La statue de sel

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Bien que largement investi dans le souvenir de la communauté juive de Tunisie (entre la généalogie, les événements de la SHJT ou la recension de quelques livres), je n’avais encore jamais lu de livre d’Albert Memmi. Je me souviens bien avoir lu une ou deux interviews de cet auteur dans Le Monde, il y a quelques années, où le journaliste l’interrogeait sur sa vision du conflit entre Israel et ses voisins. Mais je n’avais lu aucun de ses textes. Profitant de la trêve estivale, j’ai pu combler ce retard, en achevant en quelques heures la lecture d’un de ses livres les plus connus, La statue de sel.

Albert Memmi y livre un récit largement autobiographique, sous pseudonyme. Du ghetto de Tunis – la Hafsia – au lycée de l’Alliance israélite où il effectue ses études, puis à son internement volontaire dans un des camps de travailleurs montés par les nazis pendant leur courte occupation de la Tunisie pendant six mois, on suit le cheminement intellectuel de Memmi, perturbé par son sentiment de n’appartenir à aucune communauté.

Rejetant en effet son milieu d’origine qu’il trouve passablement arriéré entre ses mythes et ses pratiques obscures, il tente de se créer une identité de lettré à l’occidentale. Excellent dans les matières littéraires, ébloui par ses professeurs d’histoire et de philosophie auquel il tente de s’identifier, il se voit bien mener une carrière d’enseignant ou d’universitaire.

Mais la guerre va rapidement mettre des limites à ses ambitions. Le statut des juifs sous Vichy, puis l’occupation allemande, le ramènent à son statut de petit juif tunisien, fils d’un petit bourrelier sans éducation, qui, en laissant son fils son instruire, a renoncé à l’insu de son plein gré à une source de revenus pour subvenir aux besoins de sa famille nombreuse…

Le parcours de Memmi, c’est un peu aussi le parcours de ma famille, à une vingtaine d’années d’intervalle. D’extraction modeste, mon père et mes oncles ont vécu ce cheminement depuis la Hafsia vers les études modernes, scientifiques dans leur cas. Les doutes et les questionnements sont aussi venur, vingt ans plus tard.

Quant à l’épisode des camps de travail, que relate Albert Memmi, il m’a rappelé un épisode connu au sein de ma famille, celui du passage de mon propre grand-père dans un de ces camps. Memmi affirme s’y être rendu volontairement, pour retrouver le destin de ces juifs issus de milieux très pauvres, alors que leurs coreligionnaires faisant partie de la bourgeoisie plus ou moins aisée parvenaient à s’en tirer plus ou moins habilement. Pour mon grand-père, ce ne fut hélas pas le cas. Mais il eut la chance de s’en tirer en s’enfuyant, à la faveur du désordre occasionné par un de ces bombardements alliés dont parle Albert Memmi, bombardement qui coûta la vie à un de ses congénères, ce qui protégea mon grand-père des éclats de bombe. Il s’enfuit donc, et se planqua dans un puits, jusqu’à ce que les Allemands viennent le chercher, sans parvenir à le trouver.

Écrit dans ce français chatoyant dont seuls les écrivains français d’origine étrangère, comme Albert Cohen ont le secret, La statue de sel est donc un livre émouvant sur le passé de cette communauté dont on a fini par oublier qu’elle failli disparaître tragiquement, et dont les descendants cherchent parfois encore à définir leur véritable identité…

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