L’affaire Mediapro
L’affaire Mediapro pourrait très bien être une fable de La Fontaine, du genre : la grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu’un boeuf. Car en faisant monter les enchères des droits de retransmission TV du football français à un niveau inacceptable pour ses concurrents, le groupe espagnol s’est mis dans une situation incrayablement difficile. Mais l’affaire est encore plus problématique, car elle menace directement la survie de nombreux clubs de football français.
La genèse de l’affaire
L’affaire remonte en réalité à l’année 2018. C’est en effet il y a deux ans que Mediapro a remporté les droits de diffusion de la ligue 1 de football pour les années 2020 à 2024. À l’époque, tout va à peu près bien dans le football français; Certes, PSG n’a toujours pas remporté son premier trophée de Champion’s League, mais Neymar vient de débarquer, on se dit que le foot français va enfin connaître de grandes années. En face, ses concurrents font grise mine. Altice, Canal+ et BeIN Sports n’ont pas souhaité suivre au niveau atteint par Mediapro, à plus de 1 milliard d’euros.
À l’époque, tout le monde se frotte les mains à la Ligue de football professionnel. Avec l’offre Mediapro, c’est un surplus de 400 millions d’euros par rapport à la période 2016-2020. L’argent va couler à flot. Les clubs vont bien entendu profiter de cette manne. La répartition n’est pas totalement équitable, comme en N.F.L. (8 milliards de dollars répartis uniformément entre les 32 équipes, soit 250 millions de dollars par équipe), mais dépend de plusieurs facteurs, comme l’explique très bien cet article du site Maxifoot, en fonction du nombre de retransmissions notamment.
Par exemple, pour la saison 2018-2019, le PSG a empoché près de 60 millions d’euros de droits télé, alors que Dijon ou Amiens en touchaient le tiers. À la limite, ça peut se comprendre, les investissements réalisés ne sont pas les mêmes, et les communautés de fans ne se comptent pas dans la même unité. Mais là où ça devient intéressant, et le même article en parle, c’est de comprendre quelle est la proportion des droits télé sur le budget de fonctionnement de ces clubs. Et là, la courbe s’inverse, comme dirait François. Le PSG est le « moins dépendant », avec seulement 25% des revenus du club issus des droits TV, là où Monaco ou Amiens sont archi dépendants, à plus de 70% sur la saison 2018-2019. Ainsi, l’affaire Mediapro impacte directement la survie de nombreux clubs de première division, comme on disait à mon époque.
Telefoot puissance 10
Là où l’affaire frise le ridicule, c’est quand on s’intéresse d’un peu plus près à la stratégie adoptée par Mediapro pour financer ce milliard de droits de diffusion. Le coeur du réacteur, c’est une chaîne de télévision consacrée au football, appelée Téléfoot, le même nom que l’émission dominicale de TF1, partenaire de Mediapro sur ce projet. Jusque là, pas de probème. Sauf que contrairement à BeIN, cette chaîne ne se veut pas un cocktail de contenus sportifs, mais une chaîne exclusivement football. Donc avec une audience encore plus restreinte que ses concurrents. Et là où le projet paraît prodigieusement surréaliste, c’est quand on constate que le tarif de l’abonnement mensuel était de … 25 euros par mois.
(rires)
Juste pour rappel, BeIN Sports, c’est 15€ par mois pour accéder à 10 chaînes différentes.
Canal+, c’est 20€ par mois, avec le cinéma en plus.
Là, c’est 15€ pour voir Dijon-Amiens le samedi soir à la place de Taratata.
Et si vous êtes adeptes du streaming illégal, c’est encore moins cher.
Du coup, Telefoot a développé une offre de paiement à la journée.
(rires, encore)
La plus grave crise du footbal français ?
Vous avez saisi la profondeur du problème ? Dans sa gourmandise, la Ligue s’est vautrée sur l’offre la plus surréaliste, celle qui leur rapporte des centaines de millions supplémentaires, mais complètement virtuels, puisque basés sur une chaîne dont le tarif d’abonnement anormalement élevé n’a pas réussi à séduire plus de 500 000 abonnés. Ce qui n’est pas rien, ceci étant, car cela représente déjà 150 millions de revenus annuels. Mais probablement beaucoup moins de bénéfices, car les accords de diffusions avec les opérateurs ne sont pas gratuits.
Alors ?
Alors la Ligue est doublement perdante. Elle a voulu voir grand, elle se prend une baffe, doit trouver un successeur dans l’urgence, et va devoir gérer une crise financière sans précédent au niveau des clubs, dont la trésorerie est déjà largement atteinte par 9 mois de crise sanitaire et de matches devant des stades vides.
La seule conséquence heureuse de cette affaire, c’est que les salaires des footballeurs vont probablement devoir être revus à la baisse. Et encore, uniquement s’ils décident de rester en France. Le contrecoup d’un tel scandale pouvant être, par un effet de vases communicants, un exode des stars du foot français vers des terres financièrement plus accueillante. heureusement que le coronavirus touche tous nos voisins et impose des mesures draconiennes de gestion des clubs même à l’étranger.
Allez, bon match !
Découvrez d'autres articles sur ce thème...
Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec