Les joies du confinement #2 : la VOD
La VOD – Video on demand, ou « vidéo à la demande » en bon français – c’est cette invention du début du siècle qui a transformé votre poste de télévision en système de locations de vidéo. À la demande. La transformation qui a permis un tel prodige s’est déroulée sur quelques années, et il me semble bon de revenir sur la chronologie des événements, afin de bien faire comprendre à mes lecteurs les plus âgés que ce n’est pas plus difficile à utiliser qu’un bon vieux magnétoscope VHS.
Au commencement était le magnétoscope
Mais commençons par le commencement. À la fin des années 70, un drôle d’engin apparaît au sein des foyers les plus modernes : le magnétoscope. Il est au cinéma ce que le magnétophone est à la chanson. Cette engin assez peu gracieux, de forme parallélépipédique était doté d’une ouverture permettant d’insérer des cassettes vidéo, soit pour les lire, soit pour y enregistrer un programme diffusé à la télévision : Stade 2, Des chiffres et des lettres ou, si vous étiez un vrai cinéphile, le film diffusé vendredi soir après Apostrophes. La norme, en matière de magnétoscope, était le VHS, qui domina crânement le marché, malgré la tentative de Sony d’imposer son format appelé Bêtamax. Il fallait faire attention également à la norme vidéo, PAL ou NTSC (les formats étrangers) ou Secam (le format européen).
Très vite sont apparus des magasins qui proposaient de louer des films enregistrés sur de tels supports. Il y avait des loueurs de cassettes vidéo un peu partout dans le monde. Au lieu de sortir avec des amis, ou de suivre le match de foot Rennes-Dijon en 16ème de finale de la Coupe de France, vous pouviez alors choisir de vous faire un vrai plaisir solitaire, en louant un excellent film du genre Rambo 2, E.T. ou Les Visiteurs. Certains loueurs proposaient même des cassettes cochonnes ! Les films étaient loués pour 24 heures, et cela ne vous coûtait pas trop cher, sauf si vous mettiez trois semaines à rendre la vidéo, bien évidemment.
Quand la technologie balaie la technologie
Mais, comme le rappelle Auguste Detoeuf, il ne faut jamais faire confiance aux ingénieurs. À peine le format VHS avait-il envahi les salons des foyers des pays industrialisés qu’apparut un nouveau format, le DVD. C’était à peu près le même principe que la VHS, sauf que cela prenait moins de place, et résistait mieux à la chaleur. Le DVD était au cinéma ce que le CD-rom était à la chanson (tiens, j’ai l’impression d’avoir déjà dit quelque chose de semblable). Accessoirement, le rendu visuel était quand même meilleur, et le son largement plus agréable. Les mordus de cinéma qui s’étaient constitués une belle collection de cassettes vidéo au format VHS en étaient alors pour leurs frais : il fallait se reconstituer une nouvelle collection, cette fois au format DVD. Elle prenait moins de place, et surtout, on pouvait profiter d’un bon film avec son Dolby Stéréo voire THX. C’est à cette époque qu’apparurent les premiers « home-cinéma » (avec la barre de son devant l’écran).
Le business des loueurs de vidéo florissaient. Pour eux, il suffisait de changer de support. Au lieu de louer une cassette, on louait un DVD. C’étaient les mêmes Rambo (2, 3, 4 ou 5), E.T. et Visiteurs (2 ou 3), les mêmes films de cul (avec une image de meilleure qualité). Mais le business n’avaient pas changé. Il fallait un lecteur de DVD, pour lire tout cela, mais on pouvait aussi lire ces films sur un ordinateur. Les plus riches pouvaient même s’offrir un lecteur « combo » VHS + DVD, avec home cinéma intégré, pour copier sur VHS le contenu d’un DVD – non, je rigole, c’était interdit, voire bridé sur ces matériels.
Tagada, tagada, voilà Netflix
C’est alors qu’apparut un petit trublion du nom de Netflix. Loin d’être le numéro du film en streaming que vous connaissez, Netflix débuta comme un vulgaire loueur de DVD. Mais avec une subtilité en plus : au lieu de louer votre film au magasin du coin de la rue, vous choisissiez le film sur un catalogue en ligne sur le site de Netflix, vous faisiez expédier le DVD par la poste et le renvoyiez par la poste (aux US uniquement). Internet commençait déjà à faire des dégâts, en brisant la chaîne d’intermédiation du loueur de vidéos. Avec son système Netflix allait rapidement forcer les magasins de location de vidéo à changer de business model, ou à se digitaliser, par exemple, en réduisant le magasin à un vulgaire distributeur, comme un terminal bancaire.
Du DVD au DivX
Le format numérique offrait plusieurs avantages, et pas uniquement au niveau de la qualité. Alors que la duplication de cassettes prenait des heures, dupliquer un DVD ne prend que quelques minutes … si toutefois vous disposez des droits pour réaliser une telle opération.
Bien entendu, cet avantage était aussi une faiblesse. Car de nombreux petits malins se sont alors amusés à pirater le contenu des DVD et à le proposer en téléchargement sur des sites internet spécialement conçus pour. Pire, des gars encore plus malins développèrent des technologies de pointe, pour permettre à d’autres petits malins d’échanger leurs contenus sans passer par des serveurs centraux. Le peer to peer, qui faisait déjà des ravages dans le monde de la musique, ébranla l’univers du cinéma. Un format, le DivX, permettait de réduire la taille des fichiers échangés, sans faire trop de compromis sur la qualité des contenus. Qui a vécu par le glaive périra par le glaive. Remplacez glaive par digital, et la formule reste valide. Aussi bien installé que fut Netflix, le téléchargement illégal menaçait l »équilibre fragile de cette industrie qui n’avait pas plus de vingt ans.
Et soudain naquit la VOD
Une nouvelle technologie apparut alors : le streaming. D’un point de vue du format, il s’agit de la même chose (ou presque) qu’un DVD : le film est diffusé sur un support numérique (la VHS, vraiment, ce n’était pas pratique). Mais au lieu de stocker l’intégralité du film sur le support de lecture (lecture de DVD ou ordinateur relié à Internet), on ne diffuse qu’image par image. À la fin de la projection, vous n’avez gardé aucune trace locale. Avantage : personne ne va copier le contenu en local.
Sont alors apparus les premiers systèmes qui proposaient la location de films diffusés en streaming : la VOD était née. Plus besoin de magasins pour stocker les cassettes ou les VOD à louer, plus besoin de lecteurs de DVD, il suffit d’un bon accès internet (ADSL ou mieux, fibre), et de bons serveurs pour proposer le catalogue et diffuser les contenus.
Netflix a rapidement compris l’intérêt du système. Comme toute bonne start-up, elle a sagement pivoté, abandonné son système d’expédition pour basculer sur la diffusion à la demande. Elle n’était pas la seule à le faire, et d’autres acteurs sont progressivement apparus. Mais à la différence de ceux qui proposent de payer à la location (ou l’achat, désormais possible) d’un contenu, Netflix propose une formule encore plus innovante : l’abonnement qui donne accès à un catalogue illimité, dont le contenu varie d’un pays à l’autre, selon les droits de diffusion.
Confinement et VOD
C’est ainsi qu’aux premiers jours du confinement, Internet fut pris d’assaut par des millions d’internautes qui, coincés chez eux, se dirent qu’ils n’avaient rien d’autre à faire que de regarder des films et des séries. À tel point que certains gouvernement demandèrent aux principaux diffuseurs de réduire le débit, de manière à ne pas encombrer internet pendant la journée et laisser les télétravailleurs télétravailler.
Il faut dire qu’en quelques années, de grands acteurs sont apparus : Google (via Youtube Movies), Apple et Amazon et plus récemment Disney s’y sont mis également, avec des tarifs assez proches. L’abonnement (Netflix, Disney) coûte environ 10€ par mois, la location en one shot (Apple, Google mais aussi Orange) entre 3 et 5 euros selon la date de sortie du film et la qualité de diffusion.
Les catalogues sont devenus pléthoriques. Certes, certains contenus sont proposés sur plusieurs catalogues, mais chacun joue de sa spécificité : Amazon Originals, Netflix Originals, contenus Disney chez Disney. Le nombre de films se compte en milliers. Pire, la mode des séries, apparue au début du siècle, s’est considérablement développée : une histoire plus ou moins sympa, qui autrefois était bâchée en 2 heures, vous est désormais proposée en 10 épisodes de 45 minutes… De quoi bien occuper le temps de cerveau disponible.
La seule difficulté, finalement, c’est de choisir son film. Netflix prétend nous proposer des films correspondant à nos goûts, mais je n’y ai jamais crû, et à chaque fois que j’ai essayé, j’ai été déçu. Je ne crois pas être le seul, d’ailleurs. Pire, quand vous devez choisir un film à plusieurs, au sein d’un foyer plus ou moins nombreux, cela peut tourner au calvaire. Essayez de vous mettre d’accord à 5 ou à 6 sur le film du soir ! La première fois, ça passe, le lendemain aussi, mais au terme de 2 mois de confinement, c’est strictement impossible.
C’est ainsi qu’une activité qui autrefois pouvait réunir le foyer familial autour du même écran de télévision s’est peu à peu désintégrée, chacun s’en allant passer la soirée dans sa chambre, à visionner un film ou une série, qui sur Netflix, qui sur Amazon Prime, qui sur Molotov TV ou sur Orange VOD. Heureusement que la fibre fonctionne…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec