Le mieux est l’ennemi du bien
Dans la série des maximes passe-partout, celle-ci est peut-être ma préférée. Le mieux est l’ennemi du bien, et si l’on y prête bien attention (et non mieux), on peut s’en rendre compte tous les jours. À l’échelle individuelle, en société, à l’échelle d’une nation ou même de l’humanité.
J’en veux pour illustration deux exemples, l’un tiré de l’actualité récente, l’autre d’une expérience personnelle. Commençons par la première. Elle concerne tous ceux qui ont la chance, jusqu’ici, de vivre en démocratie. Elle concerne l’excès de démocratie, une tendance fréquente, une sorte de surenchère permanente pour montrer qu’on fait mieux que les voisins d’à côté. Sans se douter qu’à moyen terme, on risque de faire pire.
L’excès de démocratie, c’est par exemple le changement radical intervenu il y a une vingtaine d’années, et grâce auquel nous sommes passés d’un septennat à un quinquennat renouvelable une seule fois. A priori, une telle évolution va dans le sens d’une amélioration du régime démocratique déjà en place. Grâce à ce type de mesure, on empêche ainsi le même président de passer près de quinze années au pouvoir, comme ce fut le cas avec François Mitterrand (abstraction faite des deux cohabitations). Sur le papier, c’est du tout bon. Sauf que dans la réalité, c’est tout sauf une amélioration.
Car le président réélu, en l’occurrence Emmanuel Macron, se retrouve en position de faiblesse durant son second mandat, comme ce fut le cas également pour Barak Obama à partir de 2013. Sa capacité à orienter la politique intérieure s’en ressent. Ses adversaires savent que sur la durée, son pouvoir n’aura de cesse de s’effriter. Et ses sbires les plus audacieux, comme Darmanin, sont déjà prêts à se positionner pour la suite, comme ce fut le cas le weekend dernier. Gageons que les quatre prochaines années verront ce type d’événements se multiplier. Les candidatures se multiplieront, au sein du gouvernement ou à l’extérieur. Et le président, isolé dans son château, n’aura plus qu’à compter les jours qui lui restent à passer, les fameux « dodos » popularisés par Nicolas Canteloup.
Ce second mandat non renouvelable vaut-il mieux qu’une succession indéfinie de mandats d’une durée plus longue ? J’en doute. Car en opérant cette modification de notre système électoral, le législateur a simplement exprimé un doute sur la capacité de notre démocratie à ne pas installer un président à vie. Pour lui, ce changement est un mieux. Mais en l’occurence, il affaiblit le bien.
Autre exemple, tiré cette fois d’une expérience malheureuse avec Amazon, qui n’y est a priori pour rien. Une commande un peu volumineuse est arrivée ce matin. Pas assez volumineuse pour ne pas rentrer dans la boîte aux lettres, via le panneau principal qui permet d’ouvrir en grand plusieurs boîtes d’un seul coup. Mais suffisamment volumineuse pour encombrer la totalité de l’espace de la boîte aux lettres.
Résultat : impossible d’ouvrir ma boîte aux lettres personnelles, je dois attendre que quelqu’un possédant la clef de la boîte aux lettres principales ouvre le panneau général et débloque mon emplacement.
Livrer le colis à son destinataire, en sonnant à l’interphone, cela aurait déjà été bien. Le laisser à un voisin, cela aurait été tout aussi bien. Mais ce malheureux livreur a voulu faire mieux : ne pas me déranger, ni déranger l’un de mes voisins. De plus, en effectuant cette livraison peu commode, il a eu l’impression de gagner du temps sur sa livraison, temps qu’il pourra mettre à profit pour livrer plus de clients Amazon. Du mieux, rien que du mieux…
Il faut savoir se satisfaire du bien.
Le mieux est souvent superflu.
Voire contre-productif.
PS 1 : je dédie cet article à un de mes lecteurs dont je tairai le nom (mais qui se reconnaîtra sans doute), et qui s’est récemment plaint du rythme de publication un peu moins soutenu durant la période estivale. Il aurait sans doute voulu que je fasse mieux. J’ai préféré faire juste bien…
PS 2 : pour le lecteur curieux du dénouement de l’affaire de la boîte aux lettres, voici ce qui s’est finalement déroulé : en forçant sur la clef, j’ai pu faire tourner le verrou métallique qui est venu déchirer la caisse en carton. Je prenais ainsi le risque de détériorer son contenu, car il aurait mieux valu attendre le passage du facteur le lendemain. Mais je n’avais pas que cela à faire, et je me suis contenté du bien offert par la force brute…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec