Otages, une histoire

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Quel rapport y a-t-il entre Philippe de Macédoine, Vercingétorix, Georges Malbrunot, Ingrid Betancourt et Gilad Shalit ? Les deux derniers personnages de cette série étonnante devraient vous mettre sur la piste… Et oui, si les époques diffèrent, tous ont été otages, sur des périodes plus ou moins longues, et auprès de détenteurs de nature différente. Car si les affaires de prises d’otages font presque partie de l’actualité quotidienne depuis quelques décennies, le concept d’otage fait en revanche partie d’une longue tradition, qui remonte au moins jusqu’à l’Antiquité. C’est l’histoire de ce concept que retrace Gilles Ferragu, professeur agrégé d’Histoire, dans ce livre passionnant.

Au commencement était l’otage

Nos contemporains pourraient croire que l’histoire des otages en général va de pair avec celle du terrorisme. Il n’en est rien. Le concept d’otage apparait très tôt dans l’histoire des civilisations, en même temps que les conflits et guerres entre les différents types d’états, empires ou royautés, dès l’Antiquité (et même de manière sibylline dans la Bible si l’on analyse l’histoire du renvoi des frères de Joseph dans la Genèse). À une époque où il est encore difficile d’accorder sa confiance à un état vaincu, l’otage, ou plutôt les otages, car ils arrivaient souvent par groupes, servaient de garantie, que le vaincu offrait au vainqueur : moi, vaincu, je te fournis des otages en gage de ma nouvelle loyauté.

Le statut et la nature de ces otages variaient d’ailleurs selon les acteurs du conflit, l’époque considérée, et les objectifs indirects du vainqueur. Il pouvait s’agir de proches du roi ou de l’empereur vaincu, mais ce n’était pas la formule la plus efficace : il pouvait tout aussi bien s’agir de ses plus valeureux chefs de guerre (pour éviter une reprise des combats) ou bien de ses principaux adversaires politiques (pour l’aider à affirmer son autorité et éviter un changement de régime). Les otages étaient en général bien traités, souvent admis à la cour du vainqueur, et pouvaient même faire l’objet d’une sorte d’acculturation, de manière à favoriser l’emprise du vainqueur.

Un gage de valeur variable

Bref, les otages des débuts de l’Histoire servaient de garantie plus que d’objet chantage. Leur nature pouvait parfois prendre des caractéristiques étonnantes. On peut ainsi croiser, parmi la vaste population de tous ces otage, des rois de France (comme François 1er) ou des papes (comme Pie VII, « capturé » par Napoléon). Avouez que ça change des otages plus anonymes de ces dernières décennies… De fait, jusqu’à la Révolution française, il n’y eut guère de relations entre états qui ne se fasse sans user d’otages sous forme de garantie.

Bien évidemment, au fil du temps, et à mesure que la réflexion politique évolue, surtout à l’époque des Lumières, la réflexion sur le droit des otages se formalise peu à peu, jusqu’à ce que, les états se formant de manière plus durable et les relations entre états étant soumises à des règles de plus en plus sophistiquées, on en vienne à pouvoir se passer de ces otages « diplomatiques » devenus inutiles, puisqu’il devenait inconvenant de les exécuter. C’est notamment le cas au milieu du 18e siècle, avec le traité de Westphalie, le premier qui règle un conflit sans qu’il soit nécessaire de donner des otages.

Un concept qui évolue

Pourtant, le concept d’otages ne disparaît pas. Il prend une nouvelle forme, durant la Terreur, puis avec les guerres napoléoniennes, où l’on prend des otages non pour garantir la paix entre princes, mais pour se préserver des réactions des populations conquises. Les Prussiens, par exemple, inventèrent un concept étonnant durant la guerre de 1870, prenant des otages parmi les notables des territoires conquis à la France, pour les faire circuler dans les trains utilisés pour la première fois à des fins militaires, et éviter des actions de sabotage de la part de Français qui mettraient ainsi en péril la vie de leurs compatriotes… Ce concept d’otage de guerre va prendre une ampleur massive avec les deux conflits mondiaux, aussi bien par l’armé française que par la Wehrmacht, jusqu’à que l’ordre mondial naissant établisse des règles, notamment à La Haye et à Genève, établissant clairement le caractère criminel de la prise d’otages en période de guerre.

C’est alors que s’opère un nouveau bouleversement, dans l’usage des otages : utilisée jusqu’à présent par le plus fort pour garantir la loyauté du plus faible, puis pour éviter toute action subversive des populations installées dans les territoires conquis, la prise d’otage devient un outil au service du plus faible pour déstabiliser le plus fort. C’est en Amérique du Sud, au sein d’états où les mouvements révolutionnaires d’extrême-gauche sont pleinement actifs au lendemain de la deuxième guerre mondiale, que ce mode opératoire se popularise. Il va rapidement séduire d’autres mouvements, en Europe, au Proche-orient et en Afrique, mouvements révolutionnaires qui feront de ce concept un élément de plus au service de l’arsenal terroriste.

Un livre à lire et à faire lire

Si vous recherchez un livre hors du commun pour la trêve hivernale, faites-vous plaisir avec Otages, une histoire. Ce livre passionnant de Gilles Ferragu mérite de figurer dans la bibliothèque de tout passionné d’Histoire qui se respecte. Au plaisir de découvrir certains aspects souvent peu connus de l’histoire de France, vous y revisiterez certains événements de l’histoire récente (des mouvements révolutionnaires uruguayens à l’Irangate), retracés avec un art indéniable de la synthèse et du récit historique.

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