Signal faible
S’il y a une chose que j’ai fini par comprendre en matière de management, c’est qu’on ne gère pas un pays comme un entreprise, et qu’inversement, on ne pilote pas une entreprise comme pays. Les méthodes, les outils, les postures, sont singulièrement différentes dans les deux cas, et je dois avouer que faire gouverner la France ou tout autre pays par un individu issu du monde de l’entreprise – ou pire, de la banque – peut conduire ce pays à la catastrophe. Nous en avons eu un aperçu ces dernières années de par chez nous, mais il faut bien avouer que l’exemple venu des États-Unis la semaine passé mérite de rentrer dans les annales.
Je veux évidemment parler de l’affaire Signal. L’affaire est suffisant étonnante pour qu’on en retrace les grandes lignes sur cette page. Il y a environ une semaine, le rédacteur en chef du magazine The Atlantic, Jeffrey Goldberg, publiait un article incroyable, intitulé The Trump Administration Accidentally Texted Me Its War Plans dans lequel il racontait une historie aussi sidérante qu’effrayante. Ce journaliste chevronné s’était retrouvé par hasard inclus dans un groupe de discussion sur l’application de communication cryptée Signal, avec quelques pontes de l’administration trump : le secrétaire d’État à la défense, le vice-président, et quelques autres personnages de premier plan, qui y discutaient tranquillement du plan d’attaque américain contre les Houthis, ces rebelles qui font chier le monde en attaquant Israel et des navires marchands qui passent par le canal de Suez. L’histoire est si incroyable, que Jeffrey Goldberg a fait quelques captures d’écran qui alimentent le récit assez long des discussions qu’il fit dans cet article. En voici deux qui laissent songeur.


L’écran de gauche illustre le message émis à la création du groupe de discussion par Michael Waltz, conseiller à la sécurité nationale de l’administration Trump. Un groupe d’une vingtaine de membres, qui comprend donc quelques uns de ses collègues de travail, et dont pas un n’est allé vérifier qui se trouvait inclus dans le groupe – histoire de vérifier que sur un sujet aussi sensible, il n’y ait que des personnes habilitées à recevoir le type d’information appelé à circuler. Le second est un petit compte-rendu en temps réel des frappes en cours par Pete Hegseth, le Secrétaire d’État à la Défense.
Bien évidemment, Goldberg a attendu que les événements dont il est question dans ce groupe de discussion soient achevés avant de pondre son article. Il a pris soin de ne pas y reproduire d’informations compromettantes pour la sécurité nationale – qui auraient pu lui valoir des ennuis. Il s’est contenté, avec un certain humour, de retracer les discussions parfois badines entre ces individus qui pilotent la sécurité du pays qu’ils servent.
Évidemment, nous avons tous, un jour ou l’autre, commis le même type d’erreur, envoyé un texto à la mauvaise personne, ou inclus un inconnu dans un groupe de discussion familial. D’habitude, ce type d’erreur ne prête pas à conséquence, tout au plus peut-on froisser un proche en lui adressant le mauvais message. Rien de mortel, juste quelques problèmes d’ego à régler par la suite.
Mais dans le cas qui nous intéresse, il s’agit d’autre chose. Il s’agit d’une faille critique, au niveau le plus sensible. Une faille qui ne relève ni du piratage d’un compte, ni d’une attaque cyber, mais tout simplement des faiblesses du facteur humain. Cela prouve plusieurs choses :
- de tels individus ne devraient pas utiliser les mêmes supports de communication entre eux qu’avec d’autres partenaires, journalistes ou membres de leur famille par exemple
- les appareils utilisés devraient disposer d’outils de communication distincts de ceux utilisés par des millions d’autres individus. Signal est peut-être super sécurisé, mais il peut très bien faire l’objet d’une attaque un jour ou l’autre.
- le mode de discussion adopté par les participants à ce groupe – emojis inclus – font plus penser à de joyeux lurons en train d’organiser un enterrement de vie de garçon qu’à des responsables américains en plein brainstorming. Les outils numériques ne sont sans doute pas vraiment adaptés à ce type de discussion…
En attendant la prochaine farce en provenance de l’autre côté de l’Atlantique, à base de Signal, telegram, WhatsApp ou tout autre outil.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec