L’année des dupes : Alger 1943
Si vous demandez à un juif d’Afrique du nord de désigner, d’entre les juifs marocains, tunisiens ou algériens, lesquels s’estiment les plus français, il vous répondra inévitablement : les juifs algériens, et mentionnera probablement dans sa réponse le décret Crémieux, qui permit à cette communauté de bénéficier de la citoyenneté française, tout comme les juifs de France.
Pourtant, l’histoire des juifs d’Algérie est loin d’avoir été une sinécure, et c’est toute le mérite de Jacques Attali de retracer, en un peu plus de deux cents pages, l’histoire de cette communauté, en insistant sur une année particulièrement intéressante : l’année 1943.
Les conséquences d’un différend financier
Tout commence au début du 19ème siècle. L’Algérie fait alors partie de l’empire ottoman, est produit des céréales exportées vers la France. Mais un différent commercial entre la monarchie rétablie juste après la chute de l’empereur, et des commerçants juifs, provoque une crise entre Alger et la France. Les négociants ne pouvant payer leurs impôts, le dey prend la dette à son compte, la France refuse de rembourser, une crise diplomatique éclate, et début juillet 1830, la France prend possession de ce large territoire à peu près désertique.
Les juifs ne représentent alors qu’une fraction de la population local (3% environ, alors qu’ils sont 10% en Tunisie). Mais l’émancipation des juifs de France leur donne des idées, qui reçoivent un accueil divers des politiques. Le 24 octobre 1870, alors que le second empire s’est écroulé, les juifs d’Algérie obtienne la naturalisation en masse grâce au décret Crémieux.
Fin de l’histoire ? Évidemment non. C’est sans compter avec les horreurs du 20ème siècle.
Alger et Vichy
Année 1940 : la France capitule. L’Allemagne occupe la moitié nord du pays, mais n’exige pas d’occuper les colonies – les troupes allemandes ont d’autres chats à fouetter. Hitler ne réclame même pas les moyens militaires de la marine nationale, ce qui forcera les Alliés à en anéantir une partie à Mers-el-Kebir, de peur que cette flotte encore puissante ne tombe aux mains de l’adversaire. Un volume de plus à classer sur l’étagère des discordes cordiales.
Pétain au pouvoir, le régime de Vichy prend les commandes en Algérie. Pour les juifs, c’est la déchéance de nationalité, le retour à l’état d’indigène, et, pour certains, le transfert vers des camps de travail, qui, s’ils ne sont pas des camps d’extermination, ne sont pas moins des lieux sordides où règnent la violence des maîtres, la saleté, et la souffrance.
Le débarquement et la libération
Automne 1942 : les Alliés lancent l’opération Torch, dont on pourra lire tous les détails dans l’autobiographie d’Eisenhower. Pour les juifs d’Algérie, c’est une chance inouïe de renouer avec la liberté : ils participeront avec enthousiasme à la prise d’Alger. Pour vivre la plus grande des désillusions : les Américains et les Anglais, loin de répondre à leurs attentes, maintiennent au pouvoir les hommes de Vichy. Darlan, puis Giraud. L’arrivée de de Gaulle ne changera rien, ce dernier n’étant pas plus concerné par le statut de la communauté juive que ses adversaires ni ses alliés.
Il faudra une réelle prise de conscience du problème juif en Algérie, du côté des médias américains, pour que les choses changent, progressivement, et avec des termes si feutrés, qu’on se demande s’ils ne sont pas le fruit de l’inconscient des protagonistes, plutôt que le fait d’une démarche réfléchie.
De de ce passage de l’histoire des juifs d’Algérie, on parle peu, de nos jours. Et pourtant, durant ces heures sombres, se sont dévoilés à la face du monde la personnalité, la pusillanimité et la bassesse, parfois, de personnages comme le général Giraud, le (pas encore) maréchal Juin (dont de Gaulle, dira avec ironie « …qu’il a su saisir la victoire lorsqu’elle se présentait à lui… ») ou encore Jean Monnet, véritable girouette.
Bref, L’année des dupes est un livre qui vous surprendra tant par la richesse de la documentation que par l’histoire qu’il raconte.
Du grand Attali.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec