La guerre
La France est en guerre. Vous en doutiez? Les événements d’hier sont venus le confirmer. Oh, ce n’est pas le genre de guerre auquel vus êtes habitués. Ce n’est ni le grand conflit mondial que notre pays a enduré deux fois au siècle dernier, ni le type de conflit dont nos écrans de télévision témoignent de temps à autre. Non, la guerre à laquelle nous sommes confrontés est une guerre moderne, une guerre du 21ème siècle, mondialisée, globale, digitale. Mais une guerre quand même: 120 morts, plus de 300 blessés dont 100 dans un état critique en une seule opération. Même nos Rafale ne font pas si bien…
Un autre 11 septembre
Plusieurs grandes villes occidentales ont connu des attaques terroristes d’envergure, ces dernières années: New-York en 2001, Madrid en 2004, Londres en 2005. Nous avions crû, stupidement, que Paris avait connu le sien les 7 et 9 janvier dernier. Nous avions tort. Le pire était devant nous. Ces attaques offrent toutes le même visage: un carnage, des victimes par dizaine, des terroristes froids et déterminés, prêts à mourir au terme de leurs méfaits.
Deadliest attacks in Europe since 1980 pic.twitter.com/pOqdMq7NUj
— Agence France-Presse (@AFP) 14 Novembre 2015
Et pour nous, des images choquantes, qui passent en boucle à la télévision, et que nous regardons passivement. Des instants qui marqueront notre mémoire à jamais. Les médias sociaux, par leur capacité d’amplification sans limite, contribuent bien évidement à cet effet.
Les médias sociaux, justement, parlons-en. Twitter grouille de hashtags et de messages de détresse. Facebook propose un bouton pour se déclarer sain et sauf, comme lors du tremblement de terre au Tibet. Nos murs se couvrent de portraits tricolores, pour marquer notre solidarité. Certains trouvent qu’on en fait trop, pas moi. Ces moments tragiques sont justement là pour mentionner notre lien indéfectible à la nation. La fraternité, troisième terme de la devise nationale, a si souvent fait défaut, qu’il ne faut pas manquer les rares moments où elle peut s’exprimer sans arrière pensée.
La guerre du 21e siècle
Nombre d’entre nous, français nés après la seconde guerre mondiale, n’avons connu de la guerre que le récit des anciens, ou les images que nous renvoyait notre téléviseur, de conflits plus ou moins lointains: Erythrée, Afghanistan, Iraq, Vietnam, Yougoslavie, Algérie. Parfois, des attentats terroristes se déroulaient sur notre territoire, mais cela ne durait jamais très longtemps, et ces actes restaient plus ou moins isolés.
Mais le 21e siècle et ses avatars, la mondialisation et le numérique, sont venus bousculer tout cela. Un conflit à 3000 kilomètres de chez nous peut, du jour au lendemain, débarquer en métropole. Autrefois, nos forces pouvaient intervenir au Tchad ou au Liban, sans risque que cela ne se répercute sur le territoire: certes, nos troupes y payaient un tribut parfois élevé, mais les civils restaient sains et saufs. Ce n’est plus le cas de nos jours, le conflit syrien vient désormais « baver » à notre porte. Les apprentis djihadistes ne rêvent que de revanche sur le territoire français. Internet, les médias sociaux, les aident à diffuser leur message de haine, et à susciter des talents à distance.
Désormais, quelques bombardements aériens sur un camp d’entraînement de l’EI suscitent des actes de représailles à distance, non pas contre nos forces, invulnérables, mais contre les bases arrières. L’EI a trouvé une remarquable contre-attaque aux drones et à la « guerre propre » que nous souhaitions mener à distance et en altitude, en pratiquant sa propre guerre à distance, mais sur notre terrain. Nos stratèges à l’Ecole de guerre feraient bien de prendre en considération cette nouveauté dans les conflits dits asymétriques: de nos jours, le terrain de guerre devient extensible à peu de frais.
Des questions d’organisation
Nous vivons depuis le début de l’année sous Vigipirate. J’en suis, comme bien d’autres, le témoin régulier à chaque fois que je franchis le pas d’une synagogue. Je suis reconnaissant de cette marque de protection de l’état français à l’égard de ses ressortissants juifs. Comme nous tous, juifs de France, je salue à chaque fois ces soldats qui ne pensaient pas qu’en choisissant ce métier, ils seraient amenés un jour à faire office de vigiles à l’entrée de lieux de culte, pour une durée indéterminée (et à mon humble avis, pour quelques années encore…).
Mais je m’interroge sur les autres aspects de Vigipirate, sur la traque des dizaines de terroristes qui doivent rester en circulation en France. Des attentats ont été déjoués ces derniers mois, nous le savons, d’autres ont fait long feu ou ont eu un succès limité. Mais comment diable une action de cette envergure – trois équipes, probablement une dizaine de terroristes – a-t-elle pu se dérouler dix mois à peine après les opérations de janvier dernier? La loi sur le renseignement, qui avait tant fait jaser il y a quelques mois, est-elle vraiment en action? Les frontières, censées être surveillées depuis quelques jours, sont-elles de telles passoires? Les milieux islamistes français ne sont-ils pas suffisamment infiltrés? Bref, le gouvernement a-t-il pris la mesure de ce qui se passe et peut s’amplifier durant les prochains mois?
Autre question, plus pratique celle-là, soulevée par une de mes amis, professionnelle de santé: Paris et les grandes villes françaises sont-elles prêtes pour accueillir autant de victimes d’attentats en un seul jour? Les moyens d’intervention, les premiers secours, sont-ils dimensionnés pour traiter plusieurs dizaines de blessés en situation d’extrême détresse en quelques minutes? Ne serait-il pas temps de s’équiper nous aussi d’une unité comme celle de Zaka en Israël?
Rester vigilants
Dans le chaos qui a suivi cet attentat depuis 24 heures, plusieurs éléments émergent, d’autres restent flous. Trois équipes, une revendication de l’EI, certes. Mais combien de terroristes exactement? Combien sont encore libres et susceptibles d’agir de nouveau, comme les frères Kouachi en janvier dernier? Quels portraits-robots? L’enquête est en cours, et comme d’habitude, en France, on préfère rester peu loquace jusqu’à ce que la police retrouve les derniers terroristes ou remonte la filière. Souvenez-vous, en janvier dernier, les frères Kouachi ont été identifiés par des particuliers grâce à la diffusion de portraits-robots.
3 équipes de kamikazes portant des ceintures explosives ont semé la terreur dans Paris. Infographie. #ParisAttacks pic.twitter.com/LhLWFYAq4r
— AFPgraphics (@AFPgraphics) November 14, 2015
Une seule chose est sure, ce n’est que le début. L’EI dispose avec ce type d’action d’un moyen de riposte aux frappes aériennes. Ce ne sont pas de simples actes terroristes qui se sont déroulés vendredi soir, mais bien l’extension d’une guerre à distance, avec des moyens limités, mais qui ont un impact médiatique et psychologique bien plus important que ne le serait le moindre Rafale abattu au-dessus du désert Syrien.
Ami lecteur, tu ferais bien de regarder derrière ton épaule, dans la rue, dans le métro, et de lever tes yeux de ton smartphone quand tu n’as rien à faire: ce n’est que par la vigilance et l’attention de chacun d’entre nous que nous arriverons, à plus ou moins long terme, à lutter contre ce type d’ennemi.
La guerre risque d’être longue.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Ayons une pensée pour toutes les victimes du terrorisme. Si ces événements horribles s’étaient produits en Israël, voici ce qu’aurait titré l’AFP vendredi soir:
Trois jeunes banlieusards tués par la police française au Bataclan. Ils étaient rentrés dans l’établissement et avaient retenu les spectateurs. 80 personnes sont mortes.
Bel article !
Même à près de 10 000 km de Paris nous irons au rassemblement de deuil.
Un mini bémol : la Loi sur le renseignement :
1. Je ne suis pas sûr que les décrets d’application soient tous sortis.
2. Un article dans La Recherche qui montre « mathématiquement » qu’en traitant des métadonnées on risque de trouver beaucoup plus de « faux positifs » que d’individus convoités. Malheureusement la version numérique est payante ou il faut être abonné ou l’avoir acheté en version papier sur leur boutique.