Passé (re) composé
À l’exception de quelques cas vraiment particuliers, au cinéma comme dans la littérature, j’ai presque toujours été déçu par les anachronismes. Plus qu’une erreur d’inattention, ils démontrent, à mon sens, un manque d’investissement de l’auteur ou du créateur devant l’oeuvre à laquelle je consacre du temps. Ils relèvent de ce que je qualifierais de faute de goût, et me donnent envie de passer à autre chose.
Juger le présent avec les yeux du présent
Mais il n’y a pas que dans le domaine de la création artistique qu’on peut commettre des anachronismes. Une forme d’anachronisme plus courante, consiste à juger le passé à l’aune des savoirs et des modes de pensée actuels, ou, à l’inverse, de juger le présent avec les yeux du passé. D’une certaine manière, la mode du woke relève de la première catégorie, alors que la seconde est plutôt la tendance de milieux réactionnaires. Dans le premier cas, on en arrive à des aberrations telles, qu’on finit par éradiquer toute forme de mémoire du passé, au prétexte que les figures nobles de passé ne mériteraient aucune considération de nos jours. Dans le second cas, on bascule dans une forme de négativisme cyclique, incapable de comprendre le progrès ou l’évolution des cultures, de s’adapter au temps présent, et on finit par glorifier un passé qui ne l’était pas forcément.
Il est cependant un domaine où l’anachronisme est de rigueur : c’est dans l’observation du ciel. Le ciel ne nous permet rien d’autre, que de juger e passé avec les yeux du présent. La vitesse de la lumière, en effet, aussi élevée fut-elle, n’est pas infinie. Mesurée en kilomètres par seconde, elle ne vaut que 300 000, et c’est même un assez petit nombre, quand on le compare à d’autres grandeurs. Et c’est pour cette raison que ce que nous observons, quand nous levons le nez vers le ciel, n’est pas le ciel dans son état actuel, mais dans son état passé, il y a quelques minutes, quelques siècles, ou quelques milliards d’année.
Juger le passé avec les yeux du présent
Vous pointez votre vers le soleil ? Et bien sachez que ce que vous voyez, c’est le soleil d’il y a 8 minutes. Si cela se trouve, il a explosé il y a 4 minutes, et vous n’en saurez rien avec 4 minutes, ce qui vous laisse le temps de rédiger un court testament sur Facebook. Vous contemplez Mars ou Jupiter ? Même tarif, vous n’observez, en réalité, que l’état de ces planètes il y a quelques dizaines de minutes (pour vous en convaincre, revoyez Seul sur Mars, un excellent film sur ce sujet. Quant aux étoiles ou aux planètes lointaines, dites-vous bien que la plus proche, Proxima du Centaure est à quelques années lumière.
J’ai toujours trouvé que cet aspect des choses présentait un côté poétique. La vitesse de la lumière, sans le vouloir, nous préserve de la dure réalité de l’instant. Si quelque chose de grave se produit à des années lumière, nous n’en saurons rien avant quelques années, ce qui nous laisse le temps de profiter de la vie.
Le passé nous protège
En creusant la question, et en se mettant à la place d’observateurs extra-terrestres confrontés aux mêmes limites de vitesse – et pourquoi en serait-il autrement ? – on se dit que cela présente aussi un autre intérêt. Les éventuels ennemis situés dans une autre galaxie ne peuvent voir, de notre petite planète bleue, que l’état qu’elle présentait il y a deux siècles, 2000 ans ou 2 millions d’années.
Avoir envie d’envahir une planète fertile, dotée de technologies aussi poussées que le Dolby Stéréo, Netflix ou Android, cela peut se comprendre.
Mais qui aurait envie d’envahir une planète peuplée de dinosaures, d’hommes des cavernes ou de légions romaines ?…
Découvrez d'autres articles sur ce thème...
Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec