Octobre rouge

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Nous gardons tous en mémoire à jamais ce que nous étions en train de faire le jour où les événements les plus tragiques ont percuté notre quotidien. Pour les uns, c’est le souvenir des soirées du 13 novembre 2015 ou du 14 juillet 2016. Pour d’autres, encore plus nombreux, c’est le souvenir des attentats du 11 septembre 2001. Pour d’autres encore, les plus anciens, c’est le souvenir de l’offensive simultanée des armées égyptienne et syrienne, le 6 octobre 1973, marquant le début de la guerre de Kippour dont on a commémoré le 50e anniversaire il y a seulement quelques jours.

Douleur et tristesse

Et puis il y aura désormais le souvenir de ce matin du 7 octobre 2023, ou plutôt du 22 Tichri. Je m’en souviendrai toute ma vie, c’est certain. J’étais assis à la synagogue, discutant de choses et d’autres, entre chaque montée à la Torah avec mon voisin, Philippe. Quand il m’annonça : « tu as vu le bordel que c’est actuellement en Israel ? » Je ne savais encore rien de la situation, et c’est lui qui me donna les premières informations : des groupes de terroristes du Hamas avaient pénétré dans le sud d’Israel, semant le désordre dans les villes frontalières. Il m’annonça une quarantaine de victimes déjà… Plus tard, les notables de la synagogue prirent la parole pour nous mettre en garde contre ce qui risquerait de toucher la communauté juive de France dans les prochains jours… Et ce n’est que samedi soir, au sortir du premier jour de fête, que je pris conscience, comme de nombreux coreligionnaires, de l’ampleur de la catastrophe.

Comment célébrer Simhat Torah dans de telles conditions ? Comment simuler l’allégresse, alors que depuis quelques heures les images ahurissantes des civils maltraités, assasinnés, torturés ou pris en otage, défilaient devant mes yeux ? Je ne les diffuserai pas sur ce blog, mais vous pouvez les retrouver facilement sur Twitter. Il faut voir cette vidéo de près de 10 minutes, ces images déchirantes où deux jeunes enfants pleurent, dans les bras de leur mère, l’assassinat sous leurs yeux de leur grande soeur. Ou les images ahurissantes des ce jeunes dansant naïvement alors qu’un commando de terroriste en ULM s’approchait de l’emplacement de leur rave party.

Alors qu’Israel pleure ses centaines de morts – presque autant que durant la 2e Intifada ! – et prépare une riposte qu’on espère aussi courte et efficace que possible, je suis, comme des millions de personnes, resté perplexe devant la facilité apparente avec laquelle cette opération a été menée.

La préparation

Toute opération armée demande un minimum d’organisation, et se prépare au moins quelques semaines à l’avance, de manière à disposer des ressources et de la logistique susceptibles de produire l’impact le plus fort. On peut dire qu’en la matière, le Hamas a fait preuve d’un professionnalisme et d’une minutie qu’on avait jusque là plutôt l’habitude d’observer chez les israéliens. De la neutralisation des systèmes de surveillance par des drones armés d’engins explosifs jusqu’à la prise d’assaut du poste frontière, du découpage de la grille de séparation au bulldozer jusqu’à l’invasion des villages et kibboutz frontaliers, le Hamas a atteint, voire dépassé, tous ses objectifs. Pire que cela, l’organisation d’une rave party à deux pas de la bande de Gaza lui a fourni le « matériel humain » pour maximiser le nombre de victimes : des jeunes venus par centaine, ayant dansé toute la nuit, des étrangers, de nombreuses femmes, rien de tel pour réaliser un carnage, sorte de version à ciel ouvert du massacre au Bataclan.

On peut se poser la question de l’opportunité d’un tel événement festif à quelques kilomètres de la bande de Gaza. Mais souvenez-vous que jusqu’à samedi matin, la bande de Gaza était un territoire étanche, dont la barrière de sécurité n’avait jusque là était franchie qu’à de très rares occasions, et par très peu d’individus. Bref, organiser une rave en plein désert loin des villes de la bande côtière, ce n’était jusque là pas forcément une mauvais idée.

On peut aussi se poser la question de l’approvisionnement en armes, explosifs et drones en tout genre d’un territoire réputé être sous embargo. N’importe quel israélien vous répondra qu’en réalité, la bande de Gaza bénéficie d’une porosité absolue, par le biais de tunnels creusés à la frontière avec l’Egypte, ainsi que par le biais de ses 40km de côtes. Mais de là à bénéficier d’un tel approvisionnement, il y a de quoi se poser des questions… En tout cas, cela permettra je l’espère de de fermer la gueule des supporters du Hamas, du BDS et de leurs amis d’extrême-gauche en France, qui parlent de prison à ciel ouvert ou fermé, je ne sais plus très bien. Le Hamas a simplement décidé de privilégier l’importation d’armes à celle de denrées alimentaires ou de médicaments. Le jour où les médias comprendront que les 2 millions de gazaouis sont avant tout otages de leurs dirigeants, on aura peut être fait un pas vers la paix… Au passage, notons le support affirmé du NPA et de LFI aux terroristes du Hamas : il faudra bien qu’un jour, en France, on prenne la mesure de ce que signifie supporter un mouvement terroriste qui a massacré plus de 700 personnes en une journée. Moi qui prenais le NPA pour un parti de doux allumés…

L’impréparation

Autant les troupes du Hamas semblaient aguerries et prêtes à assouvir leur soif de sange, autant on reste perplexe de la faible défense des israéliens dans leur ensemble. D’abord du côté de la protection du passage d’Erez, qui n’a semble-t-il pas résisté longtemps à l’assaut de quelques dizaines de terroristes. Était-ce dû à une réduction du contingent sur place en raison des fêtes juives ? Tsahal a-t-elle accordé une trop grande confiance à sa barrière de protection ? Les soldats sur place n’étaient-ils pas suffisamment préparés ? La neutralisation des moyens de surveillance a-t-elle suffi à tout déstabiliser ? Ou bien, comme certains commentateurs politiques le soulignent déjà, la focalisation depuis quelques mois de la politique intérieure sur les problèmes liés à la sécurité en Judée et Samarie a-t-elle détourné les ressources militaires de la défense de la frontière sud vers des objectifs politiquement plus prioritaires ? … Je ne suis pas certain que l’on connaîtra la vérité sur ce sujet avant longtemps.

Toujours est-il qu’on a eu le sentiment que face à ces centaines de terroristes du Hamas, Israel n’opposait qu’une poignée de soldats et quelques policiers qui n’ont pas tenu longtemps face au déferlement de violence, durant les premières heures de l’attaque. Le bilan très lourd de cette journée funeste est à mettre en regard du bilan des pertes de la guerre de Kippour, ou des victimes du terrorisme des deux Intifada. Avoir quitté Gaza était, me semble-t-il, une nécessité morale. Mais laisser sa frontière sous une surveillance aussi faible est une faute impardonnable.

Enfin, qu’en est-il des services de renseignement israéliens ? Comment ont-ils pu se faire berner à tel point que certains responsables politiques évoquaient le calme relatif de la frontière sud par rapport aux violents mouvements de protestations de la population de Cisjordanie il y a quelques mois ? Comment n’ont-ils pas vu monter la préparation évoquée plus haut ? Israel, autrefois si fort pour surveille ou infiltrer ses adversaires, s’est-il endormi ? Les gourous des technologies dont on vante les prouesses quotidiennement ont-ils délaissé l’intérêt national au profit de parcours dans des start-up ? Je reste perplexe.

L’avenir

Que se passera-t-il dans les prochains jours ? Une opération de grande envergure, probablement. Mais on voit mal comment elle ne tournerait pas à la tragédie, avec plus d’une centaine d’otages israéliens aux mains du Djihad islamique et du Hamas. Une escalade régionale, avec l’implication du Hezbollah ? Personnellement, j’ne doute. Aussi bien préparée qu’elle fut, l’opération du Hamas reste une opération terroriste, non une manoeuvre de grande envergure, et c’est tout le paradoxe de ce conflit : le Hamas est capable d’infliger de douloureuses pertes civiles, mais incapable de soutenir une guerre. Les israéliens semblent condamnés à se coltiner un voisin belliqueux qu’ils ne peuvent anéantir pour d’évidentes raisons morales, mais dont ils doivent régulièrement réduire la capacité de nuire pour ne pas offrir le flanc à des attaques comme celle de ce shabbat. C’est en quelque sorte le rocher de Sysiphe de cet état qui reste, rappelons-le, la seule véritable démocratie régionale.

Et d’ailleurs, puisqu’on parle de démocratie, il faudra bien un jour que les dirigeants israéliens actuels répondent des négligences à l’origine de cette catastrophe. Golda Meir avait tiré les leçons de la surprise du Kippour, en démissionnant en 1974. Menahem Begin avait lui aussi tiré les conséquences en 1983 de la tournure prise par l’opération au Liban. Netanyahou, une fois la riposte passée, mettra-t-il un terme a sa carrière ? C’est peut-être ce qu’attendent une majorité d’israéliens, et ce serait peut-être la seule conséquence positive de ce carnage…

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