Nuit (à dormir) debout?
Je ne comprends rien à Nuit debout. Normal, je suis un vieux con capitaliste de gauche, ce qui est déjà assez difficile à vivre. Et pourtant, je m’intéresse aux signaux faibles, et beaucoup de gens me disent que ce qui se passe tous les jours Place de la République est un signal faible. Ok, ok, un signal faible, mais un signal de quoi?
Si encore ces gens là manifestaient pour quelque chose de précis, du style « la semaine de 32 heures », ou la réévaluation du SMIC, ou la fin de l’état d’urgence, un truc facile à comprendre, peut-être que j’aurais eu plus de facilités à comprendre ce mouvement. J’aurais été pour ou contre, mais j’aurais eu un avis, une motivation à me prononcer. Mais là, avec Nuit debout, je me sens comme une poule avec un couteau. Que pensez d’un mouvement dont le manifeste ressemble à ça:
Sais-tu ce qui se passe là ? Des milliers de personnes se réunissent Place de la République à Paris, et dans toute la France, depuis le 31 mars. Des assemblées se forment où les gens discutent et échangent. Chacun se réapproprie la parole et l’espace public.
Se réapproprie l’espace public. Tiens, on est en dictature, là, d’un coup? Personne ne m’a prévenu, c’est vraiment pas sympa! Ah non, c’est toujours la démocratie. Bon, ben alors se réapproprier l’espace public, ça veut dire quoi? Se promener dans la rue? So what?
Ni entendues ni représentées, des personnes de tous horizons reprennent possession de la réflexion sur l’avenir de notre monde. La politique n’est pas une affaire de professionnels, c’est l’affaire de tous. L’humain devrait être au cœur des préoccupations de nos dirigeants. Les intérêts particuliers ont pris le pas sur l’intérêt général.
Ni entendues, ni représentées. Bon, là il y a un signal fort. Vous, les filles et les gars de Nuit debout, vous vous sentez abandonnés, c’est ça? Marre de voir ces salauds de politique vous arnaquer scrutin après scrutin, magouille après magouille? Vous voulez monter un mouvement politique, hein? Ou faire la révolution?
Chaque jour, nous sommes des milliers à occuper l’espace public pour reprendre notre place dans la République. Venez nous rejoindre, et décidons ensemble de notre devenir commun.
Donc le jour on bosse, et le soir on vient faire la révolution, entre potes. Sympa. Je vérifie deux minutes l’agenda et boum! En fait, Nuit debout, ça se passe plutôt le jour. Université populaire, commissions migration, éducation, féminine – non mixte (notez bien le non mixte, et repensez-y à la prochaine commission masculine).
Je relis, je trifouille sur le site, je regarde le livestream, les tweets, mais je ne comprends toujours pas vraiment le pourquoi de ce mouvement. Car au-delà du manque de représentativité évoqué plus haut, qu’est ce que sous-entend un tel mouvement? Quelle souffrance exprime-t-il? Ses membres ont-ils l’impression de vivre sous une dictature? En-deça du seuil de pauvreté? Les deux jours qui précèdent la fin du monde? Sans Wifi depuis deux heures? Est-ce une envie de faire comme les autres: comme les indignés, comme occupy wall-street, comme la révolte des tentes ou les printemps arabe? Si c’est le cas, je conseille vivement à tous les psychiatres du pays de se rendre sur place, il y a probablement quelques centaines de patients à rencontrer…
Tout cela me semble vain, vain, vain.
Vous, les filles et les gars de Nuit debout, qui vous éclatez entre vous à refaire le monde, il serait peut-être temps d’expliquer aux autres, aux anonymes, comme moi et plein d’autres anonymes, ce que signifie votre truc. Parce que sans cela, on risque vraiment de s’en lasser. Et de s’en désintéresser, quels que soient les efforts que vous y mettez.
A moins que ce ne soit encore un apéro géant.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Je suis encore plus vieu con que toi, non capitaliste et de la gauche de la gauche et en plus j'habite très loin. Cela dit comme on dit en espagnol : "lo siento!"
"Une sorte de jeu exactement contraire à celui de l'imposture"
Jean-Marie Domenach, dans Esprit en juin 68, sur mai 68.
Ce qui se passe sur cette place est à la limite du ridicule. Il faut avoir le temps d'aller palabrer. Oisifs ? Chômeurs ? Entretenus par la collectivité ou les parents ? Jouer les opprimés est tout de même scandaleux alors que des milliers de personnes risquent leur vie pour rejoindre l'Europe.