Rater l’occasion de se taire…
J’ai toujours apprécié les politiques qui prennent des risques. D’une part, cela fait partie de leur métier. Et d’autre part, tous les politiques ne prenant pas le même nombre de risques, cela permet de distinguer les politiques qui veulent faire évoluer le système de ceux qui se satisfont d’un statu quo. Bien sûr, cela dépend des sujets, et on ne prend pas les mêmes risques quand on s’exprimer sur la politique internationale, l’éducation ou les droits des femmes.
Ou le numérique.
Justement, le numérique. C’est un sujet délicat, sur lequel les politiques ne sont pas toujours à l’aise. Les plus vieux, comme moi, se souviennent du « mulot » de Jacques Chirac. Le président avait alors pris le risque de s’exprimer sur un sujet, l’informatique, sur lequel il n’était visiblement pas à l’aise.
trente ans plus tard, les personnalités politiques n’ont pas la même appréhension vis a vis de l’informatique et du numérique. La plupart savent ce qu’est Twitter, certains comme Trump, tweetent eux-mêmes. D’autres font valoir leur coté branché (chébran aurait dit Mitterrand…) en invitant des youtubeurs à l’Élysée…
Et puis il y a ces politiques qui veulent s’exprimer sur ce sujet en voulant faire croire qu’ils ont compris de quoi il s’agissait, sans se rendre compte du ridicule. Ce sont les plus sympathiques, car il leur faut quelques heures avant de comprendre leur bourde. Cela peut aller d’un tweet malheureux, jusqu’à un jugement à l’emporte-pièce sur un sujet qu’ils prétendent dominer…
SOS urgence numériques j’écoute …
Najat Vallaud-Belkacem vient de faire une entrée fracassante dans cette catégorie. En suggérant de rationner l’usage d’internet à 3Go par jour et par utilisateur, et en proposant aux professionnels de l’informatique de passer plus de temps à coder avec un crayon et un papier.
Sur le premier point, on pourrait presque être d’accord avec l’ancienne ministre de l’éducation. La course au haut débit n’a finalement que peu d’intérêt pour certaines catégories d’individus. À quoi sert de voir nos enfants passer des heures devant Netflix ou les réseaux sociaux ? Je suis partisan du limiteur de temps d’écran pour les enfants jusqu’à leur majorité, et cela fonctionne bien avec un peu de pédagogie.
Sur le second point, en revanche, je suis perplexe. Que voulait donc exprimer Najat Vallaud-Belkacem ? Si son souhait était de nous faire passer plus de temps dans les phases de design que dans les phases de programmation, alors je serai le premier à reconnaître les vertus d’une telle approche. Mais si, et je crois que c’est le cas, la ministre souhaite simplement que nous passions plus de temps à expérimenter nos lignes de code sur du papier, alors elle m’a rien, amis alors rien compris au développement informatique.
Et c’est grave.
Bye bye, test & learn
L’expérimentation, le test and learn, la conception d’un programme par étapes successives, font partie du quotidien d’un développeur. Cela ne veut pas dire que nous ne réfléchissons pas à ce que nous écrivons. Mais simplement qu’on ne développe pas un logiciel avec les outils du siècle dernier. Il y a de nos jours des outils modernes, faisant appel à l’IA entre autres, pour nous aider à écrire du code plus efficace plus rapidement, ou nous faciliter l’accès à des langages que nous ne maîtrisons pas encore. J’en fait un usage quotidien, et je ne vois pas comment cela serait possible avec un crayon et un papier.
Après tout, madame la ministre écrit-elle ses tweets au stylo avant de les recopier après correction ?…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec