Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?
C’est la question posée chaque année à l’occasion de la célébration de Pessah, la Pâque juive. Cette fête commémore la sortie d’Égypte, sous la conduite de Moïse. Le récit est largement connu, des juifs et des non juifs. Des films et même des dessins animés lui ont été consacrés. Mais peu de gens, en dehors de la communauté juive bien sûr, connaissent le rituel associé à cette fête.
Le principe de base, c’est de respecter un ordonnancement -mot à mot, le Seder – et d’évoquer le récit en famille. Un texte a été consolidé au fil du temps, appelé la Haggadah – terme qui signifie mot pour mot « le Récit », comme s’il s’agissait du récit fondateur du peuple juif. Avant et après la récitation de la Haggadah, des plats sont consommés. Certains sont censés évoquer des moments clefs – les herbes amères évoquent l’amertume, la Matsa (le pain azyme), le pain de misère, etc. – et d’autres sont plus des référents culturels liés aux traditions locales. Chez les juifs d’origine tunisienne, comme moi, on sert une sorte de pot-au-feu avec une multitude de légumes, appelé Msoki.
Parmi les textes les plus touchants de la Haggadah, il y a un passage qui, traditionnellement, est chanté par un jeune enfant, en âge de lire ou du moins d’apprendre une chansonnette par coeur : Ma Nichtana. Ces deux termes sont en fait les deux premiers mots de ce paragraphe, et signifient « en quoi est différente… ». Le texte demande en quoi cette nuit est différente des autres nuits. Quatre réponses sont apportées :
- parce qu’on consomme des pains azymes, alors que les autres nuits on consomme du pain normal (et cela va durer 7 jours, 8 en dehors d’Israel)
- parce qu’on consomme des herbes amères, alors que les autres nuits on consomme de toutes les herbes
- parce qu’on mange en position inclinée, en se penchant légèrement à gauche, ce qui est censé représenter une certaine opulence, alors que les autres soirs, on nous demande de rester bien droits à table)
- parce que ce soir là, on se lave deux fois les mains, alors que les autres soirs on ne se lave les mains qu’une seule fois
Étrangement, j’aurais envie d’ajouter une cinquième réponse ce soir. Parce que nous célébrons la liberté retrouvée en restant confinés : d’habitude nous célébrons en famille, et même en famille nombreuse, alors que ce soir, nous célébrons seuls, cette liberté. Et quand je dis seuls, je pense à ces personnes âgées, contraintes de rester seules ou en couple, loin de leurs proches, de leurs enfants ou petits enfants, ou ces familles monoparentales qui existent aussi au sein de la communauté juive. Certes, la visioconférence existe. Mais cela ne produit pas les mêmes effets. Cette liberté, finalement, n’est pas celle qu’on imagine. Ce n’est pas la liberté de faire ce qu’on veut. Mais la liberté de choisir ce qui est bon, pour soi et pour les autres, mais surtout pour les autres. C’est la liberté d’agir pour le bien commun. C’est déjà beaucoup.
Difficile d’expliquer cela à un jeune enfant à peine en âge de lire…
Bonne fête à tous ceux qui célèbreront Pâque, d’une manière ou une autre.
PS: il y a dix ans exactement, j’avais fait une petite étude autour du ménage de Pessah. Il serait intéressant de conduire la même étude aujourd’hui, pour voir ce qui a changé.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec