Rencontre avec Peter Thiel
De passage à Paris pour la promotion de la traduction en français de son livre (De Zero à Un, vient de paraître chez JC Lattès), Peter Thiel, cofondateur de Paypal est venu parler devant un petit groupe de participants réunis dans les locaux de Cap Digital. Voici quelques notes prises durant son intervention.
Sur l’entrepreneuriat
Il n’y a pas de formule magique pour devenir entrepreneur .
Mais il y a quelques idées de base. La première, c’est que si on crée sa société, ce n’est pas pour aller faire ce que tout le monde fait déjà: si vous cherchez la compétition, ouvrez un restaurant. En tant que créateur, vous devez chercher un domaine où vous avez des chances de prendre des positions monopolistiques. Et plutôt rapidement. Une des meilleures pistes à suivre, c’est de cherche là où les gens ont des problèmes, où le système ou la technologie actuelle ne leur permettent pas d’avancer. C’est ainsi que pour lui, il est peu probable que Paypal aurait pu se développer en Europe à la fin des années 90, , étant donné l’avancée des systèmes de paiement mobile dans la région à cette époque, par comparaison avec les US.
Bien sûr, vous ne parlerez pas de monopole en public, vous ne devez pas effrayer les gens. Maintenant, si vous cherchez quand même la compétition, vous devez montrer que cous faites les choses différemment.
Bien sûr, la compétition n’est pas négative en soi, elle permet de se renforcer, d’apprendre, de progresser. L’émulation ne doit pas être rejetée. Mais le point clé, c’est que l’approche capitaliste, par essence, fuit la compétition et cherche à finir par contrôler un marché: penser à Google, Microsoft, Facebook.
Maintenant, il faut distinguer deux types de monopoles. Les monopoles dans une société dynamique sont positifs, car ils ne sont pas éternels. Les monopoles dans une société figée sont toxiques .
Un point important également: les sociétés comme Google ou Facebook sont remplies de gens talentueux, avec des QI impressionnants, qui ont tout réussi dans leur société: cela n’en fait pas pour autant des entrepreneurs de talent. Ceux qui ont tout réussi toute leur vie, qui n’ont jamais connu d’échec, ne résisteront probablement pas à la vie d’un entrepreneur. Non pas qu’il faille glorifier l’échec – ça en devient même une sorte d’habitude malsaine – mais pour réussir de tels projets, il faut avoir été mis dans des situations similaires: les grands groupes de high tech n’offrent tout simplement pas ce terrain d’expérimentation.
Autre point intéressant: les étudiants qui déclarent « dans 5 ans, je serai entrepreneur », c’est beau, c’est poétique, mais c’est aussi stupide que de dire « dans 5 ans, je serai riche ». Entrepreneur n’est pas une fin en soi, c’est un passage, un moyen de faire passer ses idées.
Sur la technologie et l’innovation
Il y a toujours une question sous-jacente à l’espèce humaine, qui concerne notre capacité à imiter. En anglais, cela transparaît dans la fin des termes primate et imitate.
Cette propension à imiter est un facteur social, il est à la base d’usages comme ceux de Facebook, ou comme ceux qui attirent les élites vers certaines filières privilégiées, comme des moutons de Panurge.
Derrière l’innovation, il y a une dynamique sociale essentielle: la volonté de sortir du rang .
De nos jours, on associe souvent la technologie aux désastres, à la disruption, à l’élimination d’emplois. Hollywood reflète cette culture anti-technologique: c’est un travers commun, c’est notre manière de décrire notre monde. Mais est-ce une description juste? Peter Thiel en doute. On évoque les pays en voie de développement comme des endroits du monde qui cherchent à copier les pays développés, alors que les pays développés sont décrits comme des pays qui n’innovent plus, où la jeunesse s’ennuie, et qui n’ont plus d’avenir: il faut lutter contre de tels préjugés, qui sont loin d’être fidèles à la réalité.
Sur le financement de startups
En tant qu’investisseur, il n’y a pas de formule magique non plus. Quand il parie sur un projet, c’est un pari sur une combinaison d’individus, de technologie, d’opportunités de marché. L’équipe est essentielle: elle est moins structurée qu’une équipe sportive, mais comment fonctionnera-t-elle lorsqu’elle rencontrera la première crise?
Sur la technologie en France
Contrairement à ce qu’on croit, il n’y a pas un tel fossé entre la Silicon Valley et les autres pays où les startups technologiques fleurissent. Il y a juste une avance de 20 ou 30 ans, sur le système éducatif, sur les liens entre entreprise, etc. 2à ou 30 ans, ce n’est pas si impossible à franchir. Et la Silicon Valley présente de plus en plus de défauts qui freinent le développement technologique: la compétition entre startups, qui fait que tout le monde quitte le navire au moindre problème; ou l’envolée vertigineuse des loyers.
Il y a dix ans, à la question « où se créera le prochain Google? », Peter Thiel répondait « dans un rayon de 8km », et il n’avait pas tort: Facebook, le nouveau Google – du moins sur l’approche publicitaire – est à 2km à peine de son concurrent. Mais de nos jours, il faut aller chercher plus loin. La France, Israel, offrent un cadre d’épanouissement favorable aux jeunes pousses technologiques.
Sur la traction
Un message clair et humoristique sur la manière d’acquérir des clients, en direct ou avec des partenaires: plus on multiplie les options ou les canaux, moins on est crédible, et plus il y a de chances qu’en fait, on ne sache pas réellement ce que l’on fait et où l’on va.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec