Pourquoi je suis contre un pourcentage de boursiers à l'entrée des grandes écoles
L’enfer est pavé de bonnes intentions. J’en veux pour preuve le sujet qui anime les foules cette semaine, l’objectif, fixé par le gouvernement, de 30% de boursiers à l’entrée des grandes écoles. L’idée même qu’on peut faire monter le faible de taux de représentation des élèves boursiers au sein des grandes écoles par des actions purement « mécaniques » est assez ridicule. C’est comme si au nom de l’égalité de chances, on souhaitait accroître la représentation des individus de moins d’1m60 au sein des équipes professionnelles de rugby.
Le principe même des grandes écoles, c’est la formation d’une élite sur la base de compétences scolaires, ni plus, ni moins. Ce principe prévaut dans tous les pays, même s’il prend une forme différente. Prenons l’exemple des US: les grandes universités américaines proposent des filières d’accès qui ne se basent pas sur les résultats scolaires – mais, entre autres, sur des compétences sportives. Croyez-vous qu’un étudiant admis pour son drible sortira avec un PhD en astrophysique pour autant? Evidemment non.
Le débat qui opposait Richard Descoings et Pierre Tapie ce matin sur France-Inter n’a malheureusement rien amené de constructif. Mr Tapie n’a pas réussi à se dépêtrer de sa malencontreuse phrase sur la réduction du niveau auquel un seuil de 30% de boursiers conduirait, alors qu’il aurait été plus logique, dès le départ, de rappeler que des concours réservés aux élèves boursiers introduiraient de fait une inégalité de statuts difficilement acceptable. Et Mr Descoings, excellent orateur, n’a eu de cesse de ramener l’échange à la terminologie de « quota » qu’il rejette, alors que c’est bien ce qui est proposé en filigrane. Et d’aligner cliché sur cliché, sur ces élèves qui deviendraient tous des traders… Il lui faudra un jour ouvrir un annuaire de l’X ou de HEC pour découvrir que nos amis choisissent parfois d’autres métiers…
Le plus affligeant, c’est que les élèves boursiers disposant d’un niveau qui leur permettrait d’accéder aux grandes écoles ne veulent pas de cette réforme, qui cache en réalité l’indigence du système scolaire après 30 années de réformettes successives, qui ont affaibli le niveau et l’autorité des professeurs, nivelé le niveau par le bas, et renforcé la présence de systèmes d’éducation parallèles, à coups de cours particulier ou de soutien, réservé aux « gosses de riches ».
Si le gouvernement et Mr Descoings veulent réellement faire monter le niveau de représentation des élèves boursiers – et donc des couches les plus défavorisées – au sein des grandes écoles, c’est à la racine du ml qu’il faut combattre, en travaillant dans le sens inverse que celui qui a été choisi par les gouvernements depuis le début des années 80: car depuis 30 ans, on fait croître artificiellement le taux de réussite au bac, par un affaiblissement des programmes et des examens, alors qu’il aurait mieux valu maintenir le niveau élevé d’antan (je sais, je parle comme un vieux con, mais coryez-moi, ça me fait mal de pense qu’à mon époque, en 6e, on connaissait le cardinal d’un ensemble fini, alors que cette notion n’apparaît plus qu’en maths sup désormais…). C’est en élevant le niveau qu’on permettra aux élèves de toutes origines, s’ils le souhaitent, de poursuivre de brillantes études.
Et pour que le niveau de l’enseignement se maintienne à un niveau élevé, il faudrait cesser de croire que cela puisse se réaliser en continuant de payer les professeurs au lance-pierre. Gagner 1300 ou 1400 euros par mois pour enseigner, c’est à dire pour communiquer un savoir et donner le goût de l’apprentissage, croyez-moi c’est peu cher payé. Une nation qui sous-paye ses enseignants ne peut pas s’attendre à voir ses meilleurs éléments choisir de faire carrière dans l’enseignement, c’est une phrase que Luc Chatel devrait inscrire au-dessus de son miroir pour la lire, chaque matin, en se rasant.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Comme toujours, la discrimination positive reste une forme de discrimination. Disons qu’il faudrait que les 30% soient là de fait, et non en les forçant par une politique de quota aberrante.
Exactement, Florence. Ils devraient – et pourraient – être là de fait, si le gouvernement travaillait à améliorer le système éducatif à sa base, en rehaussant les niveaux et en motivant – rémunérant – mieux les enseignants, en rénovant les écoles, et en augmentant le nombre de profs. Le débat sur ce quota de boursier, qui ne concerne, aux mieux, qu’une infime fraction des élèves, est totalement aberrant, et permet de détourner les regards de l’opinion publique des vrais problèmes…
Tout à fait d’accord. Il faut se demander pourquoi l’école ne marche plus. Une citation de The Economist (9 octobre 2008) : the share of students at the elite schools from
the top socioeconomic class has actually grown: from 57% of those who graduated in 1965-69 to 82% for the graduates of 1990-99, according to Pierre Veltz, a social scientist.
Par ailleurs, la discrimination a un effet redoutablement pervers, en fait elle semble extrêmement favorable aux plus riches, qui ont les moyens d’éviter les effets néfastes d’une telle réforme, et défavorables aux classes moyennes, qui elles ne les ont pas. En outre, les issus de la discrimination n’ont pas ensuite les atouts sociaux des classes favorisées et font donc des carrières modestes (ce qui est le cas aux USA). Par conséquent, ces dernières font face à une concurrence plus faible que dans un modèle sans discrimination. Les classes aisées ont donc un double intérêt à la discrimination 1) elle évite de revenir à l’ancien modèle républicain qui leur était défavorable 2) elle diminue un peu plus la concurrence que subissent leurs rejetons. Ainsi on crée un régime d’héritiers dont les idées ne se renouvellent plus.
D’accord dans l’ensemble avec l’article (Cf. mon billet en lien signature), sous réserve que les grandes écoles prennent les grands moyens pour trouver et combattre les causes de l’inégalité sociale qui persiste bel et bien dans leur recrutement. Un même concours pour tous, c’est équitable … s’il correspond à un même niveau pour tous. Or les procédures de recrutement conçues par un corps social comportent souvent un biais en faveur de ce même corps social.
J’ai lu récemment le programme du concours externe d’admission l’ENA (3ème voie) : il m’a donné l’impression que, dans chacune des disciplines, ce qui est recherché, plus que la maîtrise de cette discipline, c’est la capacité à en parler dans un style énarchique.
De même nous avons expérimenté que chacun des concours de grandes écoles scientifiques (X, Centrale, Ulm…) a sa personnalité propre, sélectionne des gens qui ont la tête faite comme un X, un Centralien, un Normalien. Ce qui est très bien, mais n’est pas exactement le niveau « scolaire », et pose des questions « d’équité », au sens où les jeunes qui ont grandi le plus près, socialement, de mentalités polytechniciennes ou centraliennes, sont inévitablement favorisés.
Je soupçonne donc que la raison que vous donnez dans l’article (l’autosélection : les étudiants boursiers n’oseraient pas passer les grands concours) n’est pas la seule raison de cette inégalité sociale entretenue par le système des grandes écoles. Et quand bien même elle l’était – cela mériterait d’être combattu plus fondamentalement que par une classe « assistée » par-ci ou de « l’aide aux devoirs » par là.
à FrédéricLN
1 – L’analyse est très juste. Les concours ont un esprit. L’ENA est particulièrement caricatural; d’ailleurs il y a de très intéressantes études sur ses biais de recrutement qui sont colossaux.
2 – Je pense qu’un certain biais est inévitable. Chaque pays recrute et forme ses « élites » d’une certaine façon. Par exemple l’ingénieur français considérera comme un retardé mental un diplômé d’Oxford, celui-ci le regardant comme le degré zéro de l’éveil intellectuel.
3 – Le problème est social: à quoi sert une élite? Je n’ai pas de réponse, mais il me semble qu’il y a différentes strates dans nos sociétés et qu’elles ont besoin de brassage pour que l’ensemble soit efficace. Je ne suis pas sûr que les caractéristiques des occupants de chaque strate soient vraiment importantes. Il peut aussi y avoir des critères de motivation: le système doit plaire à ceux qui y participent. Ils doivent le trouver « juste ».
4 – le problème que pose notre système n’est pas au niveau des grandes écoles, mais quasiment au niveau de la maternelle. Le système éducatif des « zones défavorisées » est si lamentable qu’il décourage quasiment immédiatement ceux qui s’y trouvent. Ce qui n’était pas le cas dans ma jeunesse, même s’il n’avait rien de glorieux (je viens d’Argenteuil). Voir aussi La fabrique du crétin,livre de Jean-Paul Brighelli, un normalien qui enseigne en banlieue.