Le mediator tue
Une série de négligences fatales, des centaines de victimes, des défaillances du système de santé public… L’affaire du Mediator est au scandale du sang contaminé ce que le Canada Dry est à l’alcool: il en a la couleur, le goût, mais c’est bien différent. Différent sur plusieurs points, comme l’expliquait hier Irène Frachon sur France-Inter.
- Dans le cas du sang contaminé, les hémophiles avaient un besoin vital de transfusion sanguine. Il semble bien que l’intérêt du Mediator était notoirement connu pour être nul
- Dans le cas du sang contaminé, la négligence n’a profité à aucun organisme privé. Dans celui du Mediator, un laboratoire est pointé du doigt.
- Dans le cas du Mediator, la nocivité du médicament était connue de longue date, plus de dix ans selon la pneumologue. Dix ans de silences et d’atermoiements. Et au final, des centaines de décès.
La stratégie de défense du laboratoire Servier paraît effroyable. Au final, ce qui est encore plus grave, c’est que toute une profession, tout un secteur, risque de pâtir de l’irresponsabilité d’un acteur isolé. Les médias sont lâchés, et les laboratoires risquent de passer uns sacré quart d’heure.
Les directions de la communication des laboratoires pharmaceutiques, quelque soit leur taille, vont requérir une grande diversité de talents. Car il en faudra, pour rétablir la confiance dans l’utilité de certains médicaments. A cette fin, les médias sociaux, par leur capacité à offrir un cadre d’échanges transparents, pourraient être d’une utilité certaine.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Il est évident que l’affaire du Mediator ne va pas vraiment aider à redorer l’image d’une industrie déjà sous pression et traînant comme un boulet sans fin de sales affaires. Je ne sais pas si seuls les réseaux sociaux et la communication peuvent aider à limiter la casse tellement il est question des relations complexes entre l’industrie et les pouvoirs publics. Relations qui permettent justement que de pareils médicaments jouissent d’un certain laxisme. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’effroyable chronologie que le Canard Enchaîné vient de publier.
Sur les parallèles avec le sang contaminé, je te suis un peu moins. Les hémophiles avaient effectivement besoin de transfusions. Or à l’époque, il existait déjà des alternatives aux produits incriminés : les concentrés sanguins chauffés notamment. Mais les autorités n’ont pas daigné les considérer dans un 1er temps et ignoré les premières alertes qui remontaient sur les concentrés non chauffés.
De même, lorsque tu écris que la négligence n’a profité à aucun organisme privé, c’est oublier que les autorités françaises ont joué la montre pour aider l’Institut Pasteur dans l’élaboration des tests de dépistage sanguin que son concurrent Abbott avait déjà mis au point et pour lesquels il a eu un mal de chien à avoir l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Or, ces considérations ont entraîné un retard conséquent dans la mise en place des dépistages des lots contaminés.
L’affaire Mediator est comparable à celle du sang contaminé dans le sens où on y retrouve exactement les mêmes facteurs systmétiques qui ont conduit à la crise qu’on connaît. J’avais fait un billet là-dessus en septembre dernier : http://www.leblogducommunicant2-0.com/2010/09/26/risque-progres-lequation-deletere-se-met-en-place-avec-laffaire-du-sang-contamine-1112/
Les 5 facteurs relevés s’emboîtent à l’identique pour l’histoire du Mediator. C’est à se demander si on apprend vraiment des erreurs du passé ?
Effectivement, on retrouve les facteurs que tu relèves, quoique je ne sis pas bien sûr qu’on puisse parler d’incertitude scientifique dans le cas du Mediator. Xavier Bertrand aura, quant à lui, une réelle opportunité de redorer le blason des politiques en traitant cette affaire avec fermeté et… je cherche le terme … équité? justice? impartialité? Donnons-lui ses chances…
Concernant l’Institut Pasteur, n’est-ce pas un établissement qui relève des pouvoirs publics? A moins que tu ne vises tel ou tel labo partenaire de Pasteur, ce qui élargit le périmètre de l’affaire…
C’est vrai qu’il n’y avait pas autant d’incertitudes dans le cas du Mediator. Assez vite, la molécule a été mise en cause et a conduit au retrait définitif de l’isoméride, dont le mediator n’est qu’un dérivé.
Je souhaite bon courage à Xavier Bertrand pour nettoyer les écuries d’Augias d’autant qu’il est lui-même impliqué dans le dossier du fait de son 1er passage au ministère de la Santé. Passage où il avait choisi de maintenir le remboursement du médicament à 65% alors que déjà les alertes se multipliaient et que des rapports médicaux faisaient état de l’inutilité du mediator. Il va devoir jouer serrer pour expliquer une décision si surprenante!
Exact pour Pasteur mais au final, public ou privé, le distingo importe peu. Ce que je voulais souligner, c’est que le critère purement commercial l’a emporté sur des critères médicaux et théraputiques ! Or en médecine, ne dit-on pas que la priorité est « Primum non nocere » (d’abord ne pas nuire).
Je plains les autres labos car désormais, ils seront, à tort ou à raison, dans le collimateur. Dans une société où la confiance n’existe quasiment plus et que le soupçon sert de baromètre, ils vont avoir fort à faire pour montrer qu’ils ne sont pas tous aussi « extrêmes » que le cas Mediator.
En fait, il n’y a probablement pas de bons et de mauvais laboratoires, mais des pratiques généralisées qui vont contre notre intérêt. Les liens entre laboratoires, organismes de contrôle et gouvernement sont extrêmement étroits (ce qui est aussi vrai dans quasiment toutes les grandes industries). Dans ces conditions le lobbying est remarquablement efficace, et le moyen le plus efficace de se sortir d’un mauvais pas.
D’ailleurs il n’est pas totalement interdit de penser que « l’intérêt national » soit souvent derrière les décisions du gouvernement. Que pèse la vie de quelques centaines de Français en comparaison avec la réputation internationale et la prospérité d’un champion national, par ailleurs créateur d’emplois ?