Trump 2 : La Mission
Il faut s’attendre à tout avec un personnage comme Donald Trump : aux coups les plus tordus comme aux come-backs les plus brillants. Et en matière de come-back, nous avons été servis. Nous avons même été doublement servis, avec cette campagne record, durant laquelle il fut la cible d’un attentat (et peut-être la cible d’un second), face tout d’abord à Joe Biden, son adversaire précédent, sur le déclin, et qui dut jeter l’éponge pour laisser la place à sa vice-présidente. Puis face à une adversaire plus jeune, plus étonnante (première femme noire à candidater), et qu’on aurait pu croire plus coriace, mais dont les attaques ont fini par s’émousser au fil de sa courte campagne.
On vous l’avait bien dit … euh non, en fait
On a cru, jusqu’aux derniers instants, cette bataille indécise. Les instituts de sondages donnaient un résultat illisible, des adversaires au coude à coude, un 50-50 indécis jusqu’au dernier jour, à l’unanimité des instituts, une unanimité dont on aurait pu se douter qu’elle cachait probablement d’autres problèmes, comme l’explique si bien Daniel Sibony dans la newsletter TTSO d’hier soir.
Surtout, on redoutait ce que cela aurait pu engendrer, si Kamala Harris avait gagné. Trump aurait bien entendu contesté sa défaite. Le pays, divisé en deux au terme de cette campagne, saurait-il contenir les débordements d’une foule hostile, qui a déjà tenté de prendre d’assaut le Capitole, comme en janvier 2020 ? La menace d’une guerre civile était en train de poindre, et même les médias les plus sérieux se sont mis à nous faire flipper…
Et puis Trump a remporté cette élection.
Sèchement.
Sans contestation.
Comme un match du PSG, qui s’achèverait sur un défaite 2-1 à domicile.
Gueule de bois à tous les étages
Un peu partout dans le monde, et particulièrement en France, le « camp des démocrates », comme il s’auto qualifie, a eu du mal à l’encaisser. La gauche unanime, s’est dressée contre cette victoire à la régulière, allant jusqu’à imouter cette défaite des démocrates américains … au soutien du « génocide à Gaza ». Comme si l’électeur du middle-west se levait chaque matin, en pensant aux Gazaouis.
Les analyses que j’ai pu lire en ligne se ressemblent à peu près toutes, traitant, en termes plus civilisés bien entendu, l’électeur américain de con, et Donald trump de dictateur en puissance… Entre pleurs, sensations de dégoût, maux de ventre, on a l’impression que ces analystes – professionnels ou amateurs – projettent leurs fantasmes sur une élection qui compte probablement un peu plus aux yeux de quelques 350 millions de citoyens américains.
Seules deux interprétations de ce scrutin m’ont semblé trouver les mots justes. Celle de Carlos Diaz, sur LinkedIn, tout d’abord. Installé aux US depuis quelques années déjà, l’ancien fondateur de blueKiwi (qui est probablement l’une des deux personnes, avec Bertrand Duperrin, qui m’ont convaincu d’ouvrir un blog…), il possède une excellente capacité d’analyse et publiait, dès hier, ce texte limpide.
Le texte à lire
La seconde analyse a été publiée sur Twitter par Hubert Huertas. Cet ancien journaliste passé par France Inter, France Infos puis France Culture, invoque, comme raison principale de la victoire de Trump, la menace que représente l’essor du wokisme aux Etats-Unis. J’aurais aimé avoir écrit ce texte, aussi je vous le livre ci-après, en songeant à mes lecteurs qui n’auraient pas accès à Twitter.
Donald Trump est un personnage qui fait peur et il a été élu par le peuple américain. S’il a triomphé, et pas qu’un peu, c’est donc que dans notre Occident quelque chose fait encore plus peur que lui. Ce quelque chose a envoyé par le fond l’inoffensive Kamala Harris, et toutes les gauches du monde doivent s’interroger sur sa nature. Ce quelque chose est l’objet d’une espèce de guerre de religions. Les gauches assurent le plus souvent qu’il n’existe pas, les droites en parlent comme on évoque le diable. Ce quelque chose porte un nom bizarre : c’est la nébuleuse Woke. Ce wokisme porte en lui tous les marqueurs de la gauche : la libération des peuples, l’émancipation des individus, la liberté des femmes, celle des minorités sexuelles…
Dans toute l’histoire du XXème siècle ces marqueurs ont été des phares qui rassemblaient au-delà des différences, dans l’idée d’une humanité universelle. Hélas ces concepts ont été retournées comme des gants. On a sectionné et intersectionné les revendications en mouvement multiples qui ne prônaient plus des libérations mais portaient des accusations. L’universalisme a accouché du « vieux mâle blanc » universel, et forcément colonialiste, qui est entré dans un box des accusés décrit à longueur de médias et de réseaux sociaux.
Regardez un par un les thèmes fétiches de cette gauche woke : l’antiracisme ne réclame plus l’égalité, il consacre d’irrémédiables différences racialistes qu’il serait impossible de dépasser (seul un noir pourrait comprendre le sort des noirs, un arabe le sort des arabes, etc. et il faudrait se retrouver entre soi à l’exclusion de tous les autres pour oser en parler) ; le féminisme ne réclame plus la libération des femmes mais dénonce les hommes qui seraient tous les monsieur Pélicot ; les populations nouvelles arrivées dans une population donnée ne réclament plus de devenir les égales des autres mais exigent au contraire de conserver leur différence, et de les brandir comme des actes de résistance ; les minorités sexuelles bruyantes ne réclament plus seulement qu’on cesse enfin de les considérer comme « anormales », elles aspirent à devenir la norme en moquant le vieux mâle blanc forcément hétéro…
Or, dans ce tapage universel, écoutez ce qui s’est dit de la campagne de Kamala Harris. Elle n’avait de résonance que par rapport à des « sections » : la section femme, la section noire, la section latino. Il se trouve, sans doute, que ces sections ont été ressenties comme des sections d’assaut et le peuple en a pris peur, comme ailleurs, comme partout dans l’Occident. Pas seulement les hommes, pas seulement les blancs, pas seulement les fachos, mais les femmes aussi, qui ont voté pour Trump, mais les noirs, mais les latinos qui ont quitté en masse les démocrates. Toutes ces phalanges ont fait peur au peuple universel oublié par la gauche au profit d’une multitude de minorités agressives. Encore plus peur que l’affreux Donald Trump, et le résultat est là.
https://x.com/Huberthuertas/status/1854097123643416832
Ce que dit en substance Hubert Huertas, c’est qu’au-delà de l’électorat de base déjà non négligeable dont il dispose, Trump a su séduire des électeurs qui a priori auraient dû être acquis aux idées démocrates, mais qui ne s’y retrouvent pas tant leur discours s’adressant à toutes les minorités finit par ériger les unes contre les autres.
C’est peut-être le grand paradoxe de notre époque. La gauche a abandonné l’universalisme pour adopter une attitude de combat au service de toutes les minorités, faisant semblant d’ignorer que cela conduit à l’anarchie. La droite, a priori plus individualiste, finit par rassembler ces individualités contre la multitude des micro-causes qui les menacent.
Nous sommes sortis du choc des civilisations. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère.
Elle aboutira à la marginalisation des mouvements de gauche, devenus les idiots utiles de la planète. Et à la victoire des nationalismes de toute forme, qui seront parvenus au pouvoir sur des bases démocratiques, et finiront probablement par intégrer cette dimension sur le long terme.
Marine Le Pen a un boulevard devant elle. Rendez-vous en 2027.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec