Le dernier DAB
Il fut un temps où retirer de l’argent était compliqué. Je me souviens encore de l’époque où il fallait se rendre au guichet de sa banque avec un chéquier, à l’ancienne. Vous imaginez comme ce type de retrait pouvait être pratique, qu’on ne retirait alors de l’argent qu’une fois par mois, en demandant le maximum autorisé (si les fonds le permettaient), pour éviter de passer son temps à faire la queue au guichet.
Au début, il y avait le DAB
Puis les distributeurs automatiques de billets sont apparus, comme un effet secondaire de la petite révolution que constitua l’introduction de la carte bancaire. Du jour au lendemain, le retrait d’argent liquide devenait d’une simplicité enfantine, à condition, bien entendu, d’accepter de se faire remettre une carte bancaire nominative (moyennant finances…), ce à quoi les plus anciens de l’époque étaient plutôt réticents. Que voulez-vous, c’est presque toujours avec les utilisateurs les plus jeunes que l’innovation s’installe, même quand il s’agit de moyens de paiement…
Plus récemment, l’introduction des paiements sans contact a également constitué une petite révolution. Plus besoin d’introduire la carte de crédit dans le terminal et de composer son code, un simple effleurement suffit. Mieux encore, une fois qu’on a configuré le paiement sans contact sur son smartphone, on peut se passer de sa carte de crédit – et le seuil de paiement de 30 ou 50€ peut allègrement être franchi. Là encore, les jeunes – et la crise Covid aussi, reconnaissons-le – ont été un accélérateur du changement.
Mais s’il est pratique de pouvoir payer à peu près partout sans argent liquide, il y a des situations où on a encore besoin de payer produits ou services en espèces sonnantes et trébuchantes. Sans évoquer le cas tragicomique des taxis parisiens (qui vous font souvent le coup du terminal CB en panne…), pensez à tous ces distributeurs de café en entreprise, ou à toutes ces boulangeries qui refusent le paiement par carte bancaire en-dessous d’un seuil qui varie entre 3 et 5€. Sans parler des mendiants, qu’il est difficile de satisfaire avec une carte bancaire. Bref, le cash n’a pas encore complètement disparu, malgré les efforts des banques et des états pour réduire son usage, et la non transparence des transactions qu’il permet.
Le problème, c’est qu’il n’est plus aussi simple, désormais, de se procurer du cash. Cela devient même franchement compliqué dans certains quartiers, où il faut faire des kilomètres avant de trouver un endroit où retirer de l’argent. Car en France, les distributeurs automatiques de billet (également appelés DAB) sont presque toujours installés à proximité d’une banque ou d’une agence postale. Quelques exceptions existent, avec des distributeurs dans des gares ou des centres commerciaux. Mais dans leur immense majorité, les DAB de France sont adossés à des agences bancaires.
Or le nombre d’agences bancaires décroit de manière régulière depuis quelques années, et pas seulement chez nous.
Pénurie organisée
La raison en est que les banques, comme toutes les entreprises, cherchent à faire des économies. Il fut un temps où entretenir une large population d’employés de banque au service de la clientèle, derrière des guichets, était justifié. Mais cela l’est de moins en moins. Les clients des banques se rendent de moins en moins souvent en agence – entre autres raison, parce qu’on retire moins souvent son argent par chèque, cf. plus haut. Quant au dépôt de chèques, c’est devenu un processus automatisé depuis plusieurs années, qui ne justifie plus de main d’oeuvre en agence. Sans parler de l’ouverture et de la gestion d’un compte, qui peuvent être réalisés à distance, grâce soit rendue à Internet et aux banques en ligne.
Résultat ? Selon le site MoneyVox, le nombre d’agences a diminué de 10%, passant de 41800 à 38100 entre 2010 et 2020, et moins de 32000 si on retire du décompte les agences postales. C’est une tendance lourde également dans d’autres pays, comme l’Allemagne, où Deutsche Bank a annoncé fermer 20% de ses agences, et où le nombre d’agences a été réduit de 15% en 10 ans. Chez nous, BNP Paribas a fermé près de 4000 agences en 10 ans, la Société Générale annonce prévoir la fermeture de plus de 600 agences jusqu’en 2025…
Bref, ce n’est pas encore le désert bancaire, la densité décroit, et il faut bien le reconnaître, cela va devenir de plus en plus difficile de trouver une agence bancaire. Et par conséquent, de retirer de l’argent sur un distributeur de billets. Je ne sais pas si les petits malins qui président les grandes banques françaises ont cette problématique a l’esprit, mais il va être temps de s’y intéresser…
Des solutions existent, déjà mises en œuvre d’ans d’autres pays . Aux Etats-Unis, par exemple, on trouve des distributeurs de billets indépendants, montés, je suppose, sur des socles inamovibles pour décourager les braqueurs occasionnels. Idem en Israel, où l’on peut même retirer de l’argent dans un supermarché de manière originale, en payant un peu plus à la caisse que le montant de ses achats, et en touchant la différence en espèces.
En attendant, en cas de pénurie de pièces à la machine à café, dites vous que c’est pour la bonne cause. Et que les effets pervers de la modernisation peuvent se faire ressentir même dans ces situations là…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec