Trump, entre Saint-Michel et Saint-Stéphane
« Les cons ça ose tout, c’est même à cela qu’on les reconnaît. » Cette réplique des Tontons flingueurs fait partie du patrimoine national, et offre une grille de lecture universelle permettant d’analyser tout ce qui nous déplaît. Un conducteur vous fait une queue de poisson ? C’est un con. Un individu vous double dans une file d’attente ? C’est un con aussi. Un cycliste vous fait un bras d’honneur ? Même verdict. Grille facile, en vérité, accessible à tous, qui ne nécessite aucun diplôme, qu’un enfant de huit ans peut maîtrise. Et dont le seul défaut, ne l’oublions pas, est qu’on a tendance à oublier de se l’appliquer à soi-même de temps à autre.
Il existe cependant une autre catégorie de gens qui osent tout, et qu’on ne devrait pas forcément qualifier de « cons » : les innovateurs. C’est même leur rôle : à quoi servirait un innovateur qui oserait peu ? Le qualifierait-on, d’ailleurs, d’innovateur ? Certainement pas. Pour innover, il faut de l’audace, du flair, du courage, une envie insatiable de découvrir autre chose. Quoi ? On ne le sait pas forcément, puisqu’on innove : innover, c’est souvent trouver ce qu’on ne cherchait pas. Même si on sait à peu près dans quelle direction on veut aller.
En est-il de même en politique ? C’est une question fondamentale, à laquelle Jacques Chirac, jadis, tranchait de manière lapidaire, en s’en référant à Saint-Michel (Audiard) plutôt qu’à Saint-Stéphane (Steve Jobs). Un candidat à une élection locale, qui se maintient envers et contre tous, en faisant fi de la consigne de son parti ? Un con. Un candidat à une élection présidentielle qui se présente alors qu’il traîne quelques casseroles ? Un con. C’est vrai que dans ces deux cas, on aurait du mal à discerner une dose d’innovation, si infime soit-elle.
Mais l’actualité internationale nous offre un nouveau cas, dont l’analyse n’est pas dépourvue d’intérêt. Le président américain vient en effet, au travers d’un tweet très suggestif, de remettre en cause la tenue de l’élection présidentielle prévue en novembre prochain, au prétexte que l’épidémie de Covid-19 obligerait à développer de manière massive le vote électronique, augmentant ainsi le risque de fraude.
Je vois déjà nombre d’entre vous se précipiter vers Saint-Michel, et le traiter de con, si ce n’est pas pire : fasciste, coup d’état, sont les termes qui reviennent le plus souvent, et le point Godwin n’est plus très loin, quand on observe la teneur des débats sur ce sujet.
Pourtant, dans le cas où l’épidémie ferait encore des ravages outre-Atlantique, pourrait-on dire de cette proposition qu’elle relève de la pure connerie ? Je me souviens encore, il y a quelques mois, des reproches exprimés envers le gouvernement français, pour avoir maintenu le premier tour des municipales. On pourra objecter que dans notre cas, il s’agissait d’élections locales, d’un impact plus faible qu’une élection présidentielle, qui plus est pour élire l’un des personnages considérés parmi les plus puissants au monde. Mais d’une puissance limitée, il faut bien le reconnaître, quand la moindre de ses suggestions le range dans la catégorie des cons.
j’y vois, pour ma part, et non sans ironie, une dose d’innovation politique. Tout comme le Tsar Vladimir, qui s’est assuré une place au soleil pour les quinze prochaines années après avoir dominé la place politique russe pendant les vingt dernières, Trump est peut-être en train d’innover à sa manière. Où souhaite-t-il aller ? Je n’en sais rien, et je crois bien que lui non plus ne le sait pas, comme tout innovateur qui se respecte. Après tout, Joe Biden et lui sont deux septuagénaires, et par les temps qui courent, une campagne électorale avec son lot de meetings et de rencontres aléatoires n’est pas ce qu’on leur recommanderait.
Mais on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir d’idées.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec