Team Jorge
Le tout Paris médiatique ne parle que de cette affaire depuis un peu plus de 24 heures : Team Jorge. Une entreprise israélienne – bien sûr, pourrait-on rajouter – capable de manipuler les flux d’information et de faire basculer l’opinion publique à coups de fake news. Bigre, est-ce une si grosse affaire que cela ?
Manipuler l’information, manipuler les audiences, ça a toujours été le fait des dictateurs. Voir une entreprise, qui plus est une entreprise établie dans un pays démocratique mais dont les services secrets ont toujours fait fantasmer la majeure partie de l’humanité, jouer le jeu des dictatures, cela fait évidemment mauvais effet. Et après l’affaire Pegasus, cela donne image assez terrible du secteur de la high-tech israélienne, où les start-up les plus extraordinaires côtoient les projets les plus sordides.
Après Boy George, Team Jorge !
L’entreprise en question, appelée Team Jorge – quel nom tordu ! – prétendrait être capable d’influencer les opinions, à coups de fake news, de milliers de faux comptes sur les réseaux sociaux, de deep fakes – ces vidéos qui font croire qu’une personne s’exprime réellement alors que ses propos sont inventés – et de journalistes peu regardants. L’affaire a été exposée par un groupe de journalistes ayant enquêté sur cette entreprise, notamment un journaliste de Radio France, qui prétend avoir « infiltré » Team Jorge, ou du moins s’être fait passer pour un client potentiel. Le patron de cette société aurait alors montré aux journalistes en question un exemple de manipulation en France – normal, ce sont des journalistes français – un faux reportage diffusée à une heure de faible écoute sur BFM, avec la complicité d’un journaliste mis à pied depuis ces révélations, reportage qui montait en exergue le préjudice subi par les salariés qui, sur la Côte d’Azur, travaillent dans l’entretien des yachts des oligarques russes…
Une sacrée historie, non ? On en tremble encore dans les chaumières. Voir le taux de chômage monter parmi les salariés du secteur de la construction navale à Nice ou Monaco, quelle frayeur, non ?
Allez, prenons un peu de recul, et tentons d’analyser cette historie saugrenue.
Quelle est l’envergure de l’opération évoquée ? À peu près nulle. Un pseudo reportage sur un marché marginal diffusé pendant le journal de 3 heures du matin, qui s’en soucie ? Alors certains vous disent que ce n’est pas la taille audience qui était recherchée à cette occasion, mais la possibilité de s’appuyer sur ce reportage pour balancer des tweets et des posts à partir de faux comptes.
Vous voyez l’impact du bidule ? À part permettre à Team Jorge de faire un beau rapport sous PowerPoint pour indiquer qu’il y a eu 30 000 retweets du reportage et empocher un joli chèque de quelques milliers d’euros de la part de son client, je ne vois absolument pas l’intérêt de cette opération.
Le manipulateur était manipulé
En réalité, l' »affaire » révélée par le consortium « Story killers » – joli nom au passage – sert avant tout les intérêts … de Team Jorge, qui grâce à cette exposition médiatique, va probablement pouvoir étoffer son portefeuilles de clients, intéressés par de faux contenus, de faux profils et de faux retweets.
Et même, soyons encore plus cyniques, on se demande si les journalistes impliqués n’ont pas été tout simplement manipulés pour donner un coup de projecteur sur l’entreprise en question.
Vous voyez où je veux en venir ? Les manipulateurs seraient si forts, qu’ils seraient capables de faire croire à des journalistes qu’ils ont fait leur boulot, alors qu’ils n’ont fait que le boulot de Team Jorge.
Un coup de billard à trois bandes comme David Mamet les aime.
Ils sont forts, chez Team Jorge !
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec