Make Europe Great Again (suite) #EDayParis
Suite des entretiens de The European Business day.
Mieux soigner pour mieux vivre – Table ronde avec Laurent Levy, Jacques de Peretti, Philippe Dabi, Brigitte Dormont, David de Amorim, Pascal Roché, Jean-Michel Vannetzel
L’affaire du glyphosate est venue rappeler, si besoin était, la prédominance des sujets liés à la santé à l’échelle européenne.
Existe-t-il une Europe de la santé? Il n’existe pas d’Europe de la politique de santé, rappelle Jacques de Perretti, PDG d’Axa France. La complémentaire santé, par exemple, est plus taxée que les produits de luxe. Mais quand une innovation existe dans un pays, on a l’idée de la répliquer ailleurs.
L’organisation des soins varie d’un pays à l’autre, rappelle Pascal Roché (DG Ramsay – Générale de santé). Il y a donc peu d’Europe de la santé.
Mais il existe une Europe de la recherche, comme l’évoque Laurent Levy (PDG de Nanobiotix). Les traitements sont rarement limités à un pays. L’Europe a su structurer une vraie force, pour générer les idées, générer les brevets. Là où il y a des choses à faire, c’est sur l’accélération.
Pour Philippe Dabi (Bioclinic), il faut se poser la question de ce que l’on veut vraiment. Veut-on faire vivre les patients jusqu’à 150 ans, et voir se développer des multitudes pathologies peu répandues? Veut-on se focaliser sur l’éradication de certaines pathologies? Aujourd’hui, on se trompe un peu: on part du principe que la santé doit s’équilibrer au niveau de ses comptes. Mais c’est faux. La santé est un budget à prendre en compte comme l’armée, l’éducation. Que la source de financement soit le travail ou l’impôt, c’est un choix politique. Mais on ne peut pas refuser de prendre en charge certains traitements uniquement sur la base du coût. Il y a un vrai problème d’éducation en France: les campagnes de vaccination en sont un exemple: les médecins ne sont pas censés recevoir le message en même temps que les patients par la télé ou la radio, ça se prépare ! Aucun pays, selon Philippe Dabi, n’arrive à imposer son modèle.
Le système de santé français est cher, mais performant.
— Philippe Dabi
Brigitte Dormont (Paris-Dauphine) est d’accord. Les économistes ont mauvaise réputation, mais en la matière, l’objectif n’est pas d’équilibrer les comptes. Il y a une contrainte: ne pas faire payer aux enfants les dépenses de notre vivant (note: ce qui est un véritable débat en soi, nous payons bien la dette accumulée depuis quelques décennies…). Mais que veulent les français? Vivre plus longtemps, ou avoir plus d’écrans plats? Selon les choix, on risque de porter atteinte au pouvoir d’achat des français, mais cela ne va pas forcément de soi.
David de Amorim voit, au travers de l’offre de Docapost, des évolutions qui permettent de faire bénéficier d’une approche globale sur le numérique de déploiement de services à large échelle (sic!). Autrement dit, l’accès aux soins préventifs à plus de français.
Pascal Roché évoque le fait que dans chaque pays, les citoyens sont contents de leur système de santé et le préfèrent à ceux des autres pays européens. En cela, il rejoint Jacques de Peretti qui rappelle que le système français est efficace, mais cher. Il met l’accent sur l’ambulatoire, sur lequel la France est en retard sur d’autres pays européens, alors que c’est plus efficace et moins cher: 51% en France, plus de 60% dans les autres pays européens.
L’objectif du système de santé, ce n’est pas de gagner de l’argent. Equilibrer les coûts, c’est indispensable, mais ce n’est pas la priorité, la priorité c’est de soigner, selon Jean-Michel Vannetzel. L’innovation est chère, il faut bien analyser ses impacts. Mettre sur le marché un médicament très cher qui ne permet d’espérer qu’un gain de deux mois en espérance de vie, c’est une absurdité. En ce qui concerne le cancer, l’innovation doit permettre de comprendre comment fonctionnent les cellules cancéreuses: l’immunothérapie, les traitements focaux, les nanotechnologies, font partie des grands espoirs.
Laurent Levy estime que la médecine ne doit pas être un choix collectif, mais un choix individuel. C’est terrible, mais si tous les patients bénéficiaient de toutes les innovations, très chères par définition, on ferait exploser le système au détriment d’autres patients ou d’autres pathologies.
Comment créer de la croissance en Europe, avec Christian Nibourel, Nadia Pellefigue, Philippe Oddo, Jean Raby
Pour Christian Nibourel (PDG Accenture France Benelux), il y a plusieurs axes de développement. Il faut se focaliser sur un certain nombre de marchés de croissance. L’intelligence artificielle en est un. La santé numérique en est un autre, sur lequel la France peut prendre le leadership.
Si on veut être en capacité de faire progresser un PIB, pour Nadia Pellefigue (région Occitanie), il ne doit pas y avoir de différenciation entre grandes entreprises et start-up. Il y a des filières à favoriser, comme par exemple le big data). Ce qui impose d’aller chercher les compétences et les faire venir dans les régions. Le rôle des régions, c’est d’avoir une orientation, et d’irriguer l’ensemble des tissus porteurs d’emplois, i.e. PME et TPE.
Philippe Oddo veut surprendre. Au lieu de parler de finance, il veut évoquer un sujet d’importance capitale, dont personne ne parle, et sans lequel il ne peut y avoir de croissance: la natalité. L’Espagne ou l’Italie, cela devient gravissime. La France fait figure d’exception en Europe. Les politiques de natalité ont fonctionné. Mais c’est un problème politique: on est loin de l’innovation ou de l’intelligence artificielle, mais c’est essentiel. Dans beaucoup de pays, on n’offre même pas ces perspectives aux citoyens européens. Deuxièmement, la mobilité en Europe n’est pas assez grande: on oublie l’importance de parler les langues européennes. Les allemands parlent relativement peu anglais: ils préfèrent qu’on leur parle allemand. La mobilité doit être simplifiée: il est compliqué de changer de pays, car on change de système de santé, de système de retraite, etc.
Pour Jean Raby (Natixis), il y a quatre sujets dont il faut se préoccuper:
- C’est quand les choses vont bien qu’il faut faire les transformations en profondeur Par exemple revoir le poids de l’état dans l’économie: quand les taux d’intérêts vont remonter, ça va faire mal. Il faut se dépêcher.
- Le niveau de chômage structurel est trop élevé.
- On se trompe de débat sur le Brexit. On chipote pour quelques emploi dans la finance. On pense que c’est un lose-win, mais en réalité, c’est un lose-lose. Il faut donner les moyens au Royaume_uni de revenir sur sa position.
- A l’heure du retrait politique des américains, l’Europe a une occasion de devenir l’interlocuteur principal sur les échanges économiques
On se trompe de débat sur le Brexit. On chipote pour quelques emploi dans la finance. On pense que c’est un lose-win, mais en réalité, c’est un lose-lose.
— Jean Raby
Nadia Pellefigue est d’accord, le Brexit réduit la taille du marché européen, qui est quand même le premier marché avec lequel nous échangeons. Mais quelle est la raison du Brexit? On n’arrive pas à projet l’Europe sur l’imaginaire de nos concitoyens. Il faut arriver de rendre Bruxelles responsable quand ça va mal, et se flatter quand tout va bien. Il est temps de démontrer l’importance de l’union, dans le développement, la croissance et les succès économiques. Airbus en est un excellent exemple. Philippe Oddo rappelle qu’en cas de Brexit, on va être bien emmerdés pour l’assemblage des pièces conçues au Royaume-Uni.
Christian Nibourel est plus mesuré. Il rappelle qu’on pense en France que c’est en faisant venir des entreprises qu’on relancera le dynamisme économique. C’est faux, c’est le dynamisme économique qui fera venir des entreprises. Sur la natalité, il est aussi plus sceptique: certes la natalité est plus forte en France, mais qu’allons nous faire des 25% de chômage chez les jeunes? Est-ce par la reconstruction industrielle? On est à 12% du PIB, l’Allemagne est à 20%, on eut espérer à 15% du PIB, mais pas plus. Il faut sortir de l’opposition industrie-services. Quand Dassault Systèmes vend pour 1Md€ à Boeing, il vend du logiciel et non des avions. Il ne s’agit pas d’essayer de rattraper, mais de penser le moment où on va passer devant. L’enjeu est dans les services. Il prend l’exemple de la voiture connectée. Les industriels savent le faire; Mais comment assurer la mobilité dans un monde connecté, c’est un enjeu de services, pas d’industrie.
De façon générale, pour Jean Raby, il y a un décalage sur la formation. Il faut se donner les moyens d’être visionnaire; Il est clair que tous les business model vont être transformés (même dans la gestion d’actifs). Le changement aura lieu, et il faut changer les mentalités.
Les allemands sont les meilleurs industriels du monde, par formation, et par forme d’esprit, explique Philippe Oddo. Mais dans d’autres domaines, comme la banque, nous, les français, sommes très très bons. L’avantage de l’Europe sera de jouer sur la complémentarité des cultures et des formations.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec