Tu seras livreur, mon fils
Jeudi 30 mai 2019, il est vingt heures, mon épouse passe une commande auprès d’un restaurant de hamburgers boulonnais. Plutôt que de nous faire livrer, je lui propose d’aller chercher moi-même l’objet de notre commande, à 5 minutes en voiture depuis notre lieu de résidence. Le temps de sauter dans mon véhicule, je démarre, effectue les 2 kilomètres qui me séparent du commerçant… et soudain, une pensée m’assaille: en ce weekend du pont de l’Ascension, alors que la banlieue parisienne a été largement désertée, je n’ai croisé que … des livreurs. En bicyclette ou en moto, j’ai dû en croiser une dizaine sur le chemin.
Nous sommes cernés par les chauffeurs-livreurs
Un souvenir me revient alors en mémoire. Il y a quelques semaines, parti voir un match au Parc des Princes, j’ai saisi quelques bribes de conversation autour de moi. Elles tournaient pratiquement toutes autour de livraisons effectuées à tel ou tel endroit, en région parisienne. Un tel ne connaissait pas le chemin, un autre avait noté un détail passionnant sur la nature de la personne auprès de qui il avait fait la livraison, et le partageait avec ses amis. À ce moment là, j’eus le sentiment d’être assailli par une horde de livreurs, tous fans de PSG.
Combien sont-ils en France? Quelques milliers? Des dizaines de milliers, des centaines de milliers? Je n’en sais rien, et je n’ai trouvé aucune statistique fiable malgré mes recherches en ligne. Qu’il s’agisse de pizzas, de burgers, de sushi, de colis Amazon ou de toute autre chose, ils font tourner l’économie moderne. À un niveau que nous sous-estimons probablement. Dans le numéro de mai 2019 de sa lettre des signaux faibles, Philippe Cahen le rappelle, « …en 2018, les frais d’expédition d’Amazon sont de 27,5 milliards$, 16% du CA e-commerce…« . Combien gagnent-ils? Sont-ils syndiqués? Quelle est leur moyenne d’âge? S’agit-ils de jobs précaires? D’étudiants qui financent leurs études en faisant ce type de petit boulot?
On entend souvent parler des transformations des métiers de La Poste, souvent sur un mode très négatif, en mettant en avant le déclin du courier papier. Mais on oublie de contre-balancer ce constat avec l’envolée des modes de livraison. Alors que La Poste songe à transformer les facteurs en aides-soignants à domicile, des entreprises comme Deliveroo, au capital duquel est récemment monté Amazon, s’imposent dans la livraison de repas, en attendant de passer à autre chose. Il existe même une communauté des livreurs Deliveroo!
Et pourquoi pas un livreur autonome?
Sur le chemin du retour, une autre pensée me vient. Si au lieu de s’intéresser à la voiture autonome et d’imagine disrupter d’un seul coup tout le secteur transport, un constructeur lançait un livreur autonome, autrement dit un deux-roues motorisé sans conducteur, doté de plusieurs rangements capables de conserver la nourriture à la bonne température, de se diriger seul depuis un ou plusieurs points de collecte vers les lieux de consommation? Je suis certain qu’un tel véhicule serait bien moins difficile à mettre au point, ne serait-ce que par la diminution des dangers liés à la prise de décision en contexte mortel: en cas de problème, le livreur autonome peut se sacrifier. Il réduirait les risques liés à la fatigue, au stress, fonctionnerait de jour comme de nuit, et bien entendu, ne se mettrait jamais en grève…
De toute évidence, le livreur autonome connaîtrait un succès fulgurant. Mais j’arrête de radoter: d’autres y ont déjà pensé avant moi. Et visiblement, leur projets sont bien avancés…
J’espère que tu ne seras pas livreur, mon fils.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Je me suis fait la même réflexion, dans mon train de banlieue. A certaines heures il peut y avoir deux ou trois vélos par wagon. J’ai mis un peu de temps à comprendre de quoi il s’agissait, car leurs possesseurs ressemblaient à des Hervé Kabla : jeunes, athlétiques, bien équipés, hyper numérisés, ayant des bicyclettes du dernier cri.
Quant à la livraison autonome, il me semble que l’on envisage le drone, surtout.
Il y a quelques années j’ai acheté un recueil de numéros de l’hebdomadaire
« Le Monde illustré »
l’illustration datant de 1861.
Dans le numéro du 10 août 1861, une courte nouvelle d’anticipation y décrivait un Paris où tous les commerces étaient progressivement remplacés par des boutiques de photographies !
À la fin, toute la population mourait de fin !
Dans quelques années, on passera peut être tous notre temps à se livrer des choses les uns aux autres.
Au moins on ne mourra pas de fin !