Les joies du confinement #1 : le repassage
Le confinement que nous vivons depuis quelques semaines pourrait prendre fin dans quelques jours (bien que j’aie encore du mal à y croire). De cette période triste et étrange, nous conserverons des souvenirs confus, certains négatifs, d’autres plus positifs. Je voudrais, dans la série qui démarre avec cet épisode, évoquer ces quelques rares joies ressenties pendant le confinement. Le premier épisode est consacré à un acte auquel je me suis rarement adonné ces dernières années : le repassage.
Le repassage et moi : de l’histoire ancienne
C’est jusque dans ma jeunesse que je dois chercher mes premiers souvenirs de repassage. J’adorais aider ma mère à repasser, sur la planche familiale, recouverte d’une couverture grise. Elle ne me confiait rien de compliquer, des mouchoirs (les mouchoirs et moi, en tissu, c’est aussi une longue histoire), des serviettes de table, des torchons, bref, du très classique. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’elle ne me laissait repasser que des objets de forme rectangulaire ou carrée, dont les plis et les coutures ne posaient jamais de problème. Je pouvais en repasser des dizaines d’affilée, souvent le soir, en musique ou devant le poste de télévision.
C’est à l’armée que les choses se sont compliquées. Au sein de cette noble institution, le pli fait en effet partie des traditions. Une chemise ne se porte jamais froissée. Les plis doivent respecter les règles, être alignés, bien droits, épouser les formes de l’individu. C’est à cette époque que j’ai commencé à repasser des chemises, non sans quelques difficultés. Mais l’absence de smartphone et d’internet aidant, n’ayant que cela à faire par certains moments, je m’y suis consacré avec courage, et je crois être parvenu à une certaine habileté en la matière.
Le repassage et moi : de l’amour à l’oubli
Je continuais à repasser après avoir fini mes études, certes moins souvent, mais quand l’occasion se présentait, je ne rechignais jamais à ouvrir la planche à repasser et à enchaîner les coups de fer à repasser. Les choses se sont corsées lorsque je me suis marié. Au sein d’un jeune couple, la répartition des tâches ménagères suit une règle courante : les actes difficiles ou salissant pour le mari, les actes délicats pour l’épouse. Ma femme aurait alors rapidement pu se retrouver à repasser mes chemises, acte simple et non salissant par définition, mais un événement heureux, la naissance de notre premier enfant, fit intervenir un troisième personnage, auquel nous lie un attachement deux fois décennal.
En effet, à notre époque moderne, lorsque les deux époux travaillent tard, comme c’était le cas chez nous, il faut souvent faire appel à une tierce personne pour aller chercher les enfants encore jeunes à la crèche ou à l’école, préparer les repas, et faire un peu de ménage… y compris le repassage. Je mis donc fin à cette activité pourtant appréciée dès la fin du siècle dernier, et n’eus que très rarement l’occasion de m’emparer de nouveau du fer familial. Du reste, au fil du temps, celui-ci s’était largement modernisé, et je reconnaissais alors aisément, non sans une certaine facilité, durant les dernières années, ne pas trop bien savoir comment le mettre en marche pour m’en servir.
Le repassage et moi : acte III, le confinement
Mais le 15 mars dernier, un événement important se produisit : l’annonce du confinement. Il fallut se rendre à l’évidence, la personne qui nous accompagnait depuis si longtemps dans la gestion des tâches ménagères ne pourrait plus nous rejoindre aussi facilement. À ce stade là de la narration, il faut que je vous dise quelque chose de très important : depuis près de vingt ans, je porte quasiment tous les jours une chemise, et je travaille en costume. J’ai abandonné jeans et t-shirts sur le lieu de travail il y a près de vingt ans, et je ne saurais me résoudre à y renoncer, même en période de confinement.
Comment faire, dès lors, pour renouveler le stock de chemises repassées sans lesquelles il me serait impossible de travailler, voire de télé-travailler ? Le regard de ma femme ne laissait aucun doute : il me fallait prendre les choses en main. Et donc, depuis 6 semaines maintenant, je consacre un soir ou deux par semaine au repassage.
Tout y passe : draps, housses de couettes, mouchoirs en tissu bien entendu, mais aussi .. chemises. Et à ma grande honte, je dois avouer que les premiers résultats n’étaient pas terribles. Mon habileté avait disparu. Pire, je devais repasser plusieurs fois par les mêmes endroits. Heureusement, internet est là pour palier nos défaillances mémorielles. Une recherche du type « tuto repasser chemise » me conduisit rapidement à la vidéo suivante (messieurs, concentrez-vous sur la chemise s’il vous plaît). J’y ai re-découvert le bon enchaînement (col, puis manches, puis épaules, puis le reste), ainsi que le système de notation par points qui permet de fixer le niveau de chaleur à utiliser.
Je dois avouer que je repasse avec joie. Je m’installe avec un fond musical, souvent tiré des grands interprètes musicaux des années 80 : prefab Sprout, Spandau Ballet, Joe Jackson voire Hall andOates. La musique berce les mouvements de mon bras qui caresse le tissu non sans plaisir. je crois même y déceler une forme d’atavisme. Mes deux grands-pères baignaient dans l’univers du tissu. Le père de ma mère vendait des tissus dans une boutique que tient encore un de mes oncles, dénommée Les Tissus Français, au coeur du sentier. Mon grand-père paternel, lui, était tailleur pour son compte, et fabriquait … des chemises.
La boucle est bouclée. Le confinement m’a permis une forme de ressourcement, par la grâce d’un ustensile dont on imagine rarement la valeur émotionnelle qu’il porte : le fer à repasser.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec