis en oeuvre, si le contexte ne s’y prête pas. Cela relève de la simple logique économique ou politique. Un président, un gouvernement, doivent faire face à des situations mouvantes, et donc savoir s’adapter et se libérer d’un contexte aussi stricte que l’énoncé de promesses durant la campagne électorale qui l’a porté au pouvoir.
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient
Ce bon mot, prêté si je me souviens bien à Charles Pasqua alors qu’il officiait à la tête du département des Hauts de Seine, et qui, je l’avoue, m’avait choqué dans ma jeunesse lorsque je l’avais lu dans Le Canard Enchaîné, est en réalité la base même de la politique et de la conduite d’une communauté humaine de plusieurs milliers d’individus.
Diriger, c’est faire la part des choses. Il existe peu de groupes humains au sein desquels un consensus s’établit de manière naturelle, à la fois durablement et de façon totale. Un accord qui récolterait 100% d’adhésion laisserait plutôt penser à une dictature ou à un régime totalitaire, qu’à une démocratie. La diversité des voix fait partie de notre cadre de vie.
Dans de telles situations, le leader doit faire des choix. Il doit promettre, et promettre souvent pour emporter le groupe avec lui. Il doit tenir certaines de ses promesses, mais ne peut les tenir toutes, car il sait qu’il risquerait de se froisser avec une partie du groupe. L’arbitrage fait partie de son lot quotidien. Parlez-en à vos élus. S’ils sont francs avec vous, ils le reconnaîtront, même à mots couverts.
Qu’ont fait les autres présidents?
Enfin, tenir le compte des promesses électorales tenues ou non, c’est faire du chef de l’état non pas une personne souveraine et capable de jugement, mais l’instrument de la société à la tête de laquelle il évolue. Quel besoin d’élire un homme, dans ce cas? Elisons un robot, une machine, qui n’aurait de cesse de remplir les fonctions qu’on lui attribue.
On n’élit pas un président pour sa capacité d’exécutant, ou le choisit pour sa capacité à conduire l’état, que les conditions de l’exercice de son pouvoir soient favorables ou non. C’est sur ses actes, et non surs ses promesses, qu’un chef de l’état doit être jugé.
Et si vous insistez vraiment pour mesurer le taux de réalisation des promesses, pourquoi donc s’en tenir à François Hollande, auquel il reste encore deux ans d’exercice de son mandat, et auquel un tel site ne rend évidemment pas service? Il eut été plus fin, plus rigoureux et sûrement plus facile, de mener le même exercice sur les présidents passés de la Ve République. Combien de promesses tenues chez Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, François Mitterrand, Georges Pompidou ou Charles de Gaulle? Allons messieurs les journalistes, un petit effort, c’est surement réalisable à peu de frais…
Malgré la qualité du site et les intentions probablement bonnes de nos trois amis journalistes, le site Lui président ne rend à mon avis pas un grand service à l’état français, à la république et à notre démocratie. Plus populiste qu’utile, il mériterait une réflexion plus poussé que la liste d’indicateurs qu’il propose.
A fuir.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec