Le dilemme du dinosaure
Un post publié sur LinkedIn par mon ami Charles-Antoine Poirier a particulièrement attiré mon attention hier. Il s’agit d’une campagne menée par le PNUD, le Programment des Nations Unies pour le Développement, pour alerter l’humanité sur le risque d’extinction de notre espèce – excusez du peu. Dans le cadre de cette campagne, un site web DontChosseExtinction.com et une vidéo traduite en plusieurs langues ont été mis en ligne. Publiés en même temps que la COP 26, ils ont pour but, j’imagine, de mobiliser les esprits en faveur de la protection de l’environnement. C’est une belle démarche.
La vidéo est particulièrement bluffante. Bravo à l’agence Activista qui est derrière la réalisation. Aux premières images, on pense à Jurassic Parc, on va en prendre plein la vue, c’est génial … jusqu’à ce que notre ami Dino prenne la parole… Je vous laisse constater par vous-même.
Casser la voix
Le problème, c’est la voix. Pourquoi avoir donné une voix d’ado post-pubère à un animal dont la dentition nous rappelle, avec quelques frissons, que face à de tels animaux, notre espèce n’aurait peut-être pas fait long feu ? Et n’essayez pas dans les autres langues, c’est tout aussi grotesque.
Je ne comprends pas ce qui est passé par la tête de l’équipe en charge de la réalisation. Se sont-ils contentés de cette voix par manque de moyens ? Ont-ils imaginé s’adresser en priorité aux jeunes enfants ? Ou n’ont-ils simplement pas écouter la bande son ?
À leur place, j’aurais choisi une voix au moins une octave en dessous, celle d’un Stallone ou d’un Jean Reno, une voix qui évoque la puissance et la terreur, et non cette voix fluette, qui évoque plutôt un gamin à qui on a promis un paquet de bonbons, qui n’a rien reçu, et qui exprime sa frustration sur un ton larmoyant. Je veux bien qu’on fasse de la peine aux dinosaures, mais il y a des limites…
Le dilemme du dinosaure
Accessoirement, je me demande quel est l’impact réel d’une telle campagne. Car en ce qui concerne l’environnement, les atermoiements et les choix apparemment illogiques de certains états, qui ne montrent aucun signe de coopération, me rappellent furieusement un problème bien connu : celui du dilemme du prisonnier. J’écoutais ce matin le podcast de People I mostly admire, où Robert Axelrod était interviewé par Steven Levitt sur ce sujet précis. Rappelons en quoi « le dilemme du prisonnier » consiste en quelques mots.
La police interroge deux suspects. Ils sont tenus à l’écart, et ne peuvent communiquer. À chacun d’eux, elle propose le deal suivant :
- si tu balances ton copain, et que lui ne bronche pas, tu sors libre, et lui en prend pour 20 ans. Et réciproquement.
- si tu balances ton copain et que lui te balance aussi, vous prenez 10 ans chacun
- si aucun des deux ne parle, vous prenez 1 an chacun
Il est évident que la meilleure stratégie, à l’échelle du groupe, est de ne rien dire – de coopérer. Oui, mais si je choisis de ne rien dire et que l’autre me balance, je risque de prendre 20 ans. Naturellement, j’en viens à la conclusion qu’il vaut mieux que je le balance. Au pire, on prendra 10 ans chacun. Ce n’est pas la solution optimale, mais ce n’est pas la pire. Je limite les risques.
Et c’est ce qui se passe en matière d’environnement. Si tout le monde réduit ses émissions, la planète respire et nos économies se développent lentement : c’est la coopération, la stratégie optimale. Si personne ne réduit ses émissions, la planète souffre mais chacun voit son pays se développer rapidement. Si je réduis les miennes, mais les pays d’en face ne le font pas, mon pays se développe lentement alors que les autres se développent rapidement.
Là aussi, comme avec nos deux prisonniers, les participants – les états, dirigés par des gens supposés censés – préfèrent non pas la solution optimale, mais la moins pire à l’échelle de leur économie.
La logique, hélas, ne suffit pas à modifier les comportements.
Et le gentil dinosaure, malheureusement, n’aura pas servi à grand chose, si ce n’est démontrer la créativité et le talent de certaines agences de communication.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec