Qu’est ce qu’un ingénieur?
Chaque année, c’est la même chose: je vais représenter la profession « ingénieur » devant les élèves de 2nde, 1ère et terminale de mon ancien lycée lors du « forum des métiers », et à chaque fois, on me demande en quoi consiste le métier d’ingénieur. Mais existe-t-il vraiment un métier d’ingénieur?
Pour moi, « être ingénieur » représente avant tout avoir suivi une filière, un cursus scolaire, une éducation, quelques années après le bac. Mais ce n’est pas un métier, au même titre que cardiologue, dentiste, expert-comptable ou professeur. Il y a plusieurs types d’ingénieurs, parce qu’il y a plusieurs secteurs industriels où on a besoin de la formation d’un ingénieur: de la banque à l’informatique, du bâtiment à l’aéronautique, de la pharmacie à la télévision. Et dans une branche même, on pet trouver de multiples métiers d’ingénieurs: un ingénieur ayant choisi de travailler dans le secteur informatique peut tout aussi bien faire du développement, de la conduite de projet, de la recherche, des tests, de la relation clients, etc.
Alors qu’est ce qu’un ingénieur, et qu’est ce qui caractérise un ingénieur? Voici plusieurs éléments distinctifs.
La volonté de mesurer
Confronté à toute sorte de problèmes, l’ingénieur cherchera avant tout à mesurer les phénomènes auxquels il est confronté, identifier les variables qui semblent caractériser le sujet de ses réflexions. Qu’il s’agisse de surfaces, de volumes, de débits, d’audience ou de lignes de crédits, l’ingénieur cherchera à établir un modèle pour suivre l’évolution des données mesurées, pour vérifier les comportements passés et anticiper les phénomènes à venir.
L’aisance avec les chiffres
L’ingénieur n’a pas peur des chiffres et des nombres. Il sait les manipuler, les confronter, les analyser. Les changements d’échelle, les multiplications, les graphes, tout cela , c’est son quotidien. Si vous n’aimez pas les chiffres, inutile de vous lancer dans cette voie, vous allez en déguster tous les jours.
L’informatique comme outil
Bien entendu, un ingénieur ne passe pas sa journée à faire des additions et des multiplications sur des feuilles blanches ou à l’aide d’une calculatrice (la règle à calcul, c’est du passé). L’informatique est un outil de travail comme un autre, et l’ingénieur doit se sentir à l’aise face à un ordinateur. Pas uniquement pour diffuser des courriers électroniques ou rédiger des rapports, mais, quand cela est nécessaire, pour concevoir des macro-commandes sous Excel ou développer de rapides programmes pour tester des hypothèses.
Une certaine polyvalence
L’ingénieur de demain se doit d’être polyvalent. D’abord parce que l’hyper-spécialisation peut s’avérer déprimante à la longue (sauf pour les passionnés). Ensuite, parce que mondialisation aidant, l’interconnexion de plusieurs disciplines se révèle être un atout à la fois pour les entreprises et pour les individus. Passer de l’informatique à l’aéronautique, ou de la chimie à la biologie, cela permet d’avoir une vision plus globale de certains problèmes.
Au-delà de ces critères très généraux, je pense sincèrement qu’un ingénieur est avant tout quelqu’un qui aime utiliser son cerveau pour résoudre des problèmes, quelle que soit la discipline concernée. Et c’est pourquoi je me suis fait plaisir en orientant les futurs ingénieurs de ce matin sur deux problèmes très sympathiques.
Problème 1:
Mr et Mme Sarkozy (ou Chirac ou qui vous voudrez) reçoivent 4 couples d’amis. Ils arrivent tous en même temps, et chacun serre la main des autres, jusqu’à un certain moment où Mr Sarkozy s’écrie: « Stop! dites-moi combien vous avez serrez de mains chacun! ». Il obtient alors 9 réponses toutes distinctes, de 0 à 8. Qui est, dans ce cas, Mme Sarkozy?
Problème 2:
On dispose de 2 fois k boules, numérotées de 1 à k: deux boules 1, deux boules 2, etc. jusqu’à deux boules k. On veut aligner ces 2k boules de sorte qu’il y ait exactement k boules entre les deux boules numérotées k. Quelles sont toutes les valeurs de k pour lesquelles cela est possible?
Le premier problème se résout en 5 minutes si on y réfléchit bien. Pour le second, je ne dispose que de la moitié de la solution (je sais une caractéristique sur tous les k qui vérifient cette proposition), mais n’ai jamais réussi à démontrer la proposition en sens inverse. Si vous y parvenez, faites-moi signe…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Intéressant -merci ! Sur l’informatique, j’aurais ajouté « savoir faire du HTML ou manipuler un logiciel de création de sites ou de blogs » (en ce qui me concerne, je ne suis pas sûr de savoir refaire des « bouts de programme », contrairement à ce que tu indiques.
Et puis l’ingénieur, aussi, c’est celui qui fait de temps en temps de grosse fôtes : « chacun sert la main des autres » (il est vrai que c’est un diner) :)-
HTML, mais aussi PHP ou SQL ces temps-ci.
Et merci pour l’orthographe, ça promet
Marrant, je fais aussi un peu d’ « engineering evangelism » dans un collège (=lycée) genevois ces temps. Je partage en grande partie votre définition du « métier » d’ingénieur (utiliser son cerveau pour résoudre des problèmes), mais avec un point de vue beaucoup plus orienté « pratique » que le votre, me semble-t-il.
Aimer les chiffres, l’informatique et les casse-tête c’est très bien, mais à mon sens pas suffisant pour être un ingénieur. Les ingénieurs construisent des trucs et font marcher des bidules matériels.
Pour moi, un jeune sera un bon ingénieur s’il se demande souvent « comment ça marche? », s’il démonte ses jouets pour le savoir (les remonter, c’est pas du boulot d’ingénieur 😉 ) et s’il a joué avec des LEGO, failli se faire péter avec une boite de chimie amusante ou programmé lui-même un jeu video.
tu as raison, j’ai une vision très math-infos de l’ingénieur. Il y a d’autres disciplines, pour lesquelles j’ai de faibles affinités. Mais c’est bien l’objectif de ce billet, de croiser mon avis avec celui d’autres ingénieurs
Oui, je comprends, c’est d’ailleurs dans ce but que j’ai commenté 🙂
En fait je me demande aussi s’il ne s’agit pas aussi d’une différence franco/suisse dans la formation des ingénieurs.
Je remarque souvent que mes collègues frontaliers (des milliers de français qui veulent « travailler plus pour gagner plus » viennent chaque jour en Suisse…) ont une formation théorique beaucoup plus poussée que nous notamment en mathématiques, et plus pointus dans leur domaine de spécialité. Mais la plupart des produits de l’industrie moderne sont très multidisciplinaires et là, en toute modestie, on est meilleurs.
J’ai obtenu un diplôme d’ingénieur informaticien, mais à l’EPFL j’ai aussi appris le dessin technique mécanique, la résistance des matériaux, et bien d’autres choses qui m’ont essentiellement servi à communiquer avec d’autres ingénieurs pour construire des choses avec une « vision système » qui me semble très précieuse aujourd’hui.
Bon, cela dit, et maintenant que j’ai terminé un fabuleux article sur mon blog, je vais pouvoir m’occuper de tes casse-tête…
Le premier casse-tête et trivial. Le second m’obsède depuis 20 ans.
Tout à fait d’accord avec les Lego. D’ailleurs, j’ai souvent constaté que les ingé (dans ma classe d’age, et celle d’Hervé) avaient préféré les Lego aux Playmobil. Les Lego, c’est par excellence l’outil d’expression des Ingé. Alors que les Playmobil, c’est pour le côté storyteller/invention.
J’ajouterais aussi la capacité de manipuler des abstractions (même si c’est peut-être extrêmement important pour l’info et un tantinet moins pour les ingé des objets du réel).
Par contre, ce qui nous manque vraiment (ou du moins dans le cursus Fr), c’est justement le côté Playmobil que j’associe à la créativité et au trading. Je pousse mes gamins (les 2 grands pour le moment) à ne pas négliger leur cerveau droit.
Aujourd’hui, ils peuvent développer ce côté créatif par … les jeux vidéos. Et pour les plus vieux, jouer de temps en temps permet de sortir de nos carcans de pensée pour s’ouvrir à d’autres solutions, à d’autres perspectives, à des alternatives: c’est fondamental dans le métier d’ingé. On ne recherche pas LA solution, mais celle qui maximise/minimise un ensemble de critères parmi un ensemble de solutions possibles. Il faut donc d’abord les trouver CES solutions possibles (brainstorm, Design Thinking, …): à mon avis, c’est la partie la plus excitante du job, celle qui nous invite à nous ré-inventer régulièrement, à nous mettre en danger, à prendre des risques, à entreprendre quoi.
Pour finir, je vous invite à relire le chapitre 29 « The Lies of Engineers » de Reality Check (Guy Kawasaki). C’est tellement vrai et hilarant.
Lego contre Playmobil, voici une approche à laquelle je n’avais pas pensé!
C’est fou que pas une personne n’ai associé ingénieur à des mots comme créativité, intuition, innovation … ! C’est très révélateur en fait de la formation d’ingénieur à la française. Cartésianisme avant tout. Loin de nous les émotions, ces choses impalpables qui ne rentrent pas dans des algorythmes et des équations 🙂 … Et dire que j’avais un papa ingénieur justement !
Créativité, intuition, innovation, ce sont les valeurs d’un chercheur, pas d’un ingénieur…
Pas sûr. Pour moi les Citroën, Eiffel et autres étaient des ingénieurs. Et ils ont été des créateurs.
Francis Bernard aussi, au fond.
J’approuve à 100% Christophe ! Et en plus ca rendrait certains boîtes d’ingénieurs plus vivables humainement 🙂
à y bien réfléchir, beaucoup d’ingénieurs étrangers (je pense à ceux qui étudient à Stanford, MIT…) se voient aussi comme des entrepreneurs en puissance. C’était probablement le cas des Français jusqu’à l’après guerre. Ensuite ils semblent avoir basculé dans le fonctionnariat. D’ailleurs, les grandes écoles ne fournissent plus un enseignement à l’état de l’art de la technologie, qui permette de donner un avantage de départ à l’apprenti entrepreneur.