Les décisions absurdes
28 janvier 1986. La navette Challenger décolle du pas de tir du centre spatial Kennedy. Quelques secondes plus tard, elle explose, tuant du même coup ses occupants, face à des milliers de spectateurs et des millions de téléspectateurs. La raison de cet accident: la rupture de joints sur les propulseurs. Ces joints avaient été conçus pour fonctionner au-dessus d’une certaine température. Mais ce jour là, la Floride subissait une vague de froid qui les rendait défectueux. La navette n’aurait jamais dû décoller, et pourtant la décision de procéder à son lancement fut prise, malgré plusieurs échanges avec les ingénieurs de la société Morton Thiokol, qui avait conçu ces joints et connaissait leurs défauts…
Cette décision, ainsi qu’une dizaine d’autres tout aussi aberrantes, fait partie de celles que Christian Morel qualifie de décisions absurdes. Une décision absurde, c’est une action radicale et persistante décidée par un individu ou un groupe d’individus, contre le but qu’il veut atteindre, dans le cadre de la rationalité de référence de cet individu ou de ce groupe. Sorti en 2004, ce livre étrange a connu une réédition récente.
Sans fournir de recettes pour se protéger de telles décisions, l’auteur propose une étude assez poussée des processus qui mènent à de telles décisions. Il analyse les rapports, notamment, entre les différents acteurs de telles décisions: les experts, les managers, et les candides. Il évoque surtout les conditions dans lesquelles de telles décisions sont prises: les réunions à répétition, celles où le nombre de participants dépasse l’entendement, le consentement silencieux alors qu’au fond de soi on désapprouve la décision mais qu’on se tait, par peur des représailles ou de faire tâche, l’absence de responsabilités claires dans un groupe où chacun pense que l’autre a fait le job – alors qu’aucun ne l’a réellement fait.
Assez épais (300 pages), ce livre pêche parfois par quelques longueurs. Mais il a le mérite de nous faire réfléchir sur tous ces cas que nous avons déjà rencontrés en entreprise – comme celui des slides illisibles – et que nous perpétuons, par notre silence bien improductif.
Moralité: il faut savoir ouvrir sa gueule, même quand ce n’est pas le moment.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec