Les mathématiques du calendrier juif
Le calendrier juif est loin d’être simple à manipuler.
Je me souviens que, petit, nous faisions usage de ces calendriers du consistoire, avec des publicités pour les marbriers et autres services de pompes funèbres, pour y retrouver les dates des principales fêtes ainsi que les horaires de shabbat. Cette surreprésentation des services funéraires était probablement due au fat que chez les juifs, on « monte » au cimetière à des occasions bien précises : début de mois lors de la première année de deuil, veille de Roch Hachana et de Nissan par la suite. De nos jours, ces publicités ont laissé la place à des annonceurs plus gais, du genre traiteurs et restaurants. Signe des temps.
Le calendrier juif, quelle complexité !
Mais revenons à notre sujet. La raison de cette complexité, c’est que ce calendrier mixe des concepts de calendrier lunaire (comme les musulmans) et solaire (comme les chrétiens). Le mois de base est lunaire. Mais comme il est plus court qu’un 12ème d’année solaire, il faut introduire un mois supplémentaire, selon ce qu’on appelle le cycle de Méton, afin de rester calé sur le mois solaire, en raison d’un commandement qui nous enjoint de fêter Pessah – la Pâques juive – dans le premier mois du printemps. Certaines années ont 12 mois, d’autres 13 mois, selon un schéma bien précis. Cela évite une dérive d’une dizaine de jours, qui produit un phénomène bien connu des musulmans : la même fête peut tomber n’importe quand dans l’année. Ainsi, Ramadan qui vient de débuter ce mois-ci, démarrait à la même date il y a … 36 ans, et se passait 6 mois plus tard il y a 18 ans.
Mais cela ne suffit pas. Le calendrier hébraïque doit tenir compte de principes essentiels, comme le fait que Kippour ne peut tomber la veille ou le lendemain d’un shabbat. Il faut donc faire varier la longueur de certains mois pour éviter ces carambolages. Bref, on le voit, il n’est pas si simple de prédire quel jour tombera Yom Kippour en 5787…
Maïmonide, déjà
Pourtant, en posant son raisonnement et des règles simples qui permettent à un bon comptable ou à un informaticien un peu respectueux, de calculer la date exacte et la forme du calendrier.
Je me souviens avoir été confronté à ces règles lors de la lecture d’un petit livre que mon père avait rapporté à la maison, dans les années 90, la traduction d’une Lettre de Maimonide sur le calendrier hébraïque, par un certain Robert Weil.
C’était un petit livre aride, qui s’appuyait sur un texte établi par Maïmonide au 12ème siècle, pour aider tout pratiquant curieux de savoir comment on établit le calendrier hébraïque, à comprendre les principales règles. Ce livre proposait une traduction du texte original, ainsi que de nombreuses annotations par un certain Simon Gerstenkorn.
Suite à la lecture de ce livre, je m’étais lancé dans la conception d’un programme en C, pour calculer les dates des fêtes selon l’année. J’ai encore le code de ce programme quelque part dans un de mes répertoires, il faudrait que je pense à le compiler de nouveau sur mon Mac pour vérifier qu’il fonctionne encore.
Des chiffres et des lettres
De manière assez étrange, c’est suite à un même type de rencontre que Shlomo Bouhnik, auteur des Mathématiques du calendrier juif, en est venu à s’intéresser à ce sujet. Pour lui, la rencontre fatidique s’est produite également dans les années 90, avec le livre de Roger Stioui, Mesures du temps juif. Depuis, il n’a cessé de documenter les mécanismes mathématiques intrinsèques du calendrier juif, sous la forme de macros Excel ou en expliquant son fonctionnement sur ses nombreux posts Facebook. Mais avec son livre, il passe désormais à la vitesse supérieure.
L’objet de ce livre, au-delà de l’explication des mécanismes des calendriers lunaires et solaires, et des règles de calcul, est d’expliquer les fondamentaux mathématiques qui régissent le fonctionnement de ce calendrier si particulier. Après avoir lu ce livre, les concepts de heleq ou de molad n’auront plus de secrets pour vous !
Avec une approche très pédagogique, et en prenant le lecteur par la main, l’auteur explique de manière progressive comment tout cela fonctionne, et va au-delà, en expliquant par exemple pourquoi telle ou telle règle ne s’applique pas ou peu.
Mieux encore, il aborde la question de l’élaboration du calendrier de lecture des sections de la Torah, en fonction du type d’année, ce que la traduction de la lettre de Maïmonide n’aborde pas du tout. C’est pourtant une des applications fondamentales, avec des impacts hebdomadaires.
Moi qui pensais en connaître un rayon sur le calendrier juif, j’ai été bluffé par l’étendue des propos du livre de Shlomo Bouhnik et la simplicité des règles de calcul qu’il aborde. Usant de moyens mnémotechniques quand il le faut, ou de concepts mathématiques quand cela fait sens – ah, les fractions continues pour expliquer le cycle de Méton, quelle extase ! – il réussit le tour de force de proposer un texte abordable aussi bien par le débutant que par celui qui possède déjà une certaine pratique du sujet.
Bref, ces Mathématiques du calendrier juif deviendront probablement une référence sur ce sujet. Du moins pour le lecteur francophone, en attendant d’être un jour traduits en anglais ou en hébreu.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Merci Hervé de présenter cet ouvrage. Chaque tradition hérite des conséquences de ses choix en termes de calendrier.
Les chrétiens ont bien du mal à expliquer pourquoi Pâques est célébrée à des dates toujours changeantes, et même pas à la même date selon les obédiences. Au moins, pour les juifs, c’est tout simplement le 14 Nisan. J’explique cela dans l’émission Orthodoxie du 2 mai 2021 à 9 h 30 sur F2.
César a fait une réforme disruptive en promulguant son calendrier dès 45 av. J.-C. Pressentant que les Romains n’auraient jamais la subtilité des Juifs, il a transformé les mois lunaires d’alors en mois solaires. Malheureusement il a fait commencer l’année en décalage avec le solstice d’hiver (le 1er janvier 45 av. J.-C., premier jour du calendrier julien, est une nouvelle lune, car il fallait assurer la continuité), et par ailleurs il n’a pu aligner le mois de février à 30 jours à cause de la superstition des Romains. Tout l’objet du calendrier milésien que je propose est de finir ce boulot avec des mois harmonieusement répartis et calés sur les solstices. Avec de telles simplifications, il est facile de calculer de tête les semaines, les lunes et les Pâques chrétiennes. Peut-être même les molads et donc la conversion avec le calendrier juif (il paraît que John H. Conway l’avait fait).
Peux-tu informer l’auteur que la Société Astronomique de France (3 rue Beethoven à Paris) recevra avec intérêt ce livre et en fera une recension à l’occasion d’une prochaine réunion, consacrée aux calculs en astronomie.