Le « décret pantoufle » : un effet collatéral bénéfique de mai 68
par Rolland Russier (X67), Jean-Pierre Florentin (X67), François Hamy (X67)
Introduction de Serge Delwasse
Chers amis : le texte que j’ai l’honneur de vous présenter ci-après a été refusé par (rayer la mention inutile) la Jaune et la rouge/ l’Humanité/ la Pravda et son (conserver toutes les mentions inutiles) excellent Rédacteur en Chef Adjoint/ Délégué Général Adjoint de l’AX/ Sous-chef-du_Monde au nom de (rayer les mentions inutiles) l’air du temps/ la bien-pensance/ le politiquement correct/ « Scrogneugneu, je fais ce que je veux, je suis rédac’chef adjoint après tout. Déjà, lorsque j’étais Secrétaire Général de l’AX, je faisais ce que je voulais, alors je n’ai aucune raison de changer »
C’est dommage. Outre qu’il éclaire de façon intéressante la manière dont certaines décisions structurantes – bien sûr cela n’engage pas la sûreté de l’Etat, mais ce n’est tout de même pas anecdotique – sont prises au sommet de l’Etat. A ce sujet, je ne peux que vous encourager à lire – il le raconte dans son ouvrage La Poule aux Oeufs d’Or, à ne pas confondre avec son dernier opus – la manière dont notre camarade Gérondeau (X57) est, facilement, sans concertation aucune, sans mandat de qui que ce fût, parvenu à faire prendre la funeste décision de donner l’exécutif de l’X au président du CA, décision que le MinArm et la DGA, 15 ans après, ont bien du mal à détricoter… Outre qu’il éclaire etc, donc, il est un témoignage vivant de l’histoire contemporaine de notre Ecole. Et ça c’est bien
« Qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre ». C’est – entre autres – pour cela que je me suis attaché à étudier, présenter, décrire l’histoire de notre Ecole. Je suis heureux du témoignage de Russier, Florentin et Hamy, témoignage dont je crois savoir qu’il n’est que le prélude à une histoire de mai 68 à l’X.
Il est donc dommage que la JR n’en ait pas voulu. C’est une occasion, peut-être, de se poser des questions fondamentales sur ladite JR ? genre :
- A quoi sert-elle ?
- Doit-elle être une revue scientifico-business ou une simple gazette paroissiale ?
- Doit on continuer à publier la revue papier ou, zau contraire, basculer vers du tout numérique ?
- Quelles sont l’utilité et l’impact réputationnel du cahier dit « entreprises » ?
- Quel est le rôle du comité éditorial ? quel est le mode de désignation de ses membres ? Devant qui sont-ils responsables ?
Bon, j’arrête :). Revenons à la pantoufle et à son décret…
[edit du 17/2/24 : j’ai reçu pas mal de témoignages ou de commentaires. Je les publie à la suite de l’article, anonymisés bien sûr.]
Rolland, Jean-Pierre, François, c’est à vous…
Le « décret pantoufle » : un effet collatéral bénéfique de mai 68
Aujourd’hui, peu de « pantouflards » savent d’où vient cette pratique établie (et qui leur semble tout naturelle) qui exonère les X démissionnaires du remboursement des frais de scolarité, sous condition d’obtenir un diplôme complémentaire : j’ai nommé « le décret pantoufle ». Et les acteurs à l’origine de cette petite révolution sont eux-mêmes surpris de voir que les bienfaits de leur initiative de 1969 perdurent encore en 2024. Il est donc intéressant, un demi-siècle après, de revenir sur la genèse de cet important décret, fruit inattendu des soubresauts soixante-huitards.
Ce fameux « décret pantoufle » a depuis été profondément modifié, et reste toujours l’objet de remises en question régulières. En tout état de cause, il a permis à plusieurs milliers d’élèves d’entrer directement dans le monde du privé, ce qui était quasi-impossible auparavant, évolution extrêmement bénéfique pour notre pays.
Alors qu’il avait été préconisé par une commission ad ‘hoc, la « commission Lhermitte », en 1967, il n’avait été programmé ni par le conseil d’orientation de l’AX, ni par nos révolutionnaires soixante-huitards.
Petit rappel sur les évènements de mai 68 En mai 1968, la France a vécu une flambée de manifestations, de grèves et de protestations étudiantes et ouvrières qui ont profondément secoué notre société. Malgré sa fin apparente, Mai 68 a eu un impact durable sur la France. Il a ouvert la voie à des réformes sociales et culturelles importantes, notamment en matière de droits des travailleurs, d’égalité des sexes et de liberté d’expression. Il symbolise encore aujourd’hui un moment de contestation et de changement radical dans l’histoire de la France.Menés au départ par les étudiants, les affrontements violents entre la police et les manifestants ont enflammé la situation. L’école polytechnique, située au cœur du quartier latin, était aux premières loges, bien que son statut militaire l’ait tempérée dans ses réactions. L’impact à l’école a été déterminant, tant sur son contenu pédagogique que sur les pratiques et coutumes qui forgeaient l’esprit polytechnicien.L’histoire de mai 68 à l’X, peu étudiée, fera l’objet d’une prochaine publication |
Bref un bel exemple d’une décision prise à rebours des idées dominantes, grâce à l’initiative de quelques cocons qu’on ne risquait pourtant pas de qualifier de révolutionnaires. Grâce en soit rendue à ces camarades déterminés qui se sont investis dans cette mission, en profitant de la situation chaotique du moment.
Pour notre promotion 67, la première conséquence pratique des « évènements » a été un chamboulement complet de l’organisation de notre vie à l’X. Après les vacances d’été 1968, au lieu de reprendre normalement le cours de nos études, nous avons été directement envoyés en école d’application militaire pour plusieurs mois. Sans doute fallait-il remettre la bleusaille dans le droit chemin. Mais revenons à notre pantoufle.
Jean Pierre Florentin (à l’initiative de l’action) : A notre retour d’école d’application, en février 69 et pendant tout le printemps, il y a eu une grande effervescence à Carva, centrée sur le programme d’études, l’introduction d’options (maths, physique/chimie et économie) et même sur le système de notation.
Un beau matin du mois d’avril, je me réveille en me disant qu’on est en train de changer presque tout à l’école (pas le statut militaire, fort heureusement, statut qui présentait bien plus d’avantages que de contraintes), mais qu’une chose n’était pas évoquée : l’obligation de payer la pantoufle en cas de démission. Ce n’était pas rien, elle était estimée à l’époque à 45 000 francs (Pour mieux en comprendre le poids : j’ai été recruté un an plus tard par un grand cabinet de conseil pour 2 900 francs par mois)
J’écris donc une convocation au tableau d’affichage :
« Pour les cocons intéressés par le thème de la pantoufle et de son coût : réunion au Point K à 10h »
Nous nous retrouvons à une demi-douzaine : le kessier François Hamy avec qui j’en avais déjà parlé, et quelques autres.
Convaincus que le jeu en valait la chandelle, nous avons alors décidé de nous atteler à ce dessein. En commençant par la visite à quelques personnalités bien choisies, pour évoquer avec eux les conséquences du coût de cette pantoufle qui conduisait à rendre impossibles ou très coûteuses des études complémentaires à la sortie de l’école : les entreprises prenaient à leur charge une partie du remboursement de la pantoufle ou le coût des études, mais pas les deux.
Pour commencer à défendre notre cause et enrichir notre réflexion, François Hamy et moi-même sommes donc allés visiter :
- Hugues de l’Etoile (X51), Directeur des Grandes Ecoles au Ministère des armées,
- Paul Huvelin (X21), président du CNPF (Conseil National du Patronat Français),
- Jacques Attali (X63) qui allait devenir un des premiers professeurs de la future option d’Economie.
En cette période bénie post-soixante-huitarde, et à notre grande surprise, beaucoup de portes s’ouvraient comme par miracle. Et l’écoute bienveillante des grands de ce monde qui nous recevaient tranchait avec les accueils plutôt froids auxquels nous nous étions déjà habitués auparavant. Comme quoi rien ne vaut une bonne tempête pour redonner du cœur à l’équipage. Attali nous a en particulier recommandé de faire passer cette réforme par un décret plutôt que par une loi. D’une part cela suffisait, et d’autre part cela éviterait d’attirer l’attention à l’Assemblée Nationale.
En étudiant le dossier, nous avions découvert que les frais de pantoufle avaient été multipliés par dix au cours des dix dernières années. C’était un choix délibéré de Pierre Guillaumat(X28), alors Ministre des armées (1958-1960) pour obliger les élèves à rentrer au service de l’Etat (alors que l’Etat ne proposait de places qu’à moins de 80 % des élèves) –
[ note de Delwasse : la schizophrénie de l’Etat, qui n’offre pas de places dans les corps à tous les élèves, et qui, en même temps, se plaint que trop d’X démissionnent, n’est pas nouvelle. Par exemple la question a été abordée à la Chambre des Députés en 1928 – Fin de la note ]
En particulier, on trouvait dans le calcul des frais d’étude des sommes qui n’avaient pas à y figurer. Une comparaison avec les autres Grandes Ecoles montrait que la pantoufle était surévaluée d’un facteur 10 en moyenne.
Raisons et conséquences, pour les démissionnaires, de l’augmentation de la pantoufle sur 10 ans (1957-1967) Les objectifs de l’école dans les années 50 étaient de fournir des cadres à l’Etat (et donc, a contrario, pas aux entreprises privées) Voir par exemple le Décret du 17 Juillet 1956 : « Le but de l’Ecole Polytechnique est de former des cadres pour la nation, et plus spécialement pour les corps de l’Etat ». Pour atteindre ce but (éliminer peu à peu les démissionnaires) le ministre Guillaumat avait remis en vigueur le système d’une pantoufle chère, afin de les inciter à rester au sein de l’état. Ci-après l’exemple d’une note du ministère des armées, demandant d’inclure dans le calcul de la pantoufle … « … certains éléments susceptibles de majorer, sans outrepasser le cadre imposé par la loi, les frais mis à la charge des élèves qui, pour des raisons d’intérêt le plus souvent, veulent esquiver l’obligation de servir l’état pendant dix ans« . Effectivement, entre 1957 et 1967, le nombre des démissionnaires a considérablement diminué (108 -> 70) au profit des chercheurs (9 -> 65) |
Nous avons bien entendu fait valoir que cette situation mettait en situation d’infériorité les pantouflards par rapport aux élèves issus d’autres écoles d’ingénieurs ou de commerce, mais une des idées qui a le plus porté auprès de la plupart de ces personnalités (très échaudées par les événements de mai 68) était que ce phénomène conduisait un nombre très important de cocons à se diriger vers la recherche qui, en tant que service d’Etat était dispensée de la pantoufle (or il était déjà bien connu à l’époque que c’était un des viviers de la contestation) et que trop peu d’X se dirigeaient vers le secteur privé.
Extrait du rapport remis au Ministre Une contradiction criante : En aout 1968, la « Commission Lhermitte », groupe officiel chargé de proposer des réformes à l’X, écrivait : « Dans l’optique, retenue par le groupe, du rôle de l’Ecole Polytechnique, les deux années de formation générale dispensées à l’X étant destinées à l’acquisition de méthodes plutôt qu’à l’acquisition de connaissances, une formation complémentaire apparaît comme indispensable« . Comment peut-on seulement penser qu’un élève, entrant dans une entreprise privée et lui demandant de lui avancer sa pantoufle de plusieurs dizaines de milliers de francs, osera demander en plus de lui payer une formation complémentaire, alors qu’il est en concurrence directe avec les élèves d’autres grandes écoles se proposant « gratuitement » et possédant déjà une formation complémentaire (HEC, Centrale …) Donc, si l’on pense qu’il est indispensable aux X d’avoir une formation complémentaire, ne la rendons pas a priori impossible aux élèves démissionnaires ! Le seul moyen de leur permettre de demander cette formation à leur employeur est qu’ils n’aient pas de pantoufle chère à payer. |
François Hamy (notre Kessier) complète : « Je ne me souviens plus qui m’avait mis au courant d’un sujet assez explosif. L’X, en tant qu’école, recevait une part importante de la Taxe d’Apprentissage, versée par les entreprises. Or cette taxe était utilisée pour financer les labos, alors qu’elle est normalement prévue pour financer les études. Ceci fausse évidemment le calcul du coût des études pour fixer le niveau de la pantoufle. Quelques discrètes allusions à ce « détournement de fonds » ont beaucoup facilité notre argumentation, car l’Astra [Astra = strasse = administration = la mili) ne voulait surtout pas que ça se sût. Un petit peu de chantage n’a jamais fait de mal … »
Jean Pierre Florentin (suite) : Un groupe de travail s’est ensuite réuni, mené par François Hamy pour préparer un dossier formel, au début juin 69, qui a été remis aux diverses personnalités intéressées par l’affaire.
A cette même époque, le 22 juin 69, le nouveau Président Georges Pompidou annonçait un remaniement ministériel. Pierre Messmer était remplacé par Michel Debré au Ministère des Armées.
Et le calendrier faisant bien les choses, le 14 juillet, à l’issue du défilé militaire, nos deux kessiers étaient reçus à l’Elysée.
Extrait du rapport remis au Ministre Sociologie de la pantoufle : A cause de son prix élevé et de la difficulté actuelle à se la faire rembourser par l’entreprise qui nous embauche, les élèves de la promotion qui voudraient entrer dans l’industrie privée et dont les parents n’ont pas la fortune nécessaire pour les aider doivent chercher une autre orientation. La plupart des corps étant saturés, ces élèves se tournent vers la recherche, même s’ils n’avaient à l’origine qu’une vocation limitée pour ce genre de carrière. Cette discrimination par la fortune des parents est inadmissible dans une école qui se veut démocratique. Elle ne peut que nuire au pays, un cadre de l’industrie privée passionné par son métier servant à long terme sûrement plus son pays qu’un chercheur sans enthousiasme. |
Pendant cette réception, un ancien X, proche collaborateur d’Alain Poher (redevenu Président du Sénat à l’époque), est venu parler avec les kessiers qui lui ont évoqué le projet. Il les a assurés que c’était une bonne idée, qu’il n’y aurait pas de problème au Sénat et il a maintenu un contact protecteur avec eux ensuite.
Le protocole voulant que les kessiers vinssent saluer le nouveau Ministre des Armées, celui-ci leur demanda quelle était la situation à l’Ecole. Les Kessiers, qui n’attendaient que ça et avaient parfaitement préparé leur discours, l’ont alors informé de l’avancement de la réforme des études et du seul problème qui restait non résolu : la pantoufle. Ils ont même eu le temps de présenter la synthèse de leurs arguments ! Dans les jours qui ont suivi, le Ministre sollicitait à ce sujet Hugues de l’Etoile, qui avait reçu le dossier et partageait ses conclusions.
Tout nouveau ministre cherche à prendre rapidement des décisions qui mettent en valeur son efficacité : rien de mieux que de se saisir des dossiers sur le point d’aboutir de son prédécesseur. L’alignement des planètes était parfait : un premier décret était publié à fin août 69 et au mois d’avril 70 était publié le décret définitif n° 70-323 du 13 avril 1970 relatif au remboursement des frais de scolarité par certains élèves de l’Ecole Polytechnique (J.O. du 16 avril 1970)
Peu importe la forme tarabiscotée dans laquelle est rédigé ce décret, il a existé et fonctionné pendant près d’un-demi siècle.
Une histoire ancienne … et oubliée. En fait, les arguments développés par notre groupe de travail étaient déjà connus. La commission Lhermitte proposait, en Aout 1967 : « Le Groupe est persuadé que les polytechniciens peuvent rendre autant de services à la communauté au sein des entreprises publiques, des sociétés nationales ou des grandes firmes industrielles privées que dans les corps de l’état. Il faut donc faire cesser les discriminations artificielles qui subsistent entre ces différentes catégories, ce qui sera atteint en particulier par la suppression de la pantoufle.Enfin il sera nécessaire d’éviter, par tous les moyens, que des modes ou engouements passagers amènent un afflux déraisonnable de polytechniciens dans tel ou tel secteur, incapable de leur donner à long terme les satisfactions professionnelles qu’ils peuvent légitimement espérer. » Mais dans la pratique, il n’y eut que la recherche qui pût bénéficier de cette mesure. Pour les démissionnaires (jusqu’à l’intervention in extremis de notre groupe de travail), rien n’apparaissait dans le projet de réforme de l’X de 1969. |
Ce décret a n’été abrogé et remplacé qu’en 2015.
Un baroud d’honneur A la direction des Etudes, certains s’opposaient fortement à ce décret. Ce qui explique sans doute les curieux « oublis » dans le projet initial de réforme, alors que la commission Lhermitte l’affichait clairement comme une bonne chose. Mais le décret fut bien publié le 16 avril, malgré les chausse-trappes diverses. Il reste que l’application pratique pour notre promotion faillit capoter, et fit passer un mois d’aout d’enfer aux éventuels bénéficiaires de la mesure. En effet, pour des raisons mystérieuses, l’administration « n’avait pas connaissance du décret », et ce n’est qu’à quelques jours de l’échéance (le 31 aout) que les demandes officielles ont pu être déposées. Un dernier coup de pied de l’âne ? |
Ci-dessous quelques copies, extraites du dossier remis.
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A heavy weather skipper
Bravo, Delwasse, pour cette respiration, à ne pas cacher, concernant notre École !
Au début de ma 81 ième année, je ressens encore cette injustice pour les démissionnaires, avec en plus des parents provinciaux eb situation de faiblesse : Air France, certes, m’a payé la moitié de ma pantoufle (gonflée en fait de 50 %, car Cheradame, le directeur des Études, m’avait infligé de redoubler ma deuxième année), il a fallu donc que je me forme sur le tas ! « Ce qui ne tue pas renforce », OK, et tout va bien quand même. Mais je n’ose vraiment imaginer ce que cela aurait pu et dû être avec ton brillant décret !
Je rajoute, autre faiblesse crasse, que l’École ne donnait pas un mot de comptabilité, ni de droit !!!
Oui, bravo pour tes combats.
Jean-Loup
Cet article a sa place dans la Jaune et la Rouge ! Peut etre que le comite de redaction pourrait s expliquer sur ses choix ?
(long) mail reçu d’un camarade de la 61. ça valait le coup, je pense, de le copier-coller, anonymisé, à part
Merci Camarade de ta communication originale sur la pantoufle.
De la promo 1961, j ai paye ma pantoufle dans les circonstances suivantes :
1. En 1963 je choisis l armement terrestre pour une simple raison : Messmer a signe un décret ouvrant 5 postes sur 13 à l appellation « Recherche », sans préciser les labos habilites, facilitant ainsi le transfert ultérieur vers le privé, sans pantoufle à payer.
2. Au terme de l ENSAR (1966) je demande à remplir ma feuille d affectation à un labo de l’armement prévu par le décret de 1963. Il m’est répondu qu il n existe pas de tels labos. Je produis le décret de 1963, il m’est répondu que ce décret est tombé en désuetude !
3. Je suis affecté, d’autorité, à l’arsenal de Lyon, au bureau d’études de métallurgie.
4. Trois mois plus le contact de Robert DAUTRAY, directeur scientifique du CEA.DAM m’est donné par le caissier de ma promo.
5. Robert Dautray me reçoit et me propose un parcours court dans lequel je dois lire un livre de physique théorique et revenir devant lui pour en discuter. Au terme de ce parcours il m’embauche.
6. L’arsenal de Lyon refuse de me rendre ma liberté rapidement et m’oblige à rester 6 mois de plus.
7. Le CEA.DAM m’embauche a un salaire 30% supérieur à l’Armement et lui rembourse ma pantoufle.
8. Je travaille 3 ans au Centre de Limeil-Brévannes dans des conditions scientifiques et humaines sans comparaison avec Lyon.
9. Fin 1970 je suis recruté par le Quai d Orsay et suis envoyé a XXXXXX comme Attaché Scientifique. L’existence de ma pantoufle n’est négociée ni par le Quai d Orsay ni par le CEA.
10. En 1972 je rentre a Paris, après avoir rempli des missions fort intéressantes, et je négocie un poste de producteur d’émissions TV scientifiques avec Pierre SCHAEFFER, Directeur du Service de la Recherche de l’ORTF.
11. 6 mois plus tard, je suis convoque par le CEA me réclamant le remboursement de ma pantoufle. Avec une lettre comminatoire d André GIRAUD, Polytechnicien et Corps des Mines, m’offrant cependant un étalement de mes mensualités
12. Alors que je suis astreint à payer, je consulte un avocat au Conseil d Etat afin d’attaquer le Décret de Messmer de 1963.
13. Au terme de 2 années de plaidoiries, et d’honoraires à payer simultanément avec le remboursement du principal de la pantoufle, le Conseil d’Etat rend son arrêt en deux lignes : » Vu le décret du … 1963, pris par le Ministre de la Défense Pierre MESSMER, l’appellation « Recherche » s’applique a tout établissement ainsi désigné par le Minstère de la Defense « .
Commentaire de Delwasse : Fermez le ban !
second (long) mail reçu d’un camarade, toujours de la 61. ça valait le coup, je pense, de le copier-coller, toujours anonymisé, à part
Cher camarade,
J’ai lu avec intérêt et plaisir ton texte relatif à la Pantoufle. Il m’a permis de repenser à mon cas personnel, que je te raconte brièvement. J’ai été, très jeune, passionné par la conquête de l’espace. C’est à partir de ma promo
que certains corps se sont vus ajouter une option Espace. J’étais donc intéressé à choisir Ingénieur militaire de l’Air, option Espace. Ce poste unique a été attribué à Frédéric d’Allest, mieux classé que moi. Il est devenu, plus tard, P-DG d’Ariane Espace. Dans notre promo il y a eu des rapports Pantoufle pour différentes industries. J’ai été
en charge de celui relatif à Aviation/Espace. C’est ainsi que j’ai découvert la société XXXXX, créée par l’Etat pour développer la force de frappe et dont la 1 ère réalisation très connue fut la fusée Diamant, qui mit en orbite
Astérix, le 1er satellite français. Je précise qu’à l’époque Sup-Aéro n’enseignait que la construction des avions. Le seul cours Espace était assuré par Jean-Charles Poggi (X 53) et concernait la mécanique de vol. Il devait durer quelques heures. J’ai donc pantouflé pour entrer le 1 er octobre 64 à la XXXXX où mon premier patron fut
Poggi, qui y dirigeait l’équipe Performances. Une lettre des Impôts du 22/12/1964 m’a annoncé que je devais, sous 8 jours, rembourser 26 082 F, coût de mes études à l’X. Cette somme a été payée par la XXXXX. Elle n’était due qu’ à 50% si je restais 8 ans. J’ai pu suivre plusieurs stages à Sup Aéro sur des sujets précis (structure/ probabilités/…) soit environ 6 semaines. A partir de la XXXXX s’est créée une société européenne : YYYYY, qui était chargée deconstruire un lanceur européen : 1 er étage UK, 2 ème étage France, 3 ème étage Allemagne, 4 ème étage Italie. Ce projet a été abandonné après 3 échecs car l’Allemagne n’était pas arrivée à mettre au point son étage (à hydrogène et oxygène liquides). Il a été ensuite repris par le CNES, ce qui a mené à réaliser Ariane.
L’échec de la YYYYY m’a conduit à créer avec quelques amis une société de services : ZZZ, dont l’actionnaire principal était la TTTTT, banque que j’ai rejoint en 1973 et où j’ai travaillé rapidement à l’international, en particulier sur le financement de grands projets export. J’en ai dirigé pendant 10 ans le département correspondant.
Donc, en résumé, je n’ai payé que 50% de ma pantoufle, tout en ayant pu travailler sur des projets qui me tenaient à cœur. Puis la vie, etc…….avec un aspect international que j’ai toujours aimé pratiquer.
quelques commentaires et mails reçus, anonymisés comme il se doit :
X61 : j’ai lu tout cela avec intérêt. […] Dans les petites approximations de l’article des camarades (cinquante ans après cela est pardonnable), je rectifie les fonctions de Hugues de l’Estoile : directeur du Centre de Prospective et d’Evaluation du ministère de la défense (CPE), qu’il avait créé à la demande de Messmer. [c’est bien noté]
X64 : Bonjour Serge, Merci pour cet article.J’ignorais totalement que les modalités de la pantoufle avaient évolué en 69. Ayant fait Sup’Elec après l’X, je vais regretter d’être rentré en 64. [Je suis] entré à EDF qui a payé la pantoufle. Mais moi qui ai démissionné 5 ans après, j’ai remboursé un reliquat de cette pantoufle qui s’amortissait
chez eux sur 15 ans.
X64 : Pour me débarrasser vite fait de la question de la pantoufle, je l’ai payée sur nombre d’années à une époque où je ne pouvais pas dépenser dans les endroits où je travaillais l’argent que je gagnais, ce qui m’a permis au début de mes premières grandes vacances d’entrer dans un magasin de voitures et d’acheter cash une petite Alfa Romeo. Aujourd’hui, en mangeant des boîtes de conserve, je vis avec une retraite de misère très très très inférieure aux revenus que suggèrent les références statistiques vu ma formation et mon expérience. C’est comme ça, et la vie est belle
X68 : Un passage de l’article me paraît, en toute rigueur, faux: « (alors que l’Etat ne proposait de places qu’à moins de 80 % des élèves) ». Sauf erreur, tout élève pouvait rejoindre un corps d’officier des Armées: cette précision aurait dû être mentionnée. [c’est noté. tu as raison]
X69 :Très belle initiative en effet, nous, les démissionnaires, leur devons beaucoup. Je n’étais vraiment pas fait pour un corps… Merci aussi à toi de cette initiative de court-circuiter la JR.
X76 : Merci, génial !
X70 : Merci Serge ! Éclairant ! Merci à la 67, c’est grâce à eux que je suis passé au travers avec mon MSc Berkeley, et je ne le savais pas !!
X70 : Merci cher camarade de ton mail amusant et un brin nostalgique !!
X70 : Extrêmement intéressant – je fus un bénéficiaire de ce décret en 1973, grâce à un conseiller des carrières, dont j’ai malheureusement oublié le nom, qui connaissait cette possibilité mais en plus a eu l’intuition de me conseiller d’obtenir cette formation complémentaire dans une université américaine, compte tenu de mon orientation vers l’informatique. Ce qui m’a amené à Stanford en septembre 1973… avec une bourse du ministère des affaires étrangères, ce qui fait que je n’ai payé ni mes études à l’X ni mon année de master à Stanford. Ce
qui est amusant, c’est l’institutionnalisation, de nombreuses années plus tard, d’une « 4ème année » qui est obligatoire, non plus pour annuler la pantoufle, mais pour en fait obtenir le diplôme ! Comme quoi ce qui semblait une exception en 1970 est devenu la règle 50 ans plus tard. J’ai aussi apprécié le ton railleur et sarcastique de l’article.
X71 : Merci Serge
X71 : Merci pour cet éclairage sur un décret peu connu
X71 : J’ai compris en lisant tes textes ce qui a pu m’arriver à l’époque…
X78 : Excellent merci. Effectivement il aurait mérité une place dans la JR. Excellent merci. Mais peut-être a t il plus d’impact par cette diffusion !
X78 : Merci Serge, c’était fort intéressant à lire.
X79 : Très intéressant.Tu n’as pas perdu ton côté subversif 🙂
X86 : Intéressant Serge et je suis très reconnaissante à ces X qui ont négocié ! 😉
X87 : Merci Serge ! Comme quoi, les cocktails c’est du boulot …
X87 : En ce qui me concerne, j’ai du payer il y a dix ans la pantoufle (plus de 10000€) pour avoir fait 9 ans et 10 mois au service de l’état (petit oubli de quelques mois du corps des mines… qui m’avait demande de démissionner pour assurer une meilleure pyramide des âges pour les ingénieurs généraux). L’administration est pleine de surprises…
X88 : Merci Serge, intéressant et savoureux en effet !
X92 : Merci Serge
X92 : Merci Serge pour ce partage: papier super intéressant ! Cet article explique avec brio le rationnel de la réforme de la pantoufle de 1969/1970 et mentionne pudiquement que le décret est resté valide jusqu’en 2015. Par curiosité je suis allé lire le décret 2015-566. Manuel Valls (Premier ministre), Jean-Yves Le Drian (Le ministre de la défense), et Michel Sapin (ministre des finances et des comptes publics) semblent avoir jeté à la poubelle l’essence de la réforme de 1969/1970 et réinstauré des règles analogues à celles qui prévalaient avant 1969. Si la Kès 2024 lisait Rolland Russier, Jean-Pierre Florentin, François Hamy, il y a fort à parier qu’un dossier serait de
nouveau présenté le soir du 14 juillet…
X92 : Article intéressant, merci. Vous avez sans doute vu que, récemment, les choses ont changé, suite à un rapport de la cour des comptes.Tous les X sont rémunérés pendant l’école d’application (qui ne dure plus qu’un an ) et tous sont tenus aussi de rembourser la pantoufle s’ils ne font pas 10 ans au service de l’Etat ou d’une
organisation internationale ou un organisme d’intérêt général. Pantoufle calculée comme la somme des soldes reçues pendant la scolarité (solde qui pourtant, du fait de sa forte réduction, ne fait à peu près que payer le casert). [sans commentaire]
X15 : Merci pour cet article, effectivement rigolo. Et qui résonne particulièrement cette année, où il est prévu que ma promo commence à rembourser sa pantoufle (la première depuis 50 ans?)
Sortant en juillet 68 de l’école (promotion 66) en des temps encore un peu troublés (je suis à la disposition, en particulier de Roland Russier que j’ai croisé récemment au salon des écrivains polytechniciens ou des écrivains polytechniciens, pour partager des souvenirs de cette époque), j’ai passé un contrat avec le ministère de la coopération et ai obtenu une bourse – très inférieure à la rémunération des fonctionnaires- élèves pour poursuivre ma scolarité à l’ENGREF en échange d’un engagement de 8 ans, que j’ai respecté à six mois près au Cameroun et au Burundi, et de la prise en charge de ma pantoufle.
Rentré en France, j’ai reçu du ministère des .Armées la facture de cette pantoufle, que j’ai renvoyée au ministère de la coopération, qui a eu du mal à obtenir du ministère des Armées de ne pas rembourser ces sommes (de l’ordre de 50.000 Fracs, de mémoire).
En comptant l’école d’application, j’avais dépassé les 10 ans au service de l’État, mais l’administration ne voulait rien entendre.
Tout est bien qui a bien fini, cependant.
C’est moi qui ai indiqué les fonctions d’Hugues de l’Estoile.
J’ai envoyé à Serge Delwasse un long commentaire, il est vrai, tenant à mon expérience de « tuteur de l’X » à la DGA pendant six ou sept années (décennie 80). Un certain nombre des exemples donnés dans les commentaires qui précèdent montrent à la fois les « aberrations » du régime de la pantoufle et la méconnaissance de beaucoup de camarades (et de non-camarades) de la façon dont les choses se passent dans l’Administration.
Je ne doute pas des efforts déployés par les camarades de la 67 pour faire supprimer la pantoufle, mis ils n’ont sûrement pas été les seuls à s’en occuper, et Gérondeau rappelle opportunément dans La Poule aux oeufs d’or que le fameux décret de 70 est sorti presque « miraculeusement ». Car dans sa grande sagesse l’administration aurait pu faire durer les choses. Par exemple pour éviter un décret de rédaction « tarabiscotée ».
Ce que je crois savoir, c’est que le régime de la pantoufle était à l’ordre du jour depuis le début des années soixante. Le souci de l’Ecole était d’obliger tous les élèves à compléter leur formation, car l’X ne donnait qu’un deuxième cycle en deux ans, alors que tous les diplômes d’ingénieur exigeaient trois années d’études (la Commission des titres y veillait). D’où l’idée des deux voies, celle des corps qui avaient tous leur école d’application, et celle qui a conduit à exiger des élèves un diplôme de formation complémentaire dans les trois ans après l’X (pourquoi 3 : parce qu’il y avait l’année militaire) ; avec le cas de la recherche (une « botte recherche » ayant été institué depuis 61 ou 63, qui a créé d’innombrables contentieux).
Les exemples cités par les camarades montrent les situations tordues qu’a eu à gérer l’Ecole dès 70, puisque devenue Etablissement public, elle pouvait encaisser les pantoufles.
Le montant de la pantoufle. Traditionnellement elle a toujours été assise sur les frais d’enseignement, le trousseau et/ou la solde (pour la petite histoire le coût du trousseau a posé un problème d’équité le jour où quelqu’un a constaté que le trousseau des filles était plus onéreux que celui des garçons !) L’exemple de l’X est injuste, si l’on veut, qui n’applique pas un coefficient modérateur en fonction de la durée des services accomplis.
De bons esprits avaient suggéré à Michel Debré de ne pas donner aux X les mêmes soldes que les élèves-officiers de Cyr/Navale/Air pour lesquelles il était indispensable d’attirer des candidats qui se faisaient rares après 68 (alors que l’X a toujours eu au moins 2000 candidats). A mon avis cela aurait permis de supprimer la pantoufle.
Le régime de 70, un peu tiré par les cheveux, avait l’avantage de marcher, et il n’ y avait qu’une vingtaine d’élèves qui étaient astreints au remboursement. Mais personne n’avait compris qu’il n’y avait plus de « démissionnaire », puisqu’il n’y avait plus à l’entrée à l’X d’engagement à servir l’Etat pendant x années.. La Cour des comptes cependant soulignait en 87 ou 88 que « 80% des X ne payaient pas la pantoufle » (article du Monde). La même ignorance a conduit, je pense, au rapport du député Cornut-Gentille qui est à l’origine du rétablissement de la pantoufle en 2015. Faut-il l’en remercier ? Là encore une réforme intelligente aurait sans doute permis de la supprimer.
Jean-Paul Guitton (X 61), ingénieur général de l’armement (2S)
Il faudrait m’expliquer comment on lit la courbe dessinée chercheurs/démissionnaires.
Drôle d’idée (sauf pour les besoins de la cause en 1969) d’imaginer que des gens vont choisir la carrière de chercheur alors que cela ne les intéresse pas. Je suis preneur d’exemples effectifs.
Finalement, le problème n’est pas tant les pérégrinations de la pantoufle, que le fait que les X soient payés. Sujet à présent vraiment d’actualité.
A. Moatti (X78)
alexandre,
tu as raison
pas sur la courbe, courbe que tu sembles le seul à ne pas savoir lire
mais sur la (en fait les) questions à se poser :
* les x doivent ils êtes payés ?
* combien ?
* que représente la pantoufle ?
* qui doit la rembourser ?
* à quel niveau doit elle se situer ?
j’envisage un second papier, papier qui tentera de répondre à toutes ces questions
dès que j’ai un peu de temps, promis juré !
i’ll keep you posted
amixcalement