L’unité, dernière utopie du peuple juif ?
Depuis l’horrible attaque du 7 octobre, de nombreuses critiques se sont élevées, en Israel et en dehors d’Israel, sur les dirigeants au pouvoir, et notamment sur Binyamin Netanyahou. Si dans les premières semaines on a pu leur reprocher un manque de vigilance, puis sur un manque de visibilité sur les objectifs à long terme ta la stratégie de sortie, les griefs ont évolué au bout de onze mois de conflit à Gaza. Le meurtre de six des otages, la semaine passée, alors que les unités de Tsahal se rapprochaient de leur lieu de détention, a mis en évidence un autre reproche, celui d’avoir sacrifié les otages au bénéfice d’une opération de grande ampleur visant à réduire le potentiel du Hamas.
La colère vis a vis de Bibi ne date cependant pas du 7 octobre, et une grande partie des israéliens qui lui manifestent leur hostilité lui reprochent de s’accrocher au pouvoir pour préserver ses intérêts, réduire les possibilités de poursuites judiciaires contre lui, ou tout simplement parce qu’une forme d’hubris, peut-être similaire à celle qui touche Macron ces derniers temps, finit par lui faire croire qu’il est le seul à pouvoir assumer la charge qu’il occupe. Triste fin pour un politique, que de se croire irremplaçable, on en connait de nombreux qui ont fait le mandat de trop…
Les partisans du premier ministre, et ils sont nombreux en France comme en Israel, même si son parti n’y a obtenu qu’un quart des sièges à la Knesset lors des dernières élections, opposent pourtant le même argument à tous ces détracteurs : « vos critiques nuisent à l’unité, et c’est ce manque d’unité renforce nos adversaires ». Paradoxalement, les adversaires de Bibi utilisent aussi cet argument, arguant que la politique de Bibi a fracturé l’unité du peuple d’Israel, et renforcé ses ennemis, leur offrant une fenêtre d’opportunité inattendue pour des attaques sans précédentes.
Unité, unité, mais de quelle unité parle-t-on ? Unité du peuple juif ? Unité de la société israélienne ? Existe-t-elle vraiment ? Est-ce un argument valide, ou bien n’est-ce en réalité qu’une chimère, la dernière utopie du peuple juif ?
D’un point de vue religieux, et uniquement religieux, je veux bien admettre que ce concept d’unité, ou mieux, d’unicité, a du sens. Le judaïsme se considère comme le premier monothéisme, ou du moins le plus ancien à avoir percé et existé jusqu’à nos jours – je n’ai encore jamais croisé de descendants de monothéistes de la période pré-mosaïque. De l’unicité du dieu opposé aux polythéismes fréquents dans l’antiquité, les juifs ont subrepticement glissé vers une sorte d’unicité du peuple juif, le peuple élu, non pour ses qualités intrinsèques, comme nous le rappellent d’ailleurs les lectures hebdomadaires de cette fin d’été, mais pour les mérites supposés de leurs ancêtres, et la mission qui incombe à leurs descendants : glorifier le dieu unique sur la terre qui leur a été promise.
Ce concept d’unicité, je veux bien l’admettre dans les faits. Mais l’unité, j’ai beau la chercher, je ne la vois nulle part. De la sortie d’Egypte au schisme, des guerres fratricides entre descendants des Maccabées (petit rappel par ici pour ceux qui ne connaitraient pas leur histoire) au congrès juif, et depuis l’établissement de l’état d’Israel jusqu’à nos jours, l’histoire du peuple juif s’est construite à coups d’oppositions, de combats d’idées, d’une diversité de points de vue qui me semble beaucoup plus utile que la pensé unique qui pourrait résulter d’une convergence de points de vue. Aussi bien d’un point de vue religieux que sociétal, d’ailleurs. Le pilpoul est peut-être un élément essentiel à la persévérance du peuple juif dans son ensemble.
C’est pourquoi je ne suis absolument pas sensible à cet argument sur l’absence d’unité qui serait la source de tous nos malheurs. Avec, d’ailleurs, toujours le même exemple, celui de la destruction du second temple par les forces de l’empire romain, ce qui est en soi une forme d’arrogance extrême, comme si les agitations au sein d’une colonie romaine ne suffisaient pas à sceller son destin.
La diversité des opinions, des points de vue, des idées, est infiniment plus productive que la pensée unique. Elle protège des fausses bonnes idées qu’on suit aveuglément, en allant dans le mur. Elle permet le progrès essentiel à la survie des espèces, au sens large. Elle offre un cadre plus large, dans lequel peut se développer une population.
Ceux qui se servent de cet argument pour ou contre Bibi, me semble-t-il, servent, inconsciemment ou non, un autre agenda. Celui d’une forme de dictature de la pensée unique, véritable danger contre lequel il faut se préserver.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec