Le Netflix à la française a-t-il un sens?
Avec l’ouverture du festival de Cannes, et la vague de rejet que suscite le géant américain de la VOD, revient sur le devant de la scène la question de l’opportunité de lancer un « Netflix à la française ». Projet ardemment défendu par la patronne de France Télévisions, mais qui pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Un tel projet a-t-il un sens? J’en doute.
Quelles raisons pourraient en effet justifier les investissements que nécessiterait un tel projet, investissements d’autant plus colossaux d’ailleurs qu’ils seraient portés par une grande entreprise nationale ?
Est-ce l’absence d’acteurs de VOD nationaux? Allons donc. Canal Play existe depuis près de dix ans, de même que la VOD Orange. MyTF1 est plus récent, mais je doute qu’il y ait de la place pour plus d’une dizaine d’acteurs de la VOD en France: nous représentons un marché étroit, et même si les habitudes des téléspectateurs sont en train de migrer de la télévision en direct vers les offres de rediffusion ou de replay, même si la location de vidéo a connu un joli succès il y a quelques années et si le téléchargement illégal est plutôt sur le déclin (mais pas le streaming illégal), on voit mal ce qu’apporterait une chaîne supplémentaire.
Est-ce le manque de contenus en français? Ce pourrait être un des arguments, tant la pauvreté des catalogues paraît flagrante, aussi bien d’ailleurs sur les contenus dans d’autres langues que le français. Les acteurs actuels de la VOD, comme Orange ou Canal Play, proposent entre 5000 et 10000 contenus, et encore, en comptant probablement chaque épisode de la moindre série comme un contenu à part entière. Mais ce qui vaut pour des acteurs comme la VOD Orange ou Canal Play vaudrait également pour le Netflix à la française: ce sont les accords avec les distributeurs qui régissent ce métier, pas le fait d’être à la française ou à la grec. Et ces accords sont régis pays par pays.
Est-ce le besoin d’un acteur international financé par des fonds français? L’État n’a-t-il donc pas d’autres déficits à combler, qu’il se prête, par l’intermédiaire d’un acteur public, aussi pertinent soit-il, au jeu insensé du financement d’une société dont la réussite et rien moins qu’assurée? Car il ne faut pas se leurrer, Netflix tient une position dominante par la qualité de son offre, certes, mais aussi par le truchement d’un marketing effréné, et je doute qu’une entreprise publique ait les moyens de se lancer dans ce petit jeu là. Ce n’est pas tant le premier entrant qui gagne, mais c’est surtout le fait qu’un spectateur moyen ne va pas s’abonner à trois ou quatre services différents. Et si Netflix ou Amazon proposent déjà une offre suffisamment riche pour ce spectateur là, il n’aura aucune raison de se reporter vers ce fameux Netflix à la française.
En réalité, si France TV avait voulu se lancer dans la compétition, il aurait fallu s’y prendre beaucoup plus tôt. Au stade actuel, lancer un concurrent de Netflix, c’est aussi ridicule que d’imaginer ébranler le quasi monopole de Google ou Facebook avec de l’argent public. Si cette initiative devait, hélas, voir le jour, ce serait un gâchis, un immense gâchis. Et je doute que nos finances puissent se le permettre…
Alors braves gens, continuez à regarder Netflix. A 11 ou 12 euros par mois, pour une offre limitée en taille, mais illimitée en séances, le compromis n’est pas si mauvais.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
l’ouverture du festival