La toile va-t-elle craquer?
Deuxième conférence pour moi, « La Toile va-t-elle craquer? », table ronde autour de Xavier Niel, Loic Le Meur, Jean-Pierre Corniou, Pascal Nègre, etc.
Ambiance retrouvaille avant le début de débats, avec le grand retour de Loic sur le campus d’HEC. Ainsi que la présence de Xavier Niel, venu avec un sac qui contient on ne sait quoi (la Freebox du directeur d’HEC?). Et Pascal Nègre et ses superbes chaussures blanches.
Voici le détail des débats:
- Thomas Serval (Microsoft): a tellement utilisé Internet qu’il ne sait plus envoyer un courier manuscrit.
- Loic Le Meur: rappelle qu’il a créé sa première entreprise Internet sur ce campus, qu’il est le fondateur de Seesmic, et l’instigateur de la conférence Le Web. Rappelle le pouvoir du « bouche à oreille » et des communautés d’amis
- Xavier Niel: sa vie, c’est le Web. Il a créé son premier FAI en 1993, comptait 10000 abonnés plutôt professionnels ou spécialistes. Mais dès 2000, il comprend que les choses changent et qu’Internet devient un service, facturable, comme l’eau ou l’électricité. Son prochain défi: le mobile.
- Pascal Nègre: Internet, c’est super, sauf que 50% du business a disparu ces dernières années…
- Christiane Féral-Schul (avocat): des questions de droit d’auteur du logiciel, est devenue la spécialiste du cyber-droit.
- Eric Fottorino: tout le monde devient apporteur d’informations. Appli iPhone du quotidien Le Monde: 700 000 téléchargements, 15 000 par semaine. Se rendre indispensable et bâtir une économie là-dessus, oui mais comment? Personne n’a trouvé la clef.
- Jean-Pierre Rém (Pages Jaunes): ancien Expedia, avait une vision mondiale sur les usages du Net. Plus de 500m € de revenus publicitaires sur Internet, première entreprise au monde en revenus publicitaires en ligne hors US (derrière Google, Yahoo! et AOL). D’accord avec X.Niel, il corrobore le développement fulgurant du mobile, et soutient la recherche par les entreprises d’une présence efficace sur le Web.
- Jean-Pierre Corniou: le dinosaure, a depuis belle lurette imposé les usages numériques partout où il est passé. Mais il faut respecter les règles. La Y-génération cérébrale plutôt que génétique.
- JP Rémy: seulement 25% des entreprises françaises possèdent un site Web. Et 3% seulement sont dotés de moyens de vente en ligne…
- Eric Fottorino: doit trouver l’équilibre entre le gratuit et le payant. Les services payants doivent offrir une plus-value par rapport aux contenus gratuits.
- Loic: lit Le Monde sur son Kindle. (Frimeur, comment fait-il? et en même temps, il Twitte…). Amazon reproduit le modèle de l’iPhone dans le domaine de la presse.
- Pascal Nègre: le téléchargement de livre sur Internet ne remplacera pas le travail d’un éditeur: repérer les talents, les faire travailler, les faire connaître. Dénonce le mythe de la longue traîne: l’importance n’est pas dans la variété du catalogue, mais dans la concentration à laquelle contribue Internet (théorie du « restaurant vietnamien »: il y a peut-être 200 plats proposés, on finit toujours par choisir les mêmes: nems et poulet aux nouilles). Bref, plus on a de choix, moins on varie les choix (à mon avis, Gauss aurait surement un point de vue intéressant sur le même sujet).
- X.Niel: Internet a permis de faire émerger des talents dans le secteur de la musique. La gratuité de la musique est malheureuse, mais au profit de spectacles live de plus grande qualité. Internet devient le troubadour du 21e siècle. Mais Pascal Nègre n’est pas d’accord… Le plus touché par Internet, c’est … l’annuaire inversé du minitel, qui est passé de 200m de C.A. à 0,00€. Internet a tué le minitel.
- P.Nègre: Internet aide à faire parler des artistes. Mais considérer que le « live » incarne mieux la musique que celle enregistrée, c’est faux. La musique n’a jamais été aussi peu payée et autant écoutée. Rappeler que l’Internet n’est pas une zone de non-droit. Et hop, on arrive à Hadopi.
- C.Feral-Schul: la difficulté se situe sur le terrain de la preuve. Toutes les lois récentes ont très vite du retard. Avec le numérique, on est passé de « l’exception de copie privée » au « clone« : le consommateur de base revendique alors un droit de cloner. (Un peu cérébral à mon goût)
- JP.Corniou: Hadopi fait peur aux petits patrons, alors qu’il permet de faire émerger de nouveaux talents, d’améliorer le fonctionnement de l’économie nationale.
- JP.Remy: réfléchir en terme de valeur plutôt que de droit, et déterminer qui récupère la valeur. (Excellente remarque). Les contenus ont développé la valeur pour les FAI, les équipementiers, etc. Les entreprises doivent comprendre les transferts de valeur.
- Loic: Hadopi vu de la Silicon Valley, c’est « La France ressemble de plus en plus à la Chine« .
- P.Nègre: aux US on n’a pas eu besoin de loi, mais obtenu les résultats par des transactions de gré à gré. Le dernier gars qui a téléchargé 30 titres a eu droit à 300 000$ d’amende (et dire qu’il reproche à Loic d’exagérer…)
- X.Niel: rappelle qu’Universal et SFR, c’est grosso modo les mêmes actionnaires, et que si transactions il doit y avoir, ca serait bien que cela commence au sein du même groupe.
- E.Fottorino: une offre indispensable pour son audience devrait permettre de lui donner un prix. Adepte d’un modèle mixte gratuit-paant (pas sûr que ça tiendra longtemps, à mon avis)
- JP.Rém: effaré par un nouveau ministre nommé sur la réglementation de l’Internet (tiens, tiens…). Intéressé par le business et la valeur qu’on peut créer sur Internet
- Loic: totalement d’accord, surmédiatisation du « il faut taper, il faut sanctionner ». On occulte ainsi le fait que les plus gros acteurs du Web, même de création récente, sont quasiment tous américains (très juste). On devrait surmédiatiser ce qui fait des revenus plutôt que les tares et défauts de l’Internet pour protéger le passé plutôt que préparer l’avenir.
- E.Fottorino: ce qui est au coeur du débat, c’est la capacité à innover. Donner au lecteur ce qu’il n’attend pas.
- T.Serval: tous les deux ans, le trafic sur Internet change de nature.
Bon, alors d’après vous, la toile, elle va craquer ou non?
Découvrez d'autres articles sur ce thème...
Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Merci pour ce court mais intense résumé. Je suis complétement en phase avec Loic au sujet du focus (que je qualifie de franco-français) sur ce qui ne va pas.
Dans n’importe quel projet de conduite du changement, on sait qu’il ne faut s’attarder sur ceux qui refuse le changement mais concentrer son énergie avec ceux qui ont envi de changer les choses.
Pas tout à fait d’accord sur le changement.
Ce qui résiste au changement est ce qui motive les gens. Si on arrive à le comprendre et à reformuler le changement de façon à utiliser cette énergie, on a un changement qui se fait tout seul.
Exemple: Parmentier et ses pommes de terre.
Je crois qu’il y en a qui vont craquer bien avant la toile…
« Le changement » est évidemment le paradigme sous lequel aurait dû être interprété le titre de cette conférence. Changement de technologies, de modèles de revenus, de consommateurs, de comportements, d’acteurs. Certains (P.Nègre) se cramponnent desespérément à leur vision très fin de 20e siècle, oubliant ce qui a pu se passer avant (et occultant ainsi un double changement). D’autres (Loic, JP Remy) anticipent des changements encore plus profonds. D’autres encore (E.Fottorino) continuent à chercher leur place et restent le cul entre deux chaises.
Hervé,
C’est intéressant de poser ainsi le problème.
Est-ce que le web est un univers qui se renouvelle sans arrêt et où celui qui réussit est celui qui fait rapidement le deuil de ses illusions de l’étape précédente (L.Lemeur?)? Est-ce que ce changement permanent est le risque professionnel d’Internet, ce qui fait « craquer » les entrepreneurs, comme le dit Samoth?
D’ailleurs, l’aventure Internet a-t-elle encore le potentiel suffisant pour faire naître des entreprises que méritent les participants au débat? Doivent-ils se souvenir qu’ils sont des entrepreneurs et faire le deuil de leur amour d’Internet, sous peine de finir en dinosaures?
(The Economist semblait dire, la semaine dernière, que l’ère de la start up, poussée par les déréglementations, et par Internet, était finie, et allait laisser la place à la grande entreprise, et à de nouveaux domaines de développement économique.)
Le Web a moins de vingt ans. Malgré tous les discours sur l’accélération des savoirs et des développements technologiques, je ne le considère toujours pas comme un domaine « mûr ». Le changement permanent est inhérent à cette phase, à mon sens.
Dans un siècle ou deux, nos arrières-petits enfants auront peut-être la chance de connaître un Web enfin figé. Dieu seul sait quelle forme il aura alors pris, et quels seront les acteurs qui auront survécu.
Certes. Mais mes interrogations portaient surtout sur l’exploitation « entrepreneuriale » du Web.
Par ailleurs, j’ai pensé qu’une grande partie de ceux qui parlent aujourd’hui dans les conférences, sont des gens qui ont fait fortune lors de la bulle Internet. Cette génération s’est convaincue que les rêves rendaient riches. En fait, elle a cru à ses rêves. Peut-être qu’aujourd’hui elle doit se réinventer en entrepreneur traditionnel (partir du besoin d’un marché « irrationnel » – qui ne comprend pas les « visions » technologiques, commencer par vendre, vivre au pain sec et à l’eau pendant des années… avant de gagner quelque argent) ? D’où son désarroi. C’est peut être là que se trouve le changement.