Touche pas à mon patrimoine !
Parfois, l’actualité connaît des télescopages bien savoureux. C’est le cas en cette fin de semaine. Alors que le président de la république vient de faire de la sauvegarde du patrimoine une cause nationale, on apprend que le Bénin réclame à l’état français la restitution des trésors de son patrimoine. Énervant, non?
Le château de Bussy-Rabutin (source: Wikipedia)
On savait Emmanuel Macron féru de culture et de littérature. Son goût pour les belles choses s’étend jusqu’aux monuments. On se souvient de la réception de Vladimir Poutine à Versailles (et du match retour il y a quelques jours à Saint-Pétersbourg). Le chef de l’état vient de franchir un pas, en érigeant la sauvegarde du patrimoine en cause nationale. Maniant avec talent l’art du « en même temps », il instille un vent de modernité dans un domaine qu’on a connu plus conservateur, avec le Loto du patrimoine: madame Michu va être mise à contribution pour sauver la maison d’Aimé Césaire, où le château de Bussy-Rabutin. Et tout cela, avec le concours d’un Stéphane Bern qui trouve enfin une place utile dans le décor national. Savoureux non?
Oui, mais la fête est gâchée. Dans notre gestion un peu alambiquée de la décolonisation, nous avons oublié que les états qui ont vue le jour depuis un peu plus de 60 ans se préoccuperaient, eux aussi, de questions de patrimoine. C’est le cas du Bénin, par exemple, qui nous réclame, entre autres, des statues rapportées d’Afrique par le général français Alfred Dodds après la conquête du Dahomey en 1892. En tout, il y aurait de l’ordre de 5000 oeuvres d’art. Alors, peut-on se préoccuper de notre patrimoine à nous, et fermer les yeux sur les préoccupations de nos anciennes colonies, devenues des pays alliés?
Bien sûr, on pourra toujours prétexter que la recherche en avait besoin. Que nos connaissances en histoire, en archéologie, en culture des civilisations africaines, se sont développées grâce à ces oeuvres d’art. Que nous avons préservé des chefs d’oeuvre qui auraient pu disparaître, ou être gravement endommagées. Qu’il ne s’agissait pas d’un vol mais d’un emprunt. Mais le fait est là: nous avons, chez nous, une part du patrimoine des autres (et encore, on ne parle pas, ici, de patrimoine génétique…).
Le musée du Quai Branly va-t-il devoir réexaminer son concept?
Difficile de trancher? Allons, faites l’exercice. Imaginez que la Rome antique, celle de Jules César, vainqueur de Vercingétorix, eut ramené quelques menhirs et dolmens aux abords du Colisée. Ne serions-nous pas en droit de réclamer ces monolithes à une Italie décadente, qui menace de sortir de l’euro sous la conduite d’un tandem Mélenchon-Le Pen local?
Si notre patrimoine nous appartient de plein droit, celui des anciennes colonies doit également revenir à leurs anciens propriétaires. Cela peut se faire dans le temps, en établissant les règles et les protocoles qui permettront de s’assurer que ces trésors culturels ne seront pas pillés et seront préservés dans de bonnes conditions. Et nous serons alors fiers, le jour où nous irons visiter les capitales de ces pays jeunes, de retrouver ce que certains de nos compatriotes n’ont pas hésité à ravir, au mépris de toute vision objective de l’histoire.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
La tradition de récolter les oeuvres d’art semble ancienne. Les Romains, apparemment, avaient récupéré des obélisques en Egypte, par exemple.
Ce qui est nouveau, c’est la notion de patrimoine culturel. L’obélisque de la Concorde, par exemple, semble avoir été échangée contre une sorte de transfert de technologie.
Autre question : quelle était la motivation de la collecte ? Le vol, s’enrichir, ce qui justifierait une restitution, ou la science et le progrès ? Dans ce dernier cas, ces objets font aussi partie de notre histoire, donc de notre patrimoine.
Mais cette notion de patrimoine a-t-elle un sens ? Bien des oeuvres de nos peintres les plus fameux, le mobilier des châteaux… doit être à l’étranger, et nous ne demandons pas sa restitution.
En résumé, il me semble que s’il y a patrimoine, il est mondial. Ce qui compte, probablement, c’est qu’il soit connu : expositions itinérantes, ou Internet.
Si l’on en revient à M.Macron, on peut interpréter son idée comme étant l’entretien du patrimoine mondial, qui est sur notre sol.
(Pour ma part, je me demande qui est attaché à ce patrimoine, et s’il n’y a pas derrière l’intérêt qu’on lui porte surtout des considérations financières.)