L’Anomalie
EN récompensant le romande d’Hervé Le Tellier, L’Anomalie, les jurés du prix Goncourt ont peut être fait un choix audacieux, qui risque de décontenancer plus d’un lecteur. Et il n’y a qu’à lire les premiers commentaires sur la page Amazon du roman pour ce rendre compte du désarroi et de la surprise de certains d’entre eux, surpris par le déluge de références à la littérature ou au cinéma, ou déçus par l’originalité du thème, déjà rencontré chez d’autres auteurs. Pourtant, j’avoue avoir éprouvé un plaisir intense à parcourir les 300 pages de ce roman publié aux éditions Gallimard.
Si vous ne l’avez pas encore lu et ne souhaitez pas découvrir trop de détails, vous pouvez arrêter la lecture de ce billet ici, car j’ai bien peur de dévoiler certains éléments de l’intrigue de manière implicite, bien que le plaisir de cette lecture découle non seulement de l’intrigue, mais aussi de sa mise en récit.
Pour les autres, rappelons brièvement les faits. Ce livre est basé sur un événement paradoxal : un avion de ligne se pose un beau matin de Juin à New-York. problème : cet avion s’est déjà posé trois mois auparavant, avec les mêmes passagers. Vous imaginez déjà la multitude de problèmes que peut poser une telle situation. Peut-on – doit-on – faire se rencontrer les couples d’individus identiques, qui sont bien plus que des clones, puisqu’ils partagent le même passé, à trois mois près ? De ce type de question, Le Tellier va tirer une multitude de situations parfois cocasses, parfois tragiques, abordant à la fois les problèmes pratiques que cela peut poser, et la dimension philosophique et religieuse qui en découle.
De mon point de vue, cependant, le plaisir de l’Anomalie provient de quelque chose d’autre. À chaque page ou presque, en effet, me revenaient en mémoire des souvenirs d’une émission diffusée dans les années 1990 sur France Culture, Les décraqués, à laquelle je suis certain que Le Tellier a participé : Wikipedia mentionne sa participation aux Papous dans la tête, son émission soeur. Le principe en était simple : sur un thème choisi à l’avance, les invités devaient pondre une création littéraire, un texte court, qui illustrait le thème. C’était toujours très drôle, et particulièrement bien construit. Il pouvait s’agir par exemple d’une lettre de réclamation ou d’une chanson, le format était, si je me souviens bien, plus ou moins imposé.
Et bien L’Anomalie, sous sa forme de roman, reprend cette approche. Chaque chapitre ressemble à une figure de style imposée. Tel chapitre ressemble à un roman d’espionnage, tel autre à une oeuvre de science-fiction, tel autre à compte-rendu médical, etc. Hervé Le Tellier joue avec les mots, et se fait parfois plaisir, avec des termes que vous serez certains de ne retrouver nulle part ailleurs. Les noms mêmes, des personnages, relèvent parfois d’habiles jeux de mots.
L’Anomalie, plus qu’un roman, est une énorme farce – et je dois reconnaître que je me suis mis à rire comme un dingue à la lecture de certains passages. C’est un livre qu’il faut lire au 3ème ou 4ème degré, comme un film de Mel brooks, en essayant de comprendre qu’est ce qui se cache derrière chaque nom, chaque situation, chaque référence. Un roman qui ne se lit pas de manière passive, mais qui requiert une attention de tous les instants.
Seule interrogation, la fin. Je ne vous en dit pas plus, lisez ce livre. Et discutons-on dans les commentaires.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec