Thomas Neff
Le hasard a voulu que peu après avoir vu Oppenheimer, je sois tombé sur une nécro récemment publiée par The Economist, celle de Thomas Neff. Bien que ces deux personnages aient vécu à des époques différentes, un lien les unit : tous deux ont compris qu’il fallait tout mettre en oeuvre pour contrôler voire réduire les arsenaux nucléaires des grandes puissances. Mais si Oppenheimer n’a eu que peu d’influence sur ce sujet en raison du contexte de la guerre froide, Thomas Neff, lui, vécut à une époque où les relations entre le bloc soviétique et l’occident étaient en train de s’apaiser.
La chute du mur de Berlin en 1989 marqua le début d’une ère propice à la réduction des stockes d’armes de destruction massive. Le démantèlement de l’ex URSS, l’indépendance relative des anciens états de l’union, aboutit à une situation de semi-chaos, avec de nombreux sites nucléaires dont la Russie ne pouvait assumer à elle seule la charge économique que représentait le démantèlement. Les Américains étaient prêts à s’en charger, mais les Russes, bien que sortis de l’ère soviétique, n’envisageiant simplement pas un tel niveau d’ingérence. Bref, c’était l’impasse : une multitude de sites dangereux, un arsenal qui aurait pu tomber aux mains d’organisations ou d’états belliqueux et irresponsables.
C’est alors que Thomas Neff eut une idée de génie, une idée qui aurait pu plaire à Dubner et Levitt, les auteurs du livre Freakonomics. Comprenant qu’au-delà des enjeux purement géopolitiques, il s’agissait aussi d’une question économique, Neff mis au point le programme Megatons to Megawatts : le démantèlement de l’arsenal militaire russe serait financé par un programme de rachat de l’uranium enrichi présent dans les ogives nucléaires de cet arsenal en voie de destruction, afin de le transformer pour un usage civil aux États-Unis. Le prix de l’uranium était alors au plus bas, et les deux pays purent conclure ce programme absolument génial, qui permit de faire disparaître 20 000 têtes nucléaires et de récupérer 15 000 tonnes d’uranium, en échange de 17 milliards de dollars de crédits.
Le plus étonnant dans cette affaire, c’est que Thomas Neff oeuvra en toute discrétion, sans que ses collègues du MIT où il continuait de travailler en tant que chercheur-enseignant ne se doute de son rôle stratégique. Bref, voilà un beau projet de scénario pour un film intelligent sur le désarmement…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec