Médias sociaux, startups et éditeurs de logiciels
L’acquisition de Yammer par Microsoft m’a fait rajeunir de quelques années, et me rappelle un certain billet qui m’a valu de nombreuses inimitiés (mais qui était ô combien prophétique). Il illustre bien, à plusieurs titres, que les grands éditeurs de logiciels comme Microsoft doivent venir aux médias sociaux, et que cela ne peut passer que par de la croissance externe.
Les grandes entreprises ont oublié comment innover en interne
j’avais déjà abordé ce thème il y a quelques années, j’en suis de plus en plus convaincu: plus la taille d’une entreprise croît, plus son management est centralisé, et plus les conditions propices à l »innovation s’amenuisent. Bien sûr, il y a des contre-exemples. Mais aussi bien Google que Microsoft pour ne pas citer des entreprises françaises bien connues de mes lecteurs ont les mêmes difficultés pour innover: les vraies innovations sont plus le fait de croissance externe que de projets « in house ».
Pourquoi? Il y a sans doute plusieurs raisons, qui varient d’une entreprise à l’autre.
- La première est sans doute que dans les grands groupes, la « politique » prend souvent le dessus, et que les profils les plus talentueux sont rapidement happés par la lutte pour le pouvoir. Au détriment de leur vrai talent, pourtant.
- L’innovation est une prise de risque, et qui dit risque dit échec, assez souvent: un échec qu’il faudra porter plusieurs années, et qui empêchera la progression (cf. le point 1.).
- Un grand groupe dégage ses marges par l’industrialisation de procédés. Si cette industrialisation permet de financer la R&D, tant mieux, mais ce n’est pas forcément l’intérêt des actionnaires, qui préféreront sans doute se verser des dividendes, dans une démarche court-termiste.
- Pire, de nombreux grands groupes – notamment dans des secteurs tels que l’aéronautique, l’automobile – ne sont plus que de grands assembleurs. Ils font le design, puis sous-traitent la réalisation à un, deux, trois, voire quatre niveaux de sous-traitants. Cette approche très systémique est intéressante d’un point de vue organisation du travail et rentabilité, mais au final, plus personne ne possède cette vision d’ensemble, générale, qui fait qu’on est capable d’innover justement parce qu’on a une vision de bout en bout. C’est d’ailleurs un sujet récurrent abordé par Christophe sur son blog.
Les grands éditeurs de logiciels ont raté le virage des médias sociaux
Socialbakers, Vitrue, Radaian6, Facebook, LinkedIn, les habitués des médias sociaux connaissent bien les noms de ces entreprises qui ont développé à la fois une vision technologique et des produits performants, adoptés par des milliers ou des millions d’utilisateurs selon leurs domaines. Pourtant, aucun n’a été développé par les géants du logiciel. Où sont les SAP, Google, Microsoft, Oracle et autres acteurs? Rien de bien n’est sorti de chez eux durant ces 10 dernières années, sur les médias sociaux, parce que ces entreprises ont ignoré, ou mal apprécié, la part grandissante que ce sujet allait prendre.
Bien sûr, certains se sont rattrapés. Oracle a racheté Vitrue, Salesforce s’est payé Radian6, Microsoft s’offre Yammer. Google finira ans doute par se payer Twitter. Et au final, ces acquisitions leur auront coûté quelques centaines de millions de dollars, à la place de la dizaine qu’aurait surement coûté le démarrage de vrais projets sur les médias sociaux en 2006 ou 2007, chacun dans son domaine: logiciels grands publics ou pour l’entreprise, ERP, BPM ou PLM…
Les valorisations européennes et américaines ne sont pas les mêmes
ATOS rachète blueKiwi moins de 20 millions d’euros, Microsoft rachète Yammer pour 1,2 milliards de dollars. Cherchez l’erreur. blueKiwi est né en 2006, Yammer en 2008. Je me souviens avoir dit, lors d’une manifestation blueKiwi en 2007, que c’était un petit Facebook pour l’entreprise. Et ça l’était déjà, et bien mieux que Yammer. 5 années plus tard, ce dernier se valorise 100 fois l’autre. Différence de marchés, différence de maturité commerciale, ou différence de culture d’entreprise? Les sociétés américaines ont le chèque long, et les créateurs de startups françaises feraient bien de s’en souvenir…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec