Météo Marine : avis de tempête, prudence
Mes lecteurs réguliers le savent, je n’ai jamais été un fervent supporter du RN et de son ancêtre, le FN, même si je reconnaît aisément qu’il ne représente pas de menace à court terme pour la communauté juive de France, contrairement à d’autres partis comme LFI. La dédiabolisation du parti, menée par Marine le Pen et ses troupes depuis plusieurs années, m’a laissé relativement insensible, et le récent voyage en Israel d’une délégation menée par Jordan Bardella n’efface pas le souvenir des errements de Jean-Marie le Pen, ni des turpitudes de la fondation de ce parti et de son histoire.
Ceci étant, le verdict prononcé à l’encontre de Marine le Pen et de plusieurs membres du Front National à l’issue du procès dit des faux assistants parlementaires européens appelle quelques remarques et commentaires.
Marine le Pen n’est pas la première personnalité politique à laquelle une telle peine est infligée. Les plus anciens d’entre nous se souviennent de quelques figures illustres, comme Alain Juppé ou Henri Emmanuelli, pour ne citer que les plus célèbres, sanctionnés pour des affaires qui relèvent toutes, finalement, d’un problème récurrent dans la politique française : le financement des partis politiques. C’est un problème récurrent dans toutes les démocraties qui se respectent, et malgré les montants parfois sidérants annoncés pour les candidats aux présidentielles eux États-Unis, un cadre légal encadre dans presque tous les pays démocratiques le financement des campagnes. L’objectif étant évident : ne pas favoriser les candidats les plus aisés, ou bénéficiant de forts soutiens financiers, pour ne pas légitimer l’achat de candidats par des acteurs économiques ayant intérêt à faire élire des candidats voués à leurs causes.
L’érosion des modes de financement traditionnels, par cotisations – combien d’entre vous se sont déjà affiliés à un parti politique ? – et le plafond relativement bas des dons autorisés ont poussé des élus et des partis à choisir des chemins plus aventureux, voire répréhensibles. Nul n’est censé ignorer la Loi, et encore moins les candidats dans des élections législatives, dont la mission, a priori, est de participer à l’élaboration de celle-ci. Il est donc normal, quand un élu ou un parti est pris la main dans le sac, que la sanction soit appliquée.
Mais nous autres Français, nous sommes sensibles à la différence entre les lois et l’esprit des lois. Ajoutez-y un fond de traditions judéo-chrétiennes, et une sensibilité accrue à la sanction disproportionnée aux actes incriminés, et vous obtenez un mélange détonnant, qui peut nous pousser à questionner le verdict de ce procès, et notamment sur deux points : le premier, c’est l’application immédiate du verdict, sans attendre le verdict en appel, qu’on peut facilement comprendre dans le cas du procès d’un assassin, mais qu’on a un peu peu plus de mal à accepter dans le cas d’un délit politique. Le second concerne la nature de la sanction relativement aux faits reprochés.
Calendrier – désastre ?
L’application immédiate – cinq années d’inéligibilité et un peine de prison de deux ans – tombe en effet idéalement pour anéantir tout projet de participation de Marine le Pen à la présidentielle de 2027. On voudrait écarter la candidate qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Les candidats issus des partis les plus modérés pourraient s’en frotter les mains, mais ils auraient tort. On ne gagne rien à profiter d’une faiblesse issue non de caractères intrinsèques, mais d’une conjonction d’externalités dont on sent, comme dirait Emmanuel Macron, qu’elle relève d’un alignement des astres – alignement desastrueux en l’occurrence.
D’abord, rien ne dit que l’effacement momentané de Marine le Pen au profit d’un autre candidat faciliterait leurs petites affaires. Un candidat comme Jordan Bardella semble peut-être plus inexpérimenté, mais il est aussi le représentant d’une autre classe d’électeurs, et pourrait sur son nom nom rassembler plus d’électeurs que la fille de Jean-Marie le Pen. D’autres figures du parti, comme Marion Maréchal, pourrait également apporter une touche de fraîcheur dont les cadors de LR ou de Renaissance pourraient se mordre les doigts.
Et puis disons le franchement, la France ne gagne rien à donner l’image d’une république corrompue, où les intérêts du système judiciaire s’aligneraient sur ceux de ses dirigeants. Vu de loin, notre pays risque de donner finalement une image pas si éloignée de celle de la Turquie, où le président actuel a fait emprisonner son principal opposant.
Combattre le mal par le mal
Sur le second point, on peut s’interroger sur l’adéquation d’une sanction comme l’inéligibilité avec un délit financier. J’ai toujours eu le sentiment qu’il faut combattre un mal par un mal de même nature, quand cela reste respectueux, bien évidemment, d’une certaine moralité. Un délit financier appelle, d’abord, une sanction financière. Un parti a détourné des millions d’euros ? Qu’on le sanctionne par une peine économique, une amende d’un montant largement plus important que les sommes concernées. Cela mettra peut-être fin à ce parti, mais cela n’empêchera pas ses représentants, et donc les citoyens qu’ils représentent, d’incarner leurs idées.
Bien évidemment, s’il s’agit d’un délit d’une autre nature, la sanction doit être de nature équivalente. La peine d’inéligibilité pourra alors être appliqué à un candidat qui fausserait le scrutin, en faisant appel à de faux électeurs – on en a connu à Paris, n’est-ce pas… – ou dont les équipes trafiqueraient les urnes – oui, cela arrive même en France. C’est peut-être plus difficile à prouver, surtout en cas de régime autocratique. Mais c’est, me semble-t-il, le principal cas où l’inéligibilité devrait être appliquée.
La sanction à l’encontre de Marine le Pen continuera, je n’en doute pas, à faire couler beaucoup d’encre. J’espère seulement que ses conséquences ne pousseront pas les esprits à s’échauffer et à faire couler autre chose que de l’encre.
Découvrez d'autres articles sur ce thème...

Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Excellente analyse; partagée je pense par beaucoup.
Quant à ceci vient s’ajouter d’autres évènements type « le mur des cons » ou le communiqué de presse du Syndicat de la magistrature du 11 juin 2024 suite aux élections européennes du 9 juin 2024, le doute ne subsiste plus sur les intentions réelles ayant motivé cette décision.
Et quand à ceci vient s’ajouter des évènements tels que la suppression de la chaîne C8 qui rappelons-le était la chaine avec le taux d’audience le plus élevé sur le segment « information » , il ne fait non plus de doute que l’image de pays corrompu est malheureusement justifiée…