Opération « retrouvailles »
Alors que les combats font rage en Ukraine depuis quatre jours, et l’invasion pas si surprenante du territoire ukrainien par les troupes russes, malgré ce qu’en pensait Serge, une chose m’a particulièrement frappé dans ce conflit : la différence de dialectique entre la présentation par les Russes et par les Ukrainiens. Guerre pour les uns, opération militaire limitée pour les autres, mais personne n’est dupe : dans cette affaire, il y a bien un pays agresseur et un pays agressé.
Qu’est ce qui différencie une guerre d’une opération militaire ? Bien peu de choses en réalité. La guerre du Golfe, qui vit une coalition internationale se liguer contre l’Iraq s’appelait « opération Tempête du Désert ». L’état d’Israel, de son côté, est habitué des opérations aux noms plus ou moins poétiques, pour qualifier ses interventions au sud Liban ou à Gaza : « pluie d’été », « gardiens de nos frères », « bordure protectrice » ou « roc inébranlable » donnent un reflet symbolique à ces oéprations.
Quel nom pourrait porter l’opération russe en Ukraine ? Opération « vent dans les blés » ? Opération « retour à Kiev » ? Ou tout simplement « opération retrouvailles » ?
Car il s’agit bien de retrouvailles. L’Ukraine récente, née avec l’effondrement de l’URSS, a eu du mal à s’émanciper de l’emprise de son voisin. Il a fallu attendre 2004 et la révolution Orange pour qu’arrivent au pouvoir des dirigeants ukrainiens capables de marquer leur indépendance à la Russie, comme Viktor Iouchtchenko, opposé à un candidat, Viktor Ianoukovytch, téléguidé par Moscou. ce dernier ayant pris le pouvoir en 2010, de nouveaux mouvements de protestation éclatent, aboutissant aux événements dont on se souvient, sur la place Maidan en 2014, et qui aboutissent à l’avènement au pouvoir de gouvernements ouvertement pro-européens, d’abord avec Petro Porochenko, puis avec Volodymyr Zelensky.
Mais l’Ukraine est-elle en Europe ? Du point de vue d’un occidental, oui, certainement. Comme le rappelait Serge, l’Europe s’étend de l’Atlantique à l’Oural, du moins nous l’enseigne-t-on au collège. Les occidentaux ont voulu y croire, tout comme au charme des top models ou ds agences digitales qui foisonnent entre Kyiv et Kharkiv (pour reprendre l’orthographe ukrainienne).
Mais du point de vue russe, ou s’arrête vraiment l’Europe ? Et plus précisément, ce grand, cet immense pays appelé Russie, fait-il partie de l’Europe, de l’Asie ou des deux à la fois ? Comme l’explique l’excellent monde vu de Moscou, la Russie » … est l’Eurasie, un monde à part, distinct des pays situés à l’ouest et de ceux situés au sud et au sud-est…. L’espace eurasien n’est pas divisé en deux continents, il en forme un troisième… » Vouloir s’émanciper de cet espace eurasien, c’est prendre le risque d’un conflit ouvert avec son épicentre, situé à Moscou, voilà ce que nous dit Vladimir Poutine, en embarquant près de 200 000 hommes dans une opération risquée, qui pourrait s’éterniser, et contaminer d’autres foyers de discorde, comme les pays baltes, qui sont juste de l’autre côté de la Biélorussie.
Les dommages collatéraux de ce conflit sont tout aussi intrigants. On a vu les candidats d’extrême droite ou d’extrême gauche opérer une volte-face en toute urgence, et condamner les ambitions territoriales de Vladimir Poutine, après avoir jusque là plutôt encensé le dirigeant pour son nationalisme outrancier. On a vu un ancien premier ministre, déjà sali par un scandale familial qui lui a probablement coûté une place au second rout de l’élection de 2017, démissionner lui aussi en toute urgence de ses mandats au conseil d’administration de sociétés russes, pour mettre fin aux soupçons d’entrisme et de trafic d’influence.
Et quel sera l’impact sur la présidentielle en France, dans quelques semaines ? Emmanuel Macron recueillera-t-il les fruits de ses tentatives d’intermédiation, de sa posture guerrière, à la fois comme chef de l’état et représentant de l’Europe ? Ou lui reprochera-t-on les faibles résultats de ses tentatives pour résoudre par la diplomatie ce que Poutine a préféré résoudre par les armes ? Lui rappellera-t-on l’affront de ces derniers jours, la promesse d’une conférence anéantie quelques heures plus tard par les premiers bombardements ? Lui imputera-t-on une certaine naïveté face à un despote sans scrupules, et lui préfèrera-t-on un candidat aussi peu soucieux de moralité et d’attitudes « politiquement correctes » ?
Les prochaines semaines risquent d’être sanglantes.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec