La khômiss quand les tradis n’existaient plus (suite mais probablement pas fin…) : le blindage, par les X70, des bureaux du ComPromo 71
par Pierre Couveinhes (X1970) et Serge Delwasse (X1986)
Serge introduit le conférencier :
Vous le savez, la Khômiss, disparue en 68, renaît de ses cendres en 87, grâce à la promo 86. Dans l’intervalle, mon fidèle lecteur sait que le Déconomicron a officié entre les promos 72 et 74
J’apprends, grâce à notre camarade Khouveinhes, X70, qui a eu la gentillesse de me faire passer un petit texte, comment la promo 70 avait, selon la tradition, muré la porte du commandant de promo.
L’ancien parle, conscrit, tiens ta langue captive, et prête à son discours une oreille attentive.
Pierre, c’est à toi (les rajouts en italiques entre crochets sont de moi)
Pierre raconte :
Le murage des bureaux de la direction est un grand classique polytechnicien. Celui-ci, intervenu en février 1972, avait pour but de venger ma mise aux arrêts par le commandant de la promotion 1971, après que j’avais été pris en train d’arroser sa promo depuis le toit de l’amphi.
Voici le récit des évènements.
Lors du premier cours de la promo 1971, j’avais pénétré sur le toit de l’amphi Gay-Lussac avec quelques cocons [dont les noms ne sont pas divulgués ici, afin de ne pas mettre en péril un anonymat préservé depuis plus de 50 ans]. Nous nous étions munis de lances à incendie et avions entrepris d’arroser copieusement la nouvelle promotion [celle des TOS]. A priori, l’opération ne présentait pas grand risque, car les nouveaux venus ne devaient pas connaître les dédales de l’École. Malheureusement, un jeune capitaine avait eu l’idée saugrenue de suivre le cours en question malgré l’heure matinale. Il a foncé dans l’escalier et s’est emparé de moi, alors que j’avais encore les armes à la main. Il m’a amené manu militari au bureau de division [les divisions étaient, jusqu’à la réforme de 74, le nom officiel des promos] où je suis resté sous bonne garde.
Un peu plus tard, un individu en civil, mal rasé, s’est présenté et a commencé à me demander des comptes sur un ton désagréable. Le prenant pour l’adjudant de permanence, je lui ai indiqué que je répondrais à ses questions quand il serait en tenue militaire correcte. Cela a déclenché sa fureur, car il s’agissait du commandant de la promotion 1971 (Grillot, si je me souviens bien). Il avait, d’après Maffert [un cocon de Couveinhes], paraît-il, une excuse : commandeur de la légion d’honneur en tant que chef de bataillon, c’était un vrai guerrier… [Si c’est bien de lui qu’il s’agit – et cela semble être la cas – je confirme, c’était un vrai guerrier, mais ce qui est plus drôle c’est que lui aussi aimait les actions clandestines – lien pour les abonnés au Monde uniquement. Pour les autres, sachez qu’il a fini sa carrière comme Chef du service Action du SDECE, ancêtre de la DGSE].
Il a fait savoir au général Buttner qu’il me mettait aux arrêts de rigueur pour un motif extrêmement grave. Durant la journée, mes acolytes, qui avaient pu s’enfuir, m’ont fait savoir qu’ils étaient intervenus auprès du général et du colonel Pehourcq [à l’époque, le général avait le titre de Commandant de l’École, et le colonel – qui est aujourd’hui le chef de corps – celui de commandant en second], et que ma punition serait probablement commuée en quelques jours d’arrêts simples. Maffert [qui a décidément bonne mémoire] se souvient : « sauf erreur, le motif de punition inventé par Pehourcq était ‘’a séché un cours pour en mouiller un autre’’ ».
Durant la nuit, j’ai quitté le micral [les locaux d’arrêt à Kharva] par une fenêtre, et ai rejoint mes amis, qui avaient entrepris de murer les bureaux de la division 1971, sur une idée, je crois, de Dexmier. C’est à cette occasion que j’ai pris les photos qui illustrent ce billet. Le murage avait été effectué avec des carreaux de plâtre fournis, semble-t-il, par le père d’un camarade. Il s’agissait de carreaux massifs de 5 cm d’épaisseur. Dixit Maffert « un adjudant, ayant vu que c’était du plâtre, a cru qu’il n’y en avait qu’1 cm et a donné un grand coup d’épaule. Il s’est retrouvé à l’infirmerie ». [Sans commentaire :)]. Un camion les avait déchargés dans la cour de l’infirmerie. Ils ont ensuite été acheminés sur les lieux de la construction et installés par une petite équipe. D’après un autre cocon, membre de l’expédition, « c’était un bel ouvrage, costaud et esthétique ». Le résultat est assez impressionnant, et semble avoir en tout cas satisfait les auteurs de l’opération.
On peut voir, sur les photos, les portes murées marquées du redoutable « K » de la Khômiss. Sur une autre des photos, la Kes semble observer d’un air dubitatif le résultat des travaux. Ils n’ont pu que constater et faire du damage control vis à vis de l’Astra [l’administration. replacé aujourd’hui par le terme mili strasse – prononcer chtrasse] le lendemain. Après avoir pris ces photos, j’ai regagné le gnouf [=micral. A noter que Gnouf était également le « petit nom » de l’ENS Ulm. l’origine en est probablement un régime sévère d’internat au XIXe siècle], où j’ai tranquillement terminé mes jours d’arrêt. Conformément aux traditions, le murage a été démoli le lendemain par deux « volontaires » [dont nous préservons également l’anonymat].
Serge reprend la parole pour quelques réflexions :
Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est que nous sommes avec la promo 70, arrivée quasi-immédiatement après mai 68, qui jetait les tradis aux orties, que la Khômiss avait disparu et que, malgré cela, ils avaient eu l’idée, que dis-je, la volonté de peindre un K… Comme quoi, même sans tradis, les tradis restent…
L’autre point notable, c’est que le fils d’un des participants, qui a d’ailleurs fait une fort brillante carrière dans l’industrie de défense, a été GénéK 30 ans après… bon sang ne saurait mentir.
Mais, surtout, il faut regarder la liste desdits participants (seuls ceux qui ont accepté que leur nom fût publié apparaissent dévoilés) et leur CV :
- Bachelier, corpsard de l’Armement
- Couveinhes, Ingénieur Général des Mines
- Dexmier, corpsard de l’Armement
- Donzel, Ingénieur Général de l’Armement
- Maffert, Ingénieur Général de l’Armement
- M…, Ingénieur Général des Ponts
- Rambaud, corpsard des Ponts, ancien président du GICAT
- Ranque, corpsard des Mines, ancien président, entre autres, de Thales
- Soyris
- Tichit, corpsard de l’Armement
Oui, Cher Lecteur, tu as bien lu : sur 10 participants à l’opération, on trouve 9 corpsards. dont
- 5 ingénieurs de l’armement
- 2 civils ayant (très fortement) contribué à l’industrie de défense
Cela montre à mon sens, une fois de plus, l’apport de l’esprit frondeur au succès des armes de la France
Note : notre Camarade Khouveinhes est candidat au conseil d’administration de l’AX. Si la concomitance de la publication de ce billet et de ladite élection est purement fortuite, je ne peux néanmoins que vous encourager à lui porter vos suffrages…
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A heavy weather skipper
Bravo, Delwasse ! Une opération digne de l' »autocran » qu’avait réalisé la 64, en juillet 67 : tous restés spontanément et unanimement à l’École, tant que nos 6 camarades exilés par la mili dans les forts autour de Paris, avec 30 JAR chacun + demande d’augmentation de peines au niveau régional ! Nous avions tenu 21 jours, au lieu d’être en vacances. Tout Paris bouillonnait ! … jusqu’à ce que le général cède ! Le Magnan-chef devenait fou, il n’avait plus rien à mettre dans les assiettes !