Les conséquences de la défaite des forces de l’Axe sur les juifs italiens en Tunisie
Spécialiste de l’histoire des juifs italiens en Tunisie, Martino Oppizzi intervient lors de la table-ronde de la SHJT du 10 décembre 2023, sur le destin des juifs italiens en Tunisie.
Les faits
Depuis 1943, les autorités françaises procèdent à une sorte d’épuration politique contre la communauté italienne en Tunisie. Les italiens en Tunisie représentaient une population de plusieurs dizaines de milliers d’individus, considérés comme une sorte de « 5e colonne » locale. En juin 1943, on procède au recensement de leurs biens. En octobre 1943, 14000 italiens sont inscrits sur la liste du STO.
L’action des autorités françaises va être de démanteler la colonie italienne, et notamment de réduire l’influence de ses cadres. Or les juifs italiens, les juifs Livournais, représentent une très forte proportion de ces cadres : près de la moitie des médecins ou des avocats.
Martino Oppizzi a pu analyser près de 90 dossiers de juifs italiens au CADN. 23 mentionnaient un internement, pour quelques semaines (Arturo Attias) et jusqu’à deux ans (Enrico Boccara). Les modalités d’internement sont souvent arbitraires. Les juifs italiens sont internés avec les autres fascistes, ce qui produit des situations paradoxales, où les juifs ont le sentiment d’être internés avec leurs propres bourreaux. Deux juifs italiens, par exemple, ont été tabassés les autres prisonniers, car ils ont refusé de participer à des chants fascistes.
6000 décrets d’expulsion sont édités contre des ressortissants italiens, dont 4% sont des juifs italiens, avec une présence importante parmi les avocats, les industriels, les agents d’assurance et les agents d’affaires. L’expulsion concernait des hommes, d’un âge moyen de 42 ans, installés à Tunis : c’est principalement la bourgeoisie de la capitale qui est alors frappée.
Juifs ou italiens ?
La question se pose de majière subtile. Les autorités françaises ont-elles tenu des positions antisémites ? Selon Martino Oppizzi, la réponse est non, il ne constate que quelques cas particuliers. C’est plutôt en tant qu’italein qu’en tant que juifs que les juifs italiens ont souffert de ces mesures d’épuration.
Mais le parcours des juifs italiens a été particulier. Frappés par les mesures raciales du gouvernement de Mussolini à la fin des années 30, puis par les mesures raciales de Vichy, puis ensuite par celles de l’occupation allemande, avant de souffrir de cette épuration à l’issue de la défaite des forces de l’Axe.
Mais il ne faut pas oublier que les juifs italiens représentaient une population particulière, plutôt aisée, et considérée comme très attachée à sa nationalité italienne Dans les dossiers, on caractérise les individus comme « juifs italiens », « juifs livournais », « israélites italiens », ou « italiens juifs ». Les rapports de l’administration française ont souvent fait remonter, dans l’entre-deux-guerres, un attachement de cette communauté à ses origines, et donc un support implicite au régime fasciste.
Mais en réalité, pendant la guerre, les juifs italiens ont souvent eu à survivre en tant que juifs, et l’attachement à l’Italie fasciste est extrêmement flou.
Dans les mesures qui frappent la population italienne après la libération, les juifs italiens se trouvent dobc dans une situation ambigüe, cibles d’une confusion entre le statut de victimes et de persécuteurs. Leur attitude anti-française est loin définie de manière très souple, établie par l’administration française selon des critères souvent arbitraires.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec