Passeport diplomatique : quarante ans au Quai d’Orsay
L’École polytechnique mène à tout, même à la diplomatie. À condition d’accepter de s’écarter du cursus qui conduit à un poste d’ingénieur ou à une carrière dans un grand groupe. C’est le cas de Gérard Araud, X73, passé par un cursus d’ingénieur par son talent et un peu de hasard, et qui va découvrir sa vocation au sortir de l’ENA : la diplomatie. Passeport diplomatique est le récit de ses 40 années de carrière, qui l’ont mené à des postes aussi variés qu’ambassadeur (par deux fois), ou représentant à l’OTAN ou aux Nations-Unies.
C’est un livre passionnant. D’abord, parce qu’au delà du récit personnel, il permet de découvrir la vie du personnel diplomatique. Comment fonctionne une ambassade, qu’est-ce qui a changé entre les annes 80 et aujourd’hui, comment s’organisent les échanges avec le gouvernement ou la présidence. Comment s’organisent les négociations au sein de l’Assemblée générale de l’ONU, ou au sein du Conseil de sécurité. Quels sont les rapports entre les ministères de la Défense ou des Affaires étrangères en temps de crise. Bref, le quotidien de celles et ceux qui parlent au nom de la France.
Mais c’est aussi un livre passionnant parce que Gérard Araud, loin de manier la langue de bois, comme on pourrait l’attendre de la part d’un diplomate qui a tenu un tel rang, parle de manière assez ouverte, et donne son point de vue sur nombre de sujets délicats à travers le monde.
De l’invasion de l’Irak en 2003 au conflit israélo-palestinien en tant qu’attaché d’ambassade à Tel-Aviv (son premier poste) ou ambassadeur de France en Israël de 2003 à 2006, de génocide rwandais (lors de son passage au ministère de la Défense de 93 à 95 à l’élection de Donald Trump, en tant qu’ambassadeur de France aux États-Unis de 2014 à 2019, des négociations avec l’Iran au conflit au Kosovo. Il n’y a que sur l’intervention au Mali, pratiquement, qu’il ne s’exprime pas.
Gérard Araud porte un regard lucide sur ces quarante années. D’un constat sans concession sur la politique de la France au proche-Orient de 1967, il amène le lecteur à réfléchir sur les principaux conflits qui émaillent la zone, et invite ceux qui n’auraient eu aucun contact avec ces populations à réfléchir sur les motivations premières des représentants israéliens ou iraniens. Cela pourra piquer certains supporters du Likoud, mais dans l’ensemble, c’est toujours très juste et sans compromis.
Durant ces quarante années, Gérard Araud a croisé de nombreux politiques. Sans tomber dans une succession de règlements de compte personnels, il dresse un portrait sans équivoque des différents talents des ministres qu’il a côtoyé pendant toutes ces années. Il se paie avec élégance la tête de Philippe Douste-Blazy (et son passage éclair en Israel en 2006…), de Roland Dumas (un Talleyrand bis, à ses yeux) ou de Jean-Pierre Chevènement (qu’il ne porte vraiment pas dans son coeur). On y apprend également le surnom de quelques grandes figures, comme ce Larry Fabulous dont vous devinerez aisément l’identité au sein du paysage politique français. Le seul qui s’en sorte avec les honneurs, c’est Dominique de Villepin, même s’il lui reconnaît quelques travers, notamment ceux qu’on retrouve dans l’excellente bande-dessinée adaptée au cinéma, Quai d’Orsay.
Bref, voici un livre qui se lit aisément, mais qui, sans qu’on y prête garde, met les points sur les i sur de nombreux sujets. J’y ai d’ailleurs trouvé pour la première fois, et dit de manière simple, les raisons de l’embarras français pour régler le problème rwandais.
Gérard Araud fut un grand ambassadeur. Et si vous appréciez ses analyses et son humour, vous pourrez le retrouver sur Twitter : comme Donald Trump, il en fait un usage régulier, même s’il est moins dans la provocation que le président américain. Quoique, parfois…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec