Non, la fiscalité ne met pas en danger la filière numérique
Surprenant article hier soir dans le quotidien Le Monde, où Bernard Charlès, directeur général de Dassault Systèmes, pose la première pierre avant un probable exil fiscal. Drôle d’aboutissement pour une grande personnalité du logiciel français, que j’ai eu le plaisir de rencontrer à plusieurs reprises par le passé, et qui m’a franchement déçu sur cette interview.
Illustration: Philippe Geluck
Certes, il y avait eu le mouvement des pigeons, il y a quelques mois. Ce mouvement de contestation, né au sein de la crème des entrepreneurs du digital français, m’avait donné l’impression d’une réaction assez stupide, de quelques nantis cherchant uniquement à préserver leurs bénéfices potentiels durement acquis lors de la cession (future ou passée) de leur entreprise: dans le contexte économique actuel, face à une France qui voit sa dette exploser – lire à ce sujet l’excellent article de Jacques Attali – jouer une carte perso en pleurant sur la taxation à 75% des revenus supérieurs à 1m€, cela m’a paru faire preuve d’un nombrilisme exagéré (etqu’on ne me dise pas que je n’ai rien compris aux sacrifices d’un entrepreneur: cela fait cinq ans que je dirige ma boîte, et j’ai mangé de la vache enragée comme eux à mes débuts, je tiens mes bilans à disposition de ceux qui le souhaitent). Mais revenons à notre propos.
Certes, il y avait eu Gérard Depardieu, et Bernard Arnault. Dans le premier cas, on avait mis la décision de la’acteur sur le compte de son caractère ombrageux, impulsif, irréfléchi, entier: son parcours grotesque, de Belgique en Russie, a montré les limites de son analyse, on en pleure plus qu’on en rit. Dans le second, on pouvait se dire que la soif du gain ne se calme ni avec l’âge, ni avec les revenus.
Mais avec Bernard Charlès, je m’attendais à mieux. A la tête du premier éditeur de logiciel français, modèle, exemple, pour les quelques centaines d’éditeurs qui restent, Bernard Charlès tient un rôle de vigie. Ses propos sont écoutés. Ses interviews sont appréciées. bref, il est un peu leur porte-parole. Alors le voir adopter une posture finalement pas si éloignée de celle des pigeons, sincèrement, cela me désole. Je lis et relis l’article, et je m’interroge. Est-il sérieux, quand il prétend que « ceux qui arrêtent ces mesures n’ont pas conscience des conséquences sur le secteur de la high-tech« ? Les ingénieurs de Dassault Systèmes n’ont-ils donc d’autres motivations que de palper quelques millions d’euros? Les taupins, qui après de difficiles études d’ingénieur rejoignent les cohortes de développeurs de cette société n’ont-ils entamé de telles études que par la perspective du gain? Allons donc!
Peut-être ne s’agit-il donc que des mille salariés qui dessinent le futur de l’entreprise. Entre nous, c’est triste pour les neuf mille autres, de se dire que les mille qui dessinent le futur, ne le font que dans la perspective de devenir millionnaires. Il fut un temps où j’ai fait partie de ces heureux élus. J’ai moi aussi, un certain temps, profité de ce système de gratification. Certains en ont profité plus que d’autres, c’est la règle dans ce type de structure. Mais je ne l’ai pas fait pour l’argent: si j’avais voulu m’enrichir, c’est vers la banque et la finance que je serais allé, et non chez DS. Et l’idée même de m’expatrier contourner le système d’imposition ne m’a, je l’avoue, jamais effleuré. Question d’éducation? Peut-être. Je suis passé par le même système éducatif mentionné par Bernard Charlès. Et je suis ravi que la fiscalité si lourde dénoncée par Mr Charlès, contribue à financer ce même système éducatif, qui alimente encore en ingénieurs de talent, cette même entreprise.
Oserais-je rajouter que, comme nombre d’entreprises de haute technologie, Dassault Systèmes bénéficie fort probablement de crédits d’impôts liés à son activité de recherche et de développement. Doit-on considérer que cette fiscalité soit si lourde, qu’il faille envisager, pour l’alléger, de réduire le fameux « CIR »? Le CIR mettrait-il en danger la filière numérique? Comment peut-on se réjouir du système d’un côté, et s’en garder de l’autre? Est-ce un discours acceptable? Je reste sans voix.
Se soustraire à l’impôt, c’est se soustraire à un devoir de fraternité. Le faire au nom de la liberté d’entreprendre, ou de l’égalité des chances dans une économie mondialisée, c’est pervertir le socle sur lequel s’est construite la société française. Il a fallu deux siècles pour construire ce socle sur un fragile équilibre, fait d’intégration et de cohésion nationale. Par leur attitude égoïste, certains chefs d’entreprise comme ceux du mouvement des pigeons ou Mr Charlès, sont en train de le corrompre. Plus que le discours sur le déclin de la France, c’est cette attitude qui m’effraie le plus pour l’avenir de ce pays.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Si on suit ton raisonnement tous les ingénieurs chanceux de DS et du secteur High Tech pourrait toucher le SMIC/2 et être heureux…
La vraie question est oú est la limite acceptable et non confiscatoire du taux d’imposition. C’est aussi simple. l’impôt devrait être lié au niveau de la dette et au déficit public. Why not? Le vrai patriotisme C’est pendant une Guerre pas pendant la mondialisatiin oú les pays emergents nous taillent des croupieres.
Cest la mondialisation qui fait fuire nos talents.
Mais Elle est la! La seule solution pour la France C’est l’innovation dans tous les domaines comme le Japon, la Corée ou Israel …
De plus la fiscalisation n’est présentée que pour stymatiser une certaine population aisée ne peut que la faire fuire et tout cela pour satisfaire une partie de l’électorat!
Le vrai scandale c’est les arbitrages de fiscalité autorisés légalement pas des gros mastodontes comme Google, Amazone, Microsoft qui profitent des possibilités offertes gratuitement par l’Europe en permettant à ces sociétés de se déclarer en Irlande ou au Luxembourg pour payer moins d’impôts et ne pas les payer en France qui en a a a tellement besoin!!!!
L’important c’est d’être cohérent et non pas d’envoyer des messages politiques qui permettront d’être élus sur des mensonges….
Pas d’accord avec toi sur la première partie, Armand, le patriotisme peut aussi être économique, pas besoin de conflit armé pour cela. Sans patriotisme économique, il n’y aura plus d’excellence française en R&D au niveau des filières de formation. Parce qu’après tout, pourquoi ne pas aussi inciter les profs ou les chercheurs à aller chercher leur bonheur ailleurs?
Je ne me fais absolument pas l’avocat d’un nivellement par le bas et d’un SMIC pour les ingénieurs. Mais faire croire que la fiscalité des gros salaires et des grandes fortunes va boucher la filière numérique, c’est à mon sens, une grosse rigolade.
Je suis d’accord en revanche sur la seconde partie concernant ces sociétés qui s’installent à Dublin pour profiter des failles de l’Europe. Mais ça, ce n’est absolument pas la faute du gouvernement actuel…
Hervé, tu pètes un Kable 😉
Je pense exactement le contraire de ce que tu
écris et voici l’argumentation :
http://lecercle.lesechos.fr/entrepreneur/internet/221162655/secteur-internet-francais-vit-faux-historique
1/ La France perd plus par ces taxes qu’elle ne gagne
2/ Fondamentalement l’Etat ne fait plus confiance
à ses propres citoyens
3/ Quand l’Etat dépensera 200 milliards de moins
par an (ie qu’il sera juste au niveau de l’Allemagne),
tous ces gens accepteront de payer tous les impots
dont tu parles. La gabegie rend l’impot insupportable.
Merci pour le commentaire Eric. Je pense qu’on ne parle pas de la même chose. La fiscalité française n’a absolument pas empêché les Criteo et DailyMotion de se développer; au contraire, je suis certain que toutes ont profité: 1- du crédit d’impot recherche 2- d’une population d’ingénieurs de haut niveau.
Ce qui empêche les grosses startups de se développer à l’international, c’est plutôt un manque de vision au démarrage. Quand un Google ou un Amazon se développe aux US, il bénéficie d’un marché intérieur de quelques 350 millions d’individus parlant la même langue. Un français se développer avec un marché intérieur 6 fois moindre, et souvent dans une langue qui l’empêche de franchir les frontières du sud ou de l’est. C’est malheureusement aussi simple que cela. Si DS est devenu un mastodonte, c’est d’abord parce que dès le milieu des années 80, CATIA a touché une clientèle étrangère, via son partenariat commercial avec IBM.
Ce dont il s’agit dans l’article du Monde, c’est d’un état d’âme de grand patron qui devrait tenir lieu de mentor et d’exemple pour les autre entrepreneurs nationaux. En adoptant la posture des « geonpi », il se situe au niveau des « take the money and run » qu’on connait tous. Personnellement, je ne pense pas que cela soit très brillant.
Toujours pas d’accord avec toi Hervé, tu manques complètement le point de l’innovation de rupture et ce qu’elle nécessite.
Comment
— finances-tu l’amorçage pour fabriquer le produit ?
— le temps de survie de la boîte le temps que les clients l’adoptent ?
— la croissance ultra-rapide lorsque le marché est mûr ?
Capital, capital, capital. Cette fiscalité tue l’amorçage, tue l’investissement de croissance et tue
la possibilité de motiver les bons ingénieurs en rendant l’imposition sur les options et l’intéressement dissuasive.
Si un investisseur gagne 100, l’état lui en prélève 70 quand il en prélève 30 en Allemagne.
Et s’il perd les 100, l’état ne perd évidemment rien.
Où est l’équilibre ? Où est l’avenir de ce pays ?
C’est tout faux, sur toute la ligne, et ça n’a rien à voir avec « take the money and run ».
Pour moi, il s’agit de deux sujets différents. Ce ne sont pas les « gros salaires » qui financement l’innovation de rupture en France, quoiqu’on en dise. L’optimisation fiscale n’est pas le seul moyen de financer cette innovation. OSEO, le CIR, de nombreux autres dispositifs existent – et le rapport Gallois a recommandé de poursuivre dans cette voie à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Ce ne sont pas les plans de stock-options, parfois très généreux, qui financent l’innovation. Ils constituent une cerise sur le gâteau en cas de succès, mais ne paient pas les salaires. Alors dire que la fiscalité actuelle va casser l’innovation, pour moi, c’est un sacré détournement.
ALALALA, même toi Hervé, même toi tu t’es laissé lavé le cerveau
par la bonne pensée conforme ambiante.
L’état ne sera jamais efficace pour financer l’innovation. Une structure centralisée n’aura jamais la clairvoyance pour choisir dans quoi investir.
Quand on répond OSEO, CIR, etc pour financer l’innovation, c’est déjà la preuve d’une déficience terrible du financement privé.
Comment veux-tu qu’un fonctionnaire bureaucrate comprenne l’innovation de rupture qui arrivera dans 3 ou 5 ans ? C’est impossible !
Il faut que le financement viennent de riches individus qui ont fait fortune dans le business.
C’est la seule solution efficace et génératrice de vraie croissance.
Par incitation fiscale, et pas par confiscation fiscale.
Et pour cela, il faut un pays qui génère ces individus fortunés, qui les incite à rester et à réinvestir ce qu’ils ont gagné.
Quelle fiscalité a-t-on aujourd’hui ? Une fiscalité confiscatoire qui massacre les riches
et les investisseurs et qui les incite à tout sauf à rester. Tout est lié !!
Avec cette fiscalité, des Criteo et Dailymotion, tu n’en auras plus.
Hervé, fais-moi la liste des « personnes préférées des Français » qui paient leur impôt en France.
Tu verras, tu n’en trouveras pas beaucoup.
Tout cela me semble une question d’éducation.
J’ai été élevé dans l’admiration de gens comme Pasteur ou Marie Curie, qui crevaient de fin pour faire le bonheur collectif. J’ai vu mes parents passer leur vie à travailler, pour rien. Et je travaille par passion.
Marcel Dassault lui aussi travaillait par passion. Il aurait pu gagner beaucoup plus ailleurs que dans l’aviation. Mais il aimait les avions.
Je doute que l’argent crée le talent, ou soit même la meilleure motivation pour l’entrepreneur. L’entrepreneur veut réaliser une vision, avant tout.
Pour inciter à la prise de risque les investisseurs privés, il est évident que la mesure fiscale annoncée n est vraiment pas opportune, le gouvernement fait fausse route, j en suis persuadé. Les bons sentiments que vous avancez ne sont pas suffisants, il faut commencer par limiter la gabegie financiere de l etat avan de taxer ceux qi font vivre l economie