Tous en Seine !

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On prête au sport en général, et à l’olympisme en particulier, des vertus aussi nombreuses qu’insoupçonnées. Au-delà des bienfaits pour la santé, aussi bien mentale que physique, le sport porterait par sa nature intrinsèque, des valeurs allant de l’accomplissement de soi (la performance) à l’ouverture vers les autres (le sport en équipe), de la saine combativité (face à l’adversaire) à l’endurance (ne jamais baisser les bras). Bref, oubliez la religion, l’éducation ou la philosophie, faites du sport, et vous verrez, tout ira mieux. Citius, altius, fortius, n’est-elle pas la devise de l’olympisme ?

Et bien imaginez-vous que grâce aux Jeux Olympiques de Paris 2024, on va pouvoir ajouter quelques vertus supplémentaires à cette panoplie déjà bien remplie. En voici quelques exemples, tirés de l’actualité de cette semaine.

Accomplir des miracles

La première de ces vertus, c’est l’accomplissement de miracles. Moise, Jésus et Mahomet peuvent aller se cacher, les JO sont encore plus forts. Et encore plus forts quand il s’agit de sports nautiques. Plus fort que séparer la mer en deux (ou en douze), plus fort que marcher sur l’eau, on pensait que c’était inimaginable. Et bien non, et deux sportives de haut niveau nous en ont donné la parfaite illustration, avec une baignade olympique dans le fleuve où pas un parisien n’irait tremper ses pieds : la Seine.

Tellement jolie, elle nous ensorcelle, nous explique Lucille dans Un Monstre à Paris. Oui mais nous, nous n’avons pas un monstre, mais deux monstres : Anne Hidalgo et Amélie Oudéa-Castéra. La première, maire de Paris depuis quelques années déjà, avait promis, telle Jacques Chirac, qu’elle plongerait un jour dans la Seine. On sait ce qu’il advint de la promesse de Chirac, restée lettre morte. Mais Anne Hidalgo, elle, tient ses promesses, et nous a gratifiés de quelques élégantes longueurs dans le petit bassin parisien, dans une combinaison d’un chic rarissime.

Cette performance de l’édile parisienne était elle-même déjà un exploit de niveau international, mais que dire de celle de notre ex Ministre des Sports, des Jeux Olympiques et Paralympiques (si si, c’était son titre), fugace ministre de l’Éducation, mais toujours à la gestion des affaires courantes en vertu des résultats complexes des récentes élections ? L’ex joueuse de tennis de haut niveau (paraît-il), s’est mise en Seine quelques jours plus tôt, grillant la politesse à une Anne Hidalgo (qui l’aurait très mal pris), réalisant une performance encore plus risquée, à la limite de la glissade, sous le regard de canards médusés par tant d’audace, a l’ombre d’une péniche judicieusement baptisée « Petite Vitesse », en hommage au trafic parisien, dont il sera question plus bas. Non contente de son premier bain, elle a remis cela quelques secondes plus tard, avec un plongeon digne des étés familiaux à Palavas-les-Flots.

Faire passer l’intérêt privé devant l’intérêt public

Dans une France secouée par le traumatisme d’élections législatives incertaines, partagée entre une franche montée des extrêmes et un effondrement limité des partis traditionnels et du centre, mais fermement attachée à deux siècles et demi de convictions républicaines comme le fait de faire passer l’intérêt commun devant l’intérêt particulier, un second miracle s’est accompli : l’intérêt commun a été relégué au second rang, au profit d’une organisation internationale aux buts qu’on a de plus en plus de mal à qualifier de non lucratifs.

Au profit du CIO et des JO de Paris 2024, que vous avez, j’espère, bien anticipé, Paris s’est donc transformé dans une espèce de territoire supra-national, qu’on ne peut arpenter, dans certaines zones, qu’en exhibant un QR code salvateur tous les 100 mètres. Rive droite comme rive gauche, aucun traitement de faveur, tous les parisiens sont pris dans la même galère. La traversée des ponts parisiens n’est plus possible dans un large secteur s’étendant du Trocadéro à l’Hôtel de Ville, et la circulation est soit interrompue, soir réduite à une seule voie au bénéfice de la voie baptisée JO Paris 2024, qu’on ne peut emprunter sous peine d’une amende d’un montant significatif (il n’y a pas de petits profits…).

Cette glorieuse voie réservée sillonne les grands axes parisiens, ainsi que les périphériques, réduits à deux ou une seule voie sur certains secteurs, et les autoroutes permettant d’accéder à Paris depuis les aéroports ou les autres sites des Jeux : A1, A4, A6, A13, il y en aura pour tout le monde.

Tout ça pour qu’un petit groupe de quelques milliers d’athlètes et quelques centaines de milliers (tout au plus) de spectateurs attendus profitent de ce bijou que deux millions de Parisiens et six de banlieusards arpentent quotidiennement. Sérieusement amis lecteurs, nous ne connaissons pas notre bonheur de circuler dans un Paris libéré. des jeux…

Se posera un jour, cependant, le coût de ce miracle libéral. Qu’un organisme comme le CIO bénéficie d’une réception aussi grandiose, passe encore, mais qui paie tout cela ? Croyez-vous qu’il s’agisse de cet organisme assez opaque, ayant siège à Lausanne, et qui défraie régulièrement la chronique pour des affaires de corruption ?

Que nenni.

C’est bien vous, amis Parisiens, et même compatriotes, qui en faites les frais. De manière explicite, par une dépense publique qui avoisine les 10 milliards d’euros, et qu’on essaie de tempérer au plus haut niveau, on la comparant à une dépense estimée au double ou au quintuple pour les jeux de Pékin ou de Los Angeles. Mais aussi par des couts implicites liés à des recettes touristiques moindres, dans ces zones protégées (zone grise, zone rouge), ou pas un piéton ne pourra accéder sans QR code, qu’il soit spectateur des jeux ou non. Résultat : une fréquentation des musées en baisse, des commerces qui voient leur chiffre d’affaires sombrer, et qui préfèrent fermer pendant les deux semaines de Jeux Olympiques, les deux semaines de Jeux Paralympiques, et qui se demandent que faire pendant les deux semaines qui les séparent…

Il faut dire, aussi, que si organiser des Jeux à Paris n’est pas forcément une mauvaise idée en soi, la capitale possédant de nombreux équipements sportifs en périphérie, le principe d’organiser des compétitions sous la Tour Eiffel ou sur la Place de la Concorde est lui complètement débile. Sans compter sur le summum de la bêtise et de la prétention, une cérémonie d’ouverture sur la Seine, au lieu de l’organiser dans un stade.

On nous glisse dans l’oreille que c’est un problème de capacité des infrastructures, et que les rives de la Seine peuvent accueillir trois à quatre fois de spectateurs que notre plus grand stade.

Certes.

Mais au prix où est vendue la place pour cette cérémonie qu’on espère plus inspirée que la récente cérémonie pour accueillir la flamme (avec Arielle Dombasle déguisée en zizi blanc), on peut se demander à qui ira tout cet argent.

Aux riverains QR codés ?

Aux commerçants bien emmerdés ?

Allez, bons jeux…

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