Rendez-nous le 7ème art !
Qu’est-il arrivé au 7ème art ? Comment a-t-on pu laisser le cinéma se faire kidnapper par des artistes dont le but n’est plus de divertir, mais de faire parler d’eux, sous toutes les – leurs- formes ? La cérémonie de remise des Césars 2021, diffusée vendredi soir dernier sur Canal+, en est le dernier avatar.
Formidable invention plus que centenaire, le cinéma a servi de multiples objectifs. D’abord, me semble-t-il, nous divertir. À la curiosité que suscitaient les projections dans les premières salles obscures, a succédé le succès international d’oeuvres variées, produites aux quatre coins de la planète. On allait au cinéma pour découvrir des histoires, pour rêver, pour partager des émotions. Cette belle époque a duré plusieurs décennies, contribuant à la gloire et à la fortune d’acteurs ou de réalisateurs talentueux, et au partage d’une culture commune, d’une écriture cinématographique commune.
Puis vint la télévision
La télévision, loins de tuer le cinéma, a renforcé son impact. Les oeuvres cinématographiques, après avoir ou non connu un premier succès sur grand écran, purent ainsi bénéficier d’un nouveau souffle, par le biais de multiples diffusions, sur le petit écran cette fois. Loin de limiter la créativité des auteurs, le format particulier du poste de télévision a démultiplié la manière de produire et de diffuser des oeuvres de fictions filmées. Documentaires, séries, téléfilms, mini-séries, sketchs, peu importe, il a fallu meubler le temps d’antenne, avant que d’autres formats, débats ou télé-réalité, n’apparaissent.
Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse : le but du 7ème art était toujours le même, nous divertir, nous faire rêver. Mais ne pouvait-on aller plus loin ? Nous faire réfléchir, par exemple ? Nous amener à prendre conscience d’autres réalités, toucher du doigt des subtilités que d’autres formes d’art avaient plus de mal à exprimer ? Certains firent ce pari, et un cinéma moins populaire et plus sélectif vit peu à peu le jour. Des réalisateurs engagés, des oeuvres plus difficiles, sont alors apparus. Le cinéma perdait sa part de rêve, certes, mais au profit d’un projet plus audacieux : contribuer à améliorer le monde. Jusque là, il n’y a rien à dire.
Un pont trop loin
Sauf que certains acteurs ont pris leur rôle un peu trop au sérieux, se sont crus investis d’une mission, et ont vu, dans le cinéma, l’opportunité de faire passer des idées plus subversives. Dans la démarche, on n’est pas loin d’une autre tentative de manipulation, celle opérée par des régimes totalitaires du siècle dernier, qui virent dans le cinéma le moyen d’orienter les débats, de modifier la réalité et de manipuler les esprits. Ce n’est pas l’objectif visé, ici, qui importe, mais l’impact sur le 7ème art dans son ensemble : la perte d’une naïveté initiale, au service d’un message qu’on pourrait qualifier de politique.
Le dernier avatar de ce glissement progressif, c’est cette idée que les acteurs et les actrices sont devenus les moteurs des grandes transformations sociétales, les héros des temps modernes, les penseurs du 21ème siècle. Il faut dire que l’actualité leur a donné un semblant de raison ces dernières années, avec des mouvements comme #metoo, nés dans le milieu du cinéma, avant de toucher une frange plus large de la population.
Hélas, ce qui était légitime ou plus ou moins acceptable, est devenu complètement tordu, comme la pathétique prestation de Corinne Masiero. Apparue d’abord sous un déguisement curieux – mais après tout, on a dé vu déguisements plus curieux – l’actrice a fini nue, arborant des slogans écrits sur son corps, comme le surprenant jeu de mots sur le prénom du premier ministre « Rend nous l’art, Jean« . Un jeu de mot qui sous entend que le gouvernement aurait volé les artistes, alors qu’en fermant les salles, il ne fait que déployer une mesure de protection dont l’impact va au-delà du monde du spectacle. On comprend le désarroi des artistes privs de scène, et des acteurs privés de grand écran. Mais la faute de goût est-elle le seul moyen d’expression ?
Corinne Masiero, comme d’autres artistes l’an passé lors de la cérémonie des Césars 2020, participe à un kidnapping sur toute une industrie. Finalement, on ne retiendra, comme fait marquant de l’édition 2021, que sa prestation, qui ne dit rien de son talent supposé d’artiste, mais réduit une forme d’expression – un art – à un type de message revendicatif et à sens unique.
Je doute que le public s’en satisfasse.
Chère Corinne, rendez-nous le 7ème art, celui qui nous procurait plaisir et émerveillement.
Car la forme d’art exprimée vendredi soir dernier, elle, nous atterre plus qu’elle nous divertit.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec