Ne touchez pas au budget de la Défense!
Le ministre de la Défense a obtenu gain de cause, les crédits alloués aux forces armées ne baisseront pas cette année, et une rallonge de l’ordre de quatre milliards d’euros leur sera consacrée pour les trois ans à venir. C’est bien, mais est-ce suffisant?
Dans une démocratie comme la nôtre, l’armée n’a qu’une raison d’exister: protéger la nation des menaces extérieures. Cette menace a évolué au fil du temps: l’armée de l’air, les blindés, l’arme nucléaire sont apparues progressivement, pour adapter la capacité de réaction des forces armées aux évolutions techniques et technologiques de ses adversaires.
La protection du peuple français passe aussi, il faut en avoir conscience, par une présence sur des terrains éloignés de la métropole. Nos soldats sont présents sur de territoires éloignés, sur mer ou sur terre, et interviennent à la fois pour protéger les populations concernées et prévenir des menaces extérieures.
Cette menace a pris la forme, ces dernières années, d’un terrorisme capable d’agir sur le territoire national. Tous les pays occidentaux y sont exposés, certains en ont pâti plus que d’autres: souvenez-vous des attentats de Londres, de Madrid. Nous avons également payé notre part: les événements de janvier 2015, mais aussi ceux du milieu des années 80 ou 90, ont illustré l’apparente facilité avec laquelle de petits groupes fanatisés, motivés, étaient capables de frapper au coeur de la capitale, des cibles rendues encore plus faciles à atteindre que la France n’est plus en guerre depuis 50 ans, et que sa population n’est plus aux aguets.
Comme beaucoup, je suis prêt à parier que cette menace va se développer dans le futur, et que les attentats de janvier dernier ne sont pas les derniers que nous connaîtrons. Pour y parer, le gouvernement est en passe de faire voter une loi liberticide, qui en effraie plus d’un. Contrairement à une majorité d’acteurs des technologies, je ne suis pas opposé à cette loi, qui pose un cadre légal à ce qui de toute façon se serait très bien mis en place, de gré ou de force, en dehors de tout contrôle officiel. Et pour moi, il n’y a pas de liberté possible pour les ennemis de la liberté.
Mais cela ne suffira pas. Les acteurs de la nouvelle menace sont aguerris, contrairement à nous, ils ont appris à évoluer en dehors des réseaux de communication, à jongler avec les cartes SIM, à laisser le minimum de trace lorsqu’ils utilisent Internet. La loi citée précédemment ne permettra pas de réduire la menace à néant: d’autres opérations, hélas, réussiront, il suffit de bien peu pour que des catastrophes se produisent.
Le gouvernement a pris depuis janvier des mesures exceptionnelles, en mobilisant des unités habituellement appelées à intervenir sur d’autres théâtres d’opération, pour protéger écoles et synagogues. De nouvelles missions, pour ces soldats souvent très jeunes, à peine plus âgés que les adolescents qui les croisent chaque matin. Quel gouvernement prendra le risque de mettre un terme à ce dispositif, et d’ouvrir la porte à un nouveau Merah, à un nouveau Coulibaly?
Ne souriez-pas. Je peux vous assurer que quand j’arrive devant ma synagogue de quartier, je ne suis plus serein depuis longtemps, comme bien d’autres. L’inquiétude est palpable, les sourires sont crispés, la moindre voiture qui freine brutalement, le moindre pot d’échappement qui pète, sont la source de regards inquiets. La présence de ces soldats ne suffira peut-être pas à empêcher un nouveau carnage, elle réduira néanmoins la capacité de nuisance de ces fous dangereux qui viendraient attaquer ces lieux à risque.
On arrive enfin à l’objet de mon article: si de tels dispositifs doivent être pérennisés, il est nécessaire de mener deux actions: d’abord, allouer les budgets qui le permettent; puis former les unités qui y prennent part aux nouvelles missions qui les attendent.
Allouer les budgets, c’est prendre en compte le fait que ces personnels sont en mission, loin de leurs bases, de leurs familles. Ce n’est peut-être pas le coût de l’opération Daguet ou Serval, mais je suis certain que c’est loin d’être négligeable.J’ai lu quelque part que dix mille soldats étaient impliqués dans ce dispositif, à comparer avec les 2000 ou 3000 présents au Mali dans le cadre de Serval ou Barkhane. Certes, les moyens sont différents, il n’est pas question de pont aérien. Mais les frais de fonctionnement restent importants.
Former ces unités, c’est spécialiser leur capacité de réaction face à des menaces plus diffuses, comme des commandos légers, évoluant en milieu urbain très dense, avec la présence d’enfants, de familles. C’est peut-être faire évoluer leur uniforme – la tenue « camouflage » a peut-être un effet dissuasif, mais pourquoi portent-il un équipement aussi lourd avec eux? C’est surtout préparer des unités dont ce sera la spécialisation, tout comme on spécialise des unités pour la lutte contre les sous-marins, le génie ou les transmissions. Je ne suis pas certain que le jeune homme ou la jeune fille qui s’engage un jour, imagine un seul instant qu’il ou elle peut se retrouver à protéger une synagogue quelques mois plus tard.
A chaque époque, l’armée française a été capable de se doter d’unités spécialisées, susceptibles de répondre aux menaces de son époque. les menaces d’aujourd’hui ne sont pas celles du 18e ou du 19e siècle et requièrent une réponse appropriée. Ce n’est pas le moment de s’endormir et de réduire le budget de la Défense.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec