Ubérisons l’État ! Avant que d’autres ne s’en chargent
J’ai déjà parlé du travail remarquable mené par Laura Létourneau et Clément Bertholet, lors de la présentation de leur thèse il y a quelques mois. Ces deux ingénieurs du Corps des Mines ont sorti il y a quelques jours un livre issu de leur travail de recherche, qui va encore plus loin que l’exposé qu’ils avaient faits à l’Ecole des Mines.
Ubérisons l’État ! Avant que d’autres ne s’en chargent est un livre majeur, qui va bien plus loin que ce que son titre laisse présager.
Le constat initial est connu: l’ubérisation touche les secteurs, surtout ceux qui ne s’y s’ont pas préparés. L’état représente donc la « cible idéale », du fait de son obésité, de sa lenteur, et du sentiment d’être à l’abri, protégé par les prérogatives qui sont les siennes.
Patatras! Bien entendu, l’ubérisation de l’état a déjà commencé, et est déjà bien avancée, à en juger par la liste des services mis à disposition par les GAFA, et qui font directement concurrence dans certains domaines à ceux que l’état pourrait – devrait ? – mettre au service des citoyens. Ce bilan lourd de sens fait l’objet de la première partie de l’ouvrage. J’y ai découvert les lois de Rolland, qui définissent les principes du fonctionnement du service public: la continuité, la mutabilité (ou adaptabilité), l’égalité (ou universalité). Les auteurs les mettent en face des principes qui dictent l’élaboration de nouveaux produits et services chez Google: résout-il un problème? met-il l’utilisateur au centre? concerne-t-il le monde entier? Etrange parallèle, non?
Les auteurs recommandent donc de lancer un vaste mouvement d’ubérisation des services de l’état. mais pas n’importe comment. Pour eux – et je partage abondamment leur avis – il ne s’agit pas de développe rune multitude de services qui deviendraient obsolètes rapidement, mais de transformer l’administration en méta-plateforme, comme le sont les Google et Facebook. Il ne s’agit pas de concurrencer ces géants, mais de s’inspirer de leurs approches, qui visent à laisser d’autres services se construire et fleurir par dessus leurs propres infrastructures, quitte à les concurrencer un jour.
Cette démarche est déjà à l’ordre du jour. On redécouvre, en lisant ce livre, que des projets innovants émanant de l’état lui-même, via le SGMAP, ou de start-up innovantes qui s’appuient sur l’accès à des données ouvertes, au travers d’API, existent déjà. Citons par exemple Nouma ou Doctrine.fr, déjà évoqués sur ce blog. Ou encore le programme Dites-le nous une fois, dont j’ai encore du mal à voir les résultats.
Une telle évolution se heurte à deux freins principaux, auxquels les auteurs dédient un chapitre. La conduite du changement, d’une part, à l’échelle de la fonction publiques (5,6m de personnes, soit deux fois les effectifs mondiaux de McDo, ou 25 fois ceux de BNP Paribas…). Un tel défi ne peut se mener de front: c’est petit à petit, organisation par organisation, qu’on arrive à faire évoluer un tel mastodonte. Le second défi, c’est la pérennité des initiatives et des chantiers menés par les états eux-mêmes. Facebook, Google ou Amazon, ont toujours connu les mêmes dirigeants à leur tête depuis leur création (même si la seconde ligne peut évoluer): cela permet de construire dans la durée, sans devoir rendre des comptes trimestriels à des millions d’électeurs, au travers des chiffres du chômage ou de la croissance qui font et défont les majorités. En face, les états sont dirigés par des gouvernements qui, au mieux, peuvent espérer se maintenir le temps d’un ou deux mandats (exception faite de cas exceptionnel de Mme Merkel). On mesure mieux, à l’aune de cet argument, les dégâts occasionnés d’ailleurs par le passage du septennat au quinquennat (remercions encore une fois Jacques Chirac, qui fut le promoteur de cette réforme, ainsi que de la disparition du service militaire…).
L’ouvrage s’achève par un chapitre consacré au renouveau démocratique. C’est celui qui m’a le moins intéressé: j’ai encore du mal à voir les bénéfices du numérique pour nos démocraties. Et les propos qu circulent ces derniers temps sur les médias sociaux, autour de la campagne en cours, ne m’incitent pas à changer d’avis.
Au final, Ubérisons l’état avant que d’autres ne s’en chargent est un livre passionnant, qui devrait être au programme des prochaines promotions d’énarques appelées à de hautes fonctions administratives, et, pourquoi, sur la table de chevet du prochain président de la république, qui y puisera, s’il n’en avait pas encore eu l’idée, d’innombrables voies de réformes pour les années à venir…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Curieux. L’ubérisation doit faire sauter les intermédiaires. Les corps de l’Etat devraient donc être les premiers concernés. S’ils le faisaient, cela nous donnerait peut-être une idée de comment procéder au niveau de l’Etat et des entreprises.
Et cela porte même un nom. A l’époque ou la conduite du changement était un sujet d’études (après guerre), on recommandait de commencer un changement par un « projet périphérique ». C’est que j’appelle la méthode du vaccin.
Pour ceux qui n’ont pas le temps de lire le livre, voici un excellent 4 pages à télécharger:
http://www.annales.org/gazette/2017/gazette2017.html